La Belgique compte-t-elle trop de supermarchés?
Libre Eco week-end | Le Dossier. Pour faire ses courses, le consommateur belge a un énorme choix d’enseignes, de formats, de localisations.
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- Publié le 02-06-2023 à 14h05
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Faillite de Makro, chute du cours de Bourse de Colruyt, choix de Delhaize de passer à 100 % en franchise par manque de rentabilité ou encore difficultés de Jumbo : l’actualité pose à nouveau la question de la suroffre de supermarchés et supérettes en Belgique.
Mais y en a-t-il vraiment trop ? Si on compare l’offre belge (35 points de vente pour 100 000 habitants) à celles des Pays-Bas (28) et du Grand-duché de Luxembourg (29), la réponse est assurément "oui". Ce "oui" n’est toutefois pas aussi catégorique qu’il y paraît. Et si la suroffre ne concernait pas le nombre de magasins mais le nombre d’enseignes présentes en Belgique - Delhaize, Carrefour, Colruyt, Aldi, Lidl, Albert Heijn, Jumbo, Spar, Intermarché… - et donc la concurrence, plus effrénée qu’ailleurs ? À moins que ce soit une question de culture qui veut qu’en Flandre et en Wallonie, on n’aborde pas l’offre de la même manière ?
1. Preuve n° 1 : le nombre de flops
Pour preuve qu'il y a peut-être trop de grandes et moyennes surfaces de distribution en Belgique, il suffit d'aligner le nombre important de déconvenues ces cinq dernières années : Red Market, la formule discount de Delhaize (2009-2018) ; le français Bio C'Bon (2016-2021) ; Fresh Atelier imaginé par Delhaize (2018-2022) ; le discounter russe Mere et son unique point de vente (mai 2022-septembre 2022) ; Franprix, du groupe français Casino qui n'a jamais été au-delà de deux magasins (2018-2023) ; Makro (6 hypermarchés) dont la faillite a été entérinée en janvier 2023, après 50 ans d'existence en Belgique ; Mestdagh, passé du label Carrefour Market à celui d'Intermarché au tout début de cette année.
Pour Frans Smit, Business Development Manager pour le Belux au sein de l'agence de recherche Locatus, "ceux qui n'y arrivent pas sont davantage de petites enseignes qui s'installent dans des niches avec peu de moyens et une notoriété réduite, ou alors de nouveaux concepts testés par de grands distributeurs." "La disparition de Makro est déjà intégrée, ajoute Christophe Sancy, rédacteur en chef de la revue Gondola. Mere n'était qu'un essai. Franprix était anecdotique…" Et rien ne dit que cela ne va pas continuer. Il y aurait en effet des proies potentielles. Jumbo (29 points de vente en Flandre) pourrait en être une. Les Match et Smatch en seraient une autre, dont le groupe Louis Delhaize pourrait se défaire pour ne garder que Delitraiteur et Cora.
2. Preuve n° 2 : une plus faible rentabilité
"Plus encore que le nombre de supermarchés par 100 000 habitants, la plus faible rentabilité des enseignes sur le sol belge est une indication de suroffre, affirme Frans Smit. Les marges y sont globalement plus faibles qu'ailleurs. On se demande même comment certains magasins parviennent à survivre. À l'étranger, les distributeurs sont en meilleure santé." Question d'achats, de charges sociales, de taxes… Même si ce fut après quelques hésitations, certains groupes français (Auchan) ou allemand (Edeka) ont d'ailleurs décidé de ne pas passer la frontière. "Se mettre juste à côté leur suffit, pointe Christophe Sancy. C'est surtout le cas des retailers qui tablent sur les prix. Un avantage qu'ils risqueraient de perdre en s'installant en Belgique."
3. Trop d’enseignes et trop de concurrence
La localisation de la Belgique au cœur de l'Europe, ses multiples langues, cultures et consommateurs internationaux en font une zone d'expansion recherchée pour ses voisins, Pays-Bas en tête. Ce qui multiplie le nombre d'enseignes et exacerbe la concurrence. "Très certainement par comparaison avec les Pays-Bas où de nombreuses petites marques ont été rachetées par les deux grands acteurs que sont Jumbo et Albert Heijn, note Gertjan Slob, directeur de Locatus. Le phénomène de concentration est moins fort en Belgique." "Celle-ci ne présente pas un marché symétrique, ce qui favorise la prolifération d'enseignes, poursuit Christophe Sancy. Picard et Intermarché ont intérêt à se contenter de Bruxelles et de la Wallonie, et Albert Heijn de la Flandre. Ne fût-ce que pour une question de langue, de production, d'offre culinaire, mais encore d'affect auprès des consommateurs." "Mais trop d'enseignes ne signifie pas automatiquement trop de magasins", tempère-t-il.

4. Trop de magasins de proximité
Depuis nombre d'années, l'avenir des grands groupes de distribution se dessine dans la proximité. Carrefour n'ouvre plus de Market mais des Express. Delhaize multiplie les Proxy. "Certaines communes sont submergées de supermarchés, convient l'expert de Gondola. Mais ce n'est pas une généralité. Par contre, on peut se demander s'il n'y a pas trop de magasins de proximité. Leur multiplication est plus criante encore. Et quand ils ferment, cela se voit moins car ils sont tenus par des indépendants. C'est pourtant un volet qui a dégusté en 2020 et 2021 car la majorité vivait sur la mobilité et le travail au bureau. Ce type de format a répondu à une demande car il remplaçait les épiceries à l'ancienne, les boulangeries, les boucheries… Mais le marché n'est pas extensible. Selon moi, on frise la limite, si on ne l'a pas déjà dépassée."
5. Trop peu de franchisés
Et si la perception d'une suroffre de supermarchés était surtout liée à la "franchisation" du secteur ? Intermarché et Delhaize sont d'ailleurs en quête de franchisés pour respectivement 51 et 128 supermarchés. Le premier en a trouvé 16 et le second annonce, pour sa part, avoir au minimum une marque d'intérêt pour chacun des magasins proposés. "Des repreneurs pour 179 supermarchés, c'est beaucoup", insiste Gertjan Slob, qui voit poindre un problème lié à "des questions d'investissement, mais aussi de capacité à gérer un supermarché et de temps à lui accorder."
Christophe Sancy y voit aussi un défi sachant que ces dernières années, et toutes enseignes confondues, le marché wallon des supermarchés recrute au mieux 10 franchisés par an. "Certains semblent dire qu'avec Intermarché et Delhaize, on est au début d'un mouvement. Mais, pour moi, on est à la fin", conclut-il. Quand ils auront trouvé leurs repreneurs, il ne restera plus de "franchisable" qu'une quarantaine de Carrefour Market. "Et ce n'est pas à l'ordre du jour", précise-t-il. Le reste du marché n'est pas demandeur, parce que leur offre discount fonctionne mal en franchise (Lidl, Aldi, Colruyt) ou parce qu'ils sont trop grands pour les épaules d'un indépendant (Hyper Carrefour, Cora).