Les compagnies turques accusées de profiter de la guerre en Ukraine : “Quelle hypocrisie de l’Europe”
Les compagnies aériennes turques ne se sont jamais aussi bien portées. Turkish Airlines va ainsi bientôt annoncer la plus grande commande d’avions de l’histoire de l’aviation. Les aéroports turcs continuent aussi à accueillir touristes et compagnies aériennes russes. Ce qui fait grincer des dents certains Occidentaux.
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- Publié le 06-06-2023 à 11h01
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Il faut aimer marcher pour retrouver son chemin dans l’immense et flambant neuf aéroport d’Istanbul, simplement nommé Istanbul Airport. L’aéroport stambouliote, situé au bord de la Mer Noire, côté européen et à une quarantaine de kilomètres du centre-ville, est devenu l’année dernière l’aéroport d’Europe le plus fréquenté, détrônant les traditionnels Londres-Heathrow, Francfort et autre Paris Charles de Gaulle.
Mais les Turcs veulent aller plus loin. À moyen terme, leur ambition est de faire d’Istanbul Airport la plus grande plateforme aérienne au monde, avec 200 millions de passagers par an. On reste dans les superlatifs quand on parle de Turquie et de secteur aérien. Aucune compagnie ne dessert autant de destinations, 128 pays et 321 villes, que Turkish Airlines. Et ce n’est qu’un début. La première compagnie du pays s’apprête ainsi à réaliser la plus importante commande d’avions jamais réalisée dans l’histoire, avec 600 avions, dont 200 aéronefs gros porteurs.
Un retard dû aux élections présidentielles
Ahmed Bolat, le président de Turkish Airlines voulait d’ailleurs frapper un grand coup lors de l’assemblée générale de l’Iata ; l’association internationale du transport aérien, en faisant cette annonce historique à Istanbul où sont réunies les responsables de 300 compagnies venus des quatre coins de la planète. Mais le transporteur semi-étatique turc, qui a engrangé des “profits records” le dernier trimestre, a finalement reporté sa décision de “deux mois”. “On doit encore affiner les détails de cette commande, explique le patron turc qui est un proche du président Recep Erdogan. L’idée est de faire appel aux deux principaux constructeurs aéronautiques, mais on ne sait pas encore quelle sera l’exacte proportion des commandes entre Boeing et Airbus”. Selon Ahmed Bolat, des discussions sont bien avancées avec l’un des deux grands constructeurs.
Ce retard serait aussi dû, selon lui, aux élections présidentielles en Turquie “qui ont duré plus longtemps que prévu”. “Heureusement, elles se sont déroulées pacifiquement”, souligne Ahmed Bolat qui aurait sans doute perdu son job en cas de défaite d’Erdogan, comme le souligne un observateur local.
Mais retour à l’aéroport d’Istanbul. un œil averti aura remarqué quelques jets privés avec des drapeaux russes cachés entre la flotte massive de Turkish Airlines. Une oreille entraînée aura aussi reconnu les accents à consonance slaves de pas mal de voyageurs. Contrairement à ses partenaires de l’Otan, la Turquie continue d’accueillir touristes (ou exilés) et compagnies russes sur son territoire, en dépit des sanctions occidentales liées à la guerre en Ukraine.
Antalaya, destination préférée des Russes
D’après une étude récente du spécialiste Forwardkeys, dans l’année qui a suivi le début de la guerre, la capacité en sièges entre la Russie et la Turquie a augmenté de 26 % par rapport à la période équivalente avant la pandémie. La destination touristique préférée des Russes en dehors de la Russie serait ainsi la station balnéaire turque d’Antalaya, avec des vols au départ des trois principaux aéroports de Moscou, Vnukovo, Domodedovo et Sheremetyevo, qui ont augmenté respectivement de 144 %, 77 % et 74 % par rapport aux niveaux d’avant pandémie.
Les Turcs sont accusés non seulement d’accueillir les Russes, mais aussi d’entretenir les avions occidentaux des compagnies russes quand ils sont stationnés dans les aéroports turcs. De quoi permettre aux Boeing et autre Airbus immatriculés en Russie de “survivre” plus longtemps malgré l’embargo occidental sur les pièces détachées. Un pas trop loin pour le gouvernement des États-Unis. Les responsables américains ont ainsi récemment mis la pression sur la Turquie pour qu’elle empêche les compagnies aériennes russes de desservir son territoire avec des avions de fabrication américaine. Parmi les responsables des compagnies européennes, on grince aussi des dents. Certains évoquent ainsi le “double jeu parfait de la Turquie qui fournit des armes à l’Ukraine, tout en accueillant à bras ouverts les Russes” .
Une relation “forte” avec nos voisins les Russes
Un discours qui fait sourire jaune derrière ses imposantes moustaches Mehmet Nane le président de Pegasus, la deuxième compagnie du pays. “Quand les Européens achètent du gaz et du pétrole à la Russie personne ne dit rien. Mais quand les Russes viennent en Turquie, c’est un problème. Quelle hypocrisie et quelle injustice. Vous devez comprendre que les Russes sont nos voisins et que nous avons une relation forte avec eux, tout comme avec les Ukrainiens”.
Selon M. Nane, près de dix millions de Russes auraient voyagé l’année dernière en Turquie s’il n’y avait pas eu la guerre. “Nous n’en avons accueilli que 4 millions. Il faut aussi avoir cela en perspective.”. “Les Russes vont ailleurs, ils prennent des vols de Qatar Airways, Emirates ou Etihad pour aller au Moyen-Orient”, assure de côté côte Ahmed Bolat qui parle aussi d’une baisse récente de touristes russes en Turquie. “Si les gens veulent revenir chez nous, ils sont toujours les bienvenus. On accepte tout le monde”. Turkish Airlines veut d’ailleurs doubler le nombre de touristes provenant des États-Unis en Turquie et envisage des vols directs entre le Bosphore et l’Australie. Du moins quand elle aura ses nouveaux avions lui permettant ce très long trajet sans escale.