Fortune d’un milliard, cauchemar du voisinage et rival de Coucke et Verhaeghe : qui est Paul “le bricoleur” Gheysens, le président de l’Antwerp ?
À coups de bulldozers et de grues, Gheysens a bâti son empire. Ses investissements, qui avoisineront bientôt 160 millions €, ont mené le Great Old sur le toit de la Belgique.
- Publié le 04-06-2023 à 22h29
- Mis à jour le 05-06-2023 à 11h39
Des embrassades, il y en aura certainement. Mais pas trop non plus, même s’il s’agit du premier titre en 66 ans à l’Antwerp. Hypocondriaque sur les bords, Paul Gheysens (69 ans) préfère les poignées de mains. Geste par laquelle il a conclu de nombreux accords qui lui ont permis de grimper l’échelle des hommes les plus riches du pays. Le site spécialisé, “derijkstebelge”, place la famille Gheysens à la 37e place, avec une fortune estimée autour du milliard d’euros. Soit un peu moins que la famille Duchâtelet (24e), mais surtout plus que la famille Coucke (46e) et Verhaeghe (65e).
Avec un doublé à la clé, la saison aurait difficilement pu être plus belle à Anvers. Gheysens fêtera l’exploit comme il se doit. La Belgique est conquise. Mais atteindre le sommet au sein de nos frontières n’est qu’une étape. Ceux qui connaissent le propriétaire du Great Old savent très bien qu’il voudra désormais mettre le club sur la carte européenne. Après tout, pour lui, “the sky is the limit”. L’adage a toujours été comme un gant au magnat de l’immobilier considéré comme “rancunier” et “impitoyable” dans le monde des affaires.
Les bienfaits de la chute du Mur : la vente à Google et la visite du Roi Philippe
Fils de fermiers d’Ypres, le petit Paul obtenait de bonnes notes à la fin de ses secondaires, sauf en math. Il se lance dans des études de bio puis dans les jardins. Mais l’ambitieux Gheysens met sur pied la société de construction Ghelamco dans les années 80 avec Willy Lammers. Un tournant.
Alors que son associé a rapidement disparu de la circulation à la suite d’un différend, Gheysens le visionnaire profite de la chute du Mur de Berlin pour racheter des terrains et des matériaux bon marché en Pologne (puis à Kiev et Moscou). Si bien qu’aujourd’hui près d’un tiers de Varsovie aurait été construit par Ghelamco. En 2022, il y a cédé un gratte-ciel à Google contre la modique somme de 583 millions €.
Parmi ses bâtiments les plus précieux, Gheysens compte notamment le “Warsaw Spire”, à une époque le bâtiment le plus élevé (202 mètres) d’Europe de l’Est. Il y a notamment reçu le Roi Philippe pour une visite guidée.

La Ghelamco Arena pour s’annoncer : sa passion des chevaux a ouvert la porte
Le patron de Ghelamco a la main verte : sa collection de roses est une autre de ses grandes fiertés. Gheysens aime aussi les chevaux, notamment les pur-sang arabes. En 2012, QR Marc, acquis pour 8 000 €, est élu le plus beau cheval du monde. Cette passion équestre est d’ailleurs à la base de sa véritable introduction dans le monde du football. Même s’il était déjà actif en Belgique, “Paul le Bricoleur” s’est annoncé sur la scène du ballon rond avec l’érection de la Ghelamco Arena, le stade de La Gantoise.
Un chantier pour lequel il a grillé la priorité à la société Optima qui ne disposait pas des fonds nécessaires pour réaliser le projet. Les discussions ont commencé à la fameuse Waregem Koerse. À cet évènement où se rassemblent des chevaux de course du monde entier, mais aussi des hommes politiques et des chefs d’entreprise, il fait la rencontre de Daniel Termont (SPA), l’iconique bourgmestre de Gand. En échange de la construction du stade, Gheysens a récupéré des terrains autour de l’enceinte. Son QG est notamment situé en face. Et sa Mercedes Maybach, une des voitures les plus chères de la planète, n’est jamais loin. “Je m’y connais en stades ou en chevaux, mais pas du tout en foot”, reste une des déclarations les plus célèbres de celui qui préfère éviter les médias.
Je m'y connais en stades ou en chevaux, mais pas du tout en foot.
Combats de coqs : la “guerre du golf”, le stade national et Anderlecht
Si jamais vous cherchez un château du XIXe, Gheysens a mis le sien sur le marché. Le domaine d’Ertbrugge à Wijnegem est estimé à 4 millions €. Il vend aussi les terrains à bâtir les plus chères de Flandres : 24 parcelles de 1000m2 dont la plus chère vaut 5,86 millions €. Et puis, Zuhal Demir (N-VA, ministre flamande de l’Environnement) lui a enfin accordé le permis pour qu’il construise son fameux golf de 18 trous à Knokke. Celui qui en rêve depuis 20 ans a remporté son bras de fer avec Peter Taffeiren, l’homme qui lui a vendu les terrains sous certaines conditions et qui était contre ce projet dont le coût est estimé entre 200 et 400 millions €.
