La productrice des vins "Château Bon Baron" : "Les Belges ne sont pas assez chauvins"
Libre Eco week-end | Face et profil. Jeanette Van Der Steen est une vigneronne installée près de Dinant.
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- Publié le 03-06-2023 à 08h00
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Elle nous accueille avec un grand sourire dans son local de production de Sorinnes, tout près de Dinant. "Enfin du soleil ! C'est excellent pour mes vignes", s'enthousiasme Jeanette Van der Steen, la productrice des vins belges "Château Bon Baron". "Il a fallu le temps", poursuit la fraîche sexagénaire qui disserte sur ce début de printemps "particulièrement maussade."
Discret, son mari Piotr range quelques-unes de ses peintures, juste à côté. Si c'est bien lui qui a dessiné le logo se trouvant sur les bouteilles de l'entreprise familiale, ce n'est pas lui le mystérieux "bon baron." "Non, nous ne sommes pas nobles, sourit Jeanette originaire d'un village près d'Eindhoven aux Pays-Bas. La vigneronne nous montre une pierre ancienne avec l'inscription "Bon Baron". "On l'a découverte dans la cave de la maison que nous avons achetée à Profondeville. On a montré cela à plusieurs spécialistes mais personne ne peut la dater, ni donner une explication. Le nom de notre vin était tout trouvé."
Coup de foudre pour la région de Dinant
Et la maîtresse de chai de replonger dans ses souvenirs. Le couple néerlandais est tombé dans les cuves à vin "par hasard." "Nous sommes arrivés dans la région il y a 23 ans. À l'époque, mon mari et moi avions une société de conseil de management aux entreprises. C'était le boulot ensemble matin, midi et soir. Parfois l'entreprise dormait même au milieu de nous, rigole-t-elle. Jeanette et Piotr ont besoin de se "ressourcer". Ils découvrent la région de Dinant. C'est le coup de foudre.
"Nous avons acheté une belle maison à Profondeville. Le terrain en face était à vendre et j'ai dit à mon mari que si nous ne l'achetions pas, quelqu'un d'autre allait l'acquérir et nous gâcher notre vue. L'intégration n'était pas facile au début car on ne parlait pas bien français." La Néerlandaise qui, durant ses temps libres, a suivi une formation en gastronomie, pense alors créer une maison d'hôtes. "Je voulais travailler avec des produits locaux, nos propres légumes, et je me suis dit que ce serait aussi bien d'avoir notre propre vin. Un bon repas donne du bonheur, un bon vin donne du bonheur. Si vous avez les deux, cela multiplie le bonheur par quatre".
Après trois ans, les Van der Steen obtiennent leur première récolte sur leur demi-hectare. "Il y a plein de choses qui ne se sont pas bien passées. Il a fallu jeter une partie de la production mais on a obtenu quelques bouteilles que j'ai données à nos voisins. Ils les ont toutes bues sauf une voisine qui l'a offerte à un ami restaurateur." Ce dernier contacte Jeanette : le vin lui plaît et il cherche des vins du terroir sur sa carte. L'aventure "Château Bon Baron" peut commencer. "La première année, nous avons déjà vendu toute notre production." En 2010, le couple achète un autre terrain, beaucoup plus important près de Dinant. Aujourd'hui, les Van der Steen possèdent dix-sept hectares et produisent entre 60 et 100 000 bouteilles par an. L'entreprise emploie quatre personnes à plein temps et une quinzaine lors des périodes de vendange ou les coupes de printemps. "On travaille avec des Roumains. Au début, on avait engagé des gens d'ici mais ils étaient là davantage pour s'amuser que pour travailler. On fait tout de A à Z, jusqu'à l'embouteillage."
Une localisation "unique" en Belgique
La particularité du "Bon Baron" est de proposer une majorité de vins rouges, ce qui est rare en Belgique où le climat est davantage adapté au blanc et au mousseux. "Ma force, c'est la diversification. Je fais chaque année entre 14 et 25 vins différents. On va bientôt lancer des vins effervescents. Les restaurateurs aiment avoir leur propre breuvage." Le vignoble sort de quelques années difficiles marquées par la Covid et les inondations de 2021. "Pendant la période de la pandémie, on a eu très peur car tous les restaurants étaient fermés. Les compagnies aériennes avec qui nous travaillons, Air Belgium et Brussels Airlines, annulaient aussi tous leurs vols. Il était également impossible de faire des dégustations." La "bonne baronne", comme on la surnomme, se tourne alors vers les supermarchés qui mettent en vente ses différents vins. "On a survécu grâce à eux et on continue cette collaboration."
La petite entreprise ne cesse de croître, bénie par une localisation "unique" en Belgique. "Contrairement à beaucoup de vignobles, nous n'avons jamais été confrontés au gel de printemps. Le long de la Meuse, on a souvent une température de quelques degrés plus élevée que la moyenne belge, ce qui sauve nos vignes en période de froid. Le sous-sol est aussi très riche. On faisait déjà du vin à Dinant en 1015."
Même si elle adore son métier - "un art de vivre" -, la bonne baronne pense à sa succession. "Je ne suis pas éternelle. Mes deux enfants ont tous les deux une très belle carrière et une vie chargée aux Pays-Bas. S'ils veulent venir ici ce sera leur décision. Autrement, les options sont ouvertes. Peut-être qu'on mettra le domaine en coopérative. Mais on voudrait que le nom Bon Baron subsiste."
" J'ai vraiment fort confiance en l'avenir du vin belge"
Qualité Jeanette Van der Steen a vécu l'impressionnante progression de la production de vin en Belgique. "Quand nous sommes arrivés il y a vingt ans, on comptait 29 hectares de vignes sur toute la Belgique. Aujourd'hui on est à 800 hectares. J'ai vraiment fort confiance en l'avenir du vin belge. Tous les vignerons que je connais ici sont des gens très sérieux. Chaque année, la qualité de leur vin s'améliore." Le réchauffement climatique est aussi en train de redistribuer les cartes. "Les vins de Bordeaux ont, par exemple, changé. Il y a quarante ans, ils avaient un taux d'alcool plus bas et davantage d'acidité, ce qui permet à un vin de mieux vieillir. Les vignobles des régions du Sud doivent faire face aux sécheresses, aux feux de forêts… Chez nous, au contraire, les conditions s'améliorent. Certains de mes vins sont déjà comparés avec des côtes-du-Rhône. Les vins belges obtiennent souvent de très bons résultats dans les concours internationaux. Vous avez aussi des fromages incroyables. Mais je trouve que les Belges ne sont pas assez chauvins : ils ne veulent jamais croire que des produits de telle qualité peuvent provenir de chez eux."
En quelques dates :
Jeanette Van Der Steen est née dans un petit village près d’Eindhoven aux Pays-Bas.
Elle a travaillé durant des années avec son mari, Piotr, dans le conseil aux entreprises et a suivi une formation à l’académie de gastronomie de Peter Klosse à Anvers.
En 2000, le couple s’installe dans la région de Dinant et commence à y produire son vin : le Château Bon Baron.