Les exercices militaires de l'Otan vont perturber le ciel cet été : "950 vols pourraient être déviés par jour"
Entre les grèves des contrôleurs aériens français et les opérations de l’Otan, l’été s’annonce compliqué pour les transporteurs aériens européens.
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- Publié le 05-06-2023 à 17h28
- Mis à jour le 05-06-2023 à 18h30
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Alerte Bison futé. Le risque de voir des “embouteillages” dans le ciel européen passe au rouge cet été. L’Europe va ainsi enregistrer un nombre (quasi) record d’avions commerciaux dans un espace qui risque d’être très restreint certains jours. Deux pays, la France et l’Allemagne, sont au cœur des attentions pour des raisons totalement différentes. “Ce sont deux espaces aériens énormes que vous pouvez difficilement éviter où que vous voyagiez en Europe”, explique le commandant de bord Giancarlo Buono. Ce dernier sait de quoi il parle puisqu’il est directeur européen de la sécurité et des opérations aériennes pour l’Iata, l’association internationale du transport aérien qui tient son assemblée générale cette semaine à Istanbul, en Turquie.
Situation déjà "chaotique" en France
Premier constat : la reprise des vols depuis la fin du Covid est rapide sur le Vieux Continent. D’après l’Iata, les compagnies européennes ont ainsi quasiment (98 %) retrouvé le trafic de 2019, qui était une année record pour le secteur. Au niveau mondial, les transporteurs du ciel s’attendent à faire voler 4,35 milliards de passagers cette année, non loin du record de 4,54 milliards de cette même dernière année sans Covid. L’été dernier, les aéroports et les compagnies aériennes avaient mal anticipé ce rapide redémarrage, ce qui avait provoqué de nombreuses files, retards et annulations à travers l’Europe. “On a des échos positifs pour cet été, rassure Willie Walsh, le directeur de l’Iata. Le personnel sera en suffisance pour faire voyager les passagers”. Mais l’Irlandais a, par contre, de “vraies inquiétudes” sur la situation du ciel français. “C’est chaotique : les contrôleurs aériens sont quasiment en grève tous les jours en France. C’est extrêmement frustrant pour les compagnies aériennes qui ne font que survoler le pays et sont ainsi obligées de faire des détours énormes ou le plus souvent de retarder, voire d’annuler leurs vols massivement”.
"Le pire aéroport au monde
Selon l’ancien patron de British Airways, le “système français” doit être totalement revu. “Que la France ferme son ciel pour ses vols intérieurs, très bien. Mais c’est intenable si elle empêche le survol de son territoire à la moindre action”. Les problèmes ne sont pas qu’en France, selon M. Walsh qui qualifie l’aéroport de Schiphol-Amsterdam de “pire aéroport au monde”. “Ce que font les autorités néerlandaises, qui ont décidé de limiter le nombre de vols à Schiphol, est pathétique et inacceptable”, s’insurge l’ancien pilote.
Le regard est aussi tourné vers l’est du continent. Avec la guerre en Ukraine, le “ciel européen” s’est déjà rétréci de plus de 20 %. “Les avions commerciaux ne peuvent plus survoler l’Ukraine, mais aussi des régions frontalières du pays, comme une partie de la Pologne et la Moldavie, développe Giancarlo Buono. Le conflit amène d’autres conséquences. Ces dernières semaines, les exercices militaires de l’Otan se sont ainsi multipliés au-dessus de l’Allemagne. “Les Occidentaux veulent adresser un message politique à la Russie. On montre les muscles, ce qui est logique dans ce genre de situation”. Mais le timing et le lieu de ces exercices militaires (”à la veille de la saison d’été et en plein milieu de l’Europe”) n’arrangent pas les compagnies aériennes. “Pour des raisons de sécurité évidentes, le ciel est alors fermé aux vols commerciaux. On a déjà très peu de marges. On a calculé que durant les exercices prévus en juin au-dessus de l’Allemagne, les compagnies aériennes pourraient dévier jusqu’à 950 vols par jour. C’est un stress supplémentaire à rajouter à celui du risque de grève en France”.
Les transporteurs aériens craignent aussi de devoir rembourser des milliers de passagers pour des annulations ou retards de vols. “On demande davantage de flexibilité aux aéroports et aux autorités européennes. Mais la Commission n’est pas très réceptive. Elle ne considère ainsi pas que ces opérations militaires soient des situations exceptionnelles, vu qu’elles sont planifiées à l’avance, développe le commandant de bord. Nous estimons au contraire que ce sont des exercices dynamiques et donc peu prévisibles. Avec le système de rotation des avions, si votre premier vol est en retard, cela amène des problèmes toute la journée”.
La décroissance ? "C’est quelque chose pour les privilégiés"
Largement dans le rouge durant la période de Covid, les compagnies aériennes retrouvent des couleurs. Au niveau mondial, les transporteurs aériens devraient dégager cette année 9,8 milliards de dollars de bénéfice net – soit le double de ce qu’envisageait jusqu’alors l’Iata. Ce sont surtout les transporteurs nord-américains, européens et moyen-orientaux qui engrangent des bénéfices. La forte hausse du prix des billets d’avion (“nos passagers n’ont jamais dépensé autant d’argent”, dixit Carsten Spohr, le patron de Lufthansa) n’est sans doute pas étrangère à ces bons résultats. “Pour moi, une hausse des prix est une mauvaise chose, explique Marie Owens Thomsen, cheffe économiste de l’Iata. Il faut garder le transport aérien accessible à tout le monde”. Est-il possible de combiner croissance et objectifs climatiques ? Oui, selon l’économiste. “J’entends parler de décroissance. Mais c’est quelque chose pour les privilégiés en Europe. Les populations d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Australie… ont besoin du transport aérien. L’humanité doit garder une aviation et la rendre durable”.