Il faut dire que durant son ascension, Gheysens ne s’est pas fait que des amis. Sa rivalité avec Bart Verhaeghe, le président du Club Bruges, alimente constamment la presse dans le nord du pays. L’épisode du stade national reste le plus célèbre. Alors que Gheysens avait acquis pour un euro symbolique le fameux parking C à Grimbergen, où Ghelamco aurait pu construire le nouvel antre des Diables rouges (et d’Anderlecht ?), Verhaeghe n’a pas hésité mettre des bâtons dans les roues du projet jusqu’à ce qu’il ne soit définitivement enterré. De son côté, Gheysens a joué le même jeu : le boss de l’Antwerp est l’heureux propriétaire de parcelles sur lesquelles le Club veut construire son nouveau stade. “Chacun pour soi”, avait déclaré Gheysens à propos de ce combat de coqs.
Marc Coucke et son ami Joris Ide ne partiront certainement pas non plus à Cannes avec celui qu’une certaine partie de la presse flamande a rebaptisé “Polleke botox”. Quand Gheysens a joué les difficiles dans des histoires de copropriété à Knokke, Coucke et Ide l’ont déjoué dans le rachat d’Anderlecht. Un dossier sur lequel Gheysens avait notamment invoqué l’aide de Luciano D’Onofrio qui entretenait une bonne relation avec Roger Vanden Stock. L’Yprois s’était même, un temps, associé avec Wouter Vandenhaute jusqu’à ce que leur duo vole en éclats. L’histoire voudrait que Coucke et Ide aient décidé de jouer un mauvais tour à leur rival dans un hôtel à Londres. Finalement, les deux amis ont raflé la mise.
Gheysens s’est également porté candidat racheteur à l’Union SG en 2018. Il a pris contact avec Jurgen Baatzsch, prédécesseur de Tony Bloom. Mais l’offre de Gheysens n’était pas assez élevée, sans compter que le club bruxellois voulait garder son ADN de club populaire.
Coucke et Ide auraient décidé de lui jouer un mauvais tour, dans un hôtel à Londres.
L’Antwerp pour enfoncer le plafond de verre : 114 millions injectés et ce n’est pas fini
Avec le son des bulldozers, Gheysens a réveillé le géant endormi qu’était le matricule 1. Il a commencé ses investissements dans l’ombre de Patrick Decuyper (ex-Zulte Waregem), en 2015, quand son conseiller Philip Neyt lui annonce que le club est au bord de la faillite. L’homme d’affaires sort de l’obscurité en 2017, soit quand le Great Old réintègre l’élite. Depuis, les Anversois n’ont loupé les playoffs qu’à une seule reprise, lors de leur première saison en D1A, ont remporté deux Coupes et désormais un titre de champions de Belgique.
Gheysens y a mis les moyens : il a déjà injecté 114 millions € dans le club et s’est engagé pour y rajouter encore 47,5 millions. Sans compter qu’il s’est bien entouré. Et ce, dès le début en intronisant Luciano D’Onofrio en tant que directeur sportif et Laszlo Bölöni en tant que coach. Ont ensuite suivi (sans ordre particulier) Frankie Vercauteren, Ivan Leko, Brian Priske, Mark van Bommel, Marc Overmars, Lior Refaelov, Radja Nainggolan (dont la venue est considérée comme un des rares échecs), Toby Alderweireld, Vincent Janssen… Sans oublier la montée en puissance de Sven Jaecques, le CEO, tant au club que dans le paysage de notre football.
La gestion du club est une histoire de famille. Avec sa femme, Ria, en première ligne. Récemment, Nainggolan nous confiait en rigolant qu’il en avait “peur”. Elle serait même à la base du départ de Refaelov. Ria est très investie, que ce soit dans le choix des traiteurs, de ce qui est vendu au fanshop, de ce que portent les hôtesses… Ses enfants, Simon, Michael et Marie-Julie, sont régulièrement présents aussi. Michael avait notamment accompagné son père lors de sa célèbre descente dans les vestiaires durant de la mi-temps du derby contre le Beerschot l’an dernier. Priske, entraîneur à l’époque, en avait pris pour son grade.

L’émotion aura sans doute été décuplée ce dimanche quand Alderweireld a soulevé le trophée. Mais un ambitieux comme Gheysens aura déjà le regard tourné vers l’avenir. En plus de bien performer sur la scène européenne, il aura à cœur de régler le souci de la Tribune 2 du Bosuil, fermée depuis mai 2020, par exemple. Les discussions pour la rénovation traînent. Les terrains appartiennent à la famille Mintjens et les parties se retrouvent dans une impasse que la Ville tente de régler. L’idée d’un tout nouveau stade est même évoquée comme alternative.
Gheysens souhaite aussi faire son retard sur ses rivaux en termes de formation des jeunes. Dans le sillage d’Arthur Vermeeren, ou encore de Zeno Van Den Bosch et Kobe Corbanie, l’Antwerp veut continuer à lancer de jeunes talents. Une logique dans laquelle s’inscrit cet intérêt pour Jean Kindermans, responsable de la formation à Anderlecht qui preste son préavis au Lotto Park. L’autre objectif sera d’effectuer d’autres belles plus-values sur des jeunes étrangers, à l’image de William Pacho qui prend la direction de l'Eintracht Francfort cet été contre un montant record de 16 millions €. Tant de manières pour combler les pertes (31,3 millions €, en 2022) et limiter de futures hausses de capital dans un premier temps.