Charleroi, la poule aux œufs d’or de Ryanair : "Tout cet argent ne profite pas vraiment à la Wallonie"
Les seize avions de la compagnie low cost basés à Charleroi sont sans doute les plus rentables des 500 qu’utilise Ryanair sur son réseau. Les Irlandais gagnent 21 euros par passager au départ de l’aéroport wallon, soit largement plus que dans toutes leurs autres grandes bases. Des profits importants – 160 millions d’euros en 2022 – qui posent question en plein conflit social.
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- Publié le 11-08-2023 à 09h08
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À chaque nouvelle grève du personnel belge de Ryanair, la même question se pose : la compagnie irlandaise va-t-elle quitter notre pays ? Michael O’Leary, le patron du groupe, l’a déjà montré à maintes reprises, il a la gâchette facile quand il faut retirer des avions et des équipages d’aéroports jugés peu conciliants ou qui ne cèdent pas à ses chantages. L’aéroport de Bruxelles-National en a fait l’amère expérience cet hiver lorsque le big boss irlandais a décidé de fermer sa base de Zaventem. En cause ? Des taxes estimées trop élevées par la direction de Ryanair. Pour rappel, ce retrait d’avions de l’aéroport national n’empêche pas la compagnie low cost de continuer à opérer à Zaventem, mais uniquement avec des équipages et des avions “étrangers”.
Plus rentable que Londres, Dublin ou Bergame
Dès lors, pourquoi la compagnie ne se retirerait-elle pas définitivement de la Belgique, un pays où la “grève est un sport national”, selon les termes de Michael O’Leary, et qui impose un système d’indexation automatique des salaires que Ryanair entend ne pas respecter ? “Merci pour tout et adieu” : l’équation semble facile pour le patron irlandais. Sauf qu’il y a un grand “mais”… Contrairement à Zaventem, l’aéroport de Charleroi n’est pas qu’une pièce lambda sur l’échiquier du large réseau de Ryanair. Base historique – depuis 2001- de la compagnie low cost, Charleroi est aussi l’une des plus rentables parmi les 91 aéroports où Ryanair a stationné des avions.
L’année dernière, les Irlandais ont ainsi gagné 160 millions d’euros à Charleroi, soit 21 euros par passager passant par l’aéroport wallon. C’est largement plus que les trois plus grandes bases de Ryanair, à savoir Londres Stansted (avec un peu plus d’un euro gagné par voyageur), Dublin (16 euros par passager) ou Bergame en Italie (8 euros). Notons que Zaventem, et ses 8 euros gagnés par passager en 2022, est loin d’être un fiasco financier pour Ryanair, même si la compagnie y a fait des pertes lors des deux années de Covid. En termes de trafic, Charleroi, et ses 7,6 millions de passagers transportés par Ryanair en 2022, se trouve derrière Londres Stansted (20 millions de passagers), Dublin (15 millions) et Bergame Orio Al Serio (12 millions).

Le carton d’Alicante et… de Suceava
Ces chiffres proviennent d’un spécialiste britannique de l’aviation dont nous garderons le nom confidentiel. Les données qu’il récolte sont échangées à prix d’or par les compagnies et les aéroports. “Ces chiffres sont très précis et fiables. Ils permettent, par exemple, à une compagnie de choisir une destination ou un aéroport plutôt qu’un autre”, explique un expert du secteur. Rien que sur sa ligne Charleroi-Alicante, en Espagne, Ryanair a ainsi engrangé près de 8 millions d’euros l’année dernière, soit un bénéfice de près de 45 euros par passager et un taux de rentabilité de 50 %. (il est de plus de 30 % sur l’ensemble des vols de Ryanair à Charleroi, “un record”). “Ces chiffres sont hallucinants, poursuit notre source. En plus, ils ne tiennent pas compte des revenus annexes, comme la vente dans les avions, dont les Irlandais sont devenus les champions du monde.” Des destinations beaucoup moins connues, comme la ville de Suceava, dans le nord de la Roumanie, sont aussi de jackpots pour Ryanair depuis Charleroi.
Des billets plus chers en Belgique
En Belgique, la compagnie à bas coûts peut aussi se permettre de vendre des billets plus chers qu’ailleurs. Ils étaient facturés en moyenne, en 2022, à 72 euros à Zaventem, contre 67 euros pour Charleroi, 65,5 euros à Dublin, 58 euros à Londres Stansted ou 56,5 euros à Bergame. L’aéroport wallon peut compter sur une zone de chalandise large (Belgique, sud des Pays-Bas, nord de la France, une partie de l’Allemagne,…) au pouvoir d’achat élevé. Mais c’est surtout au niveau des coûts que Charleroi fait la différence. Avec une redevance à 2,90 euros par passager, diminuée de 50 % dès les 200 000 voyageurs transportés, Charleroi a des prix planchers qu’on trouve difficilement ailleurs en Europe. À Zaventem, cette même taxe tourne ainsi autour des 25 euros. Les prix de stationnement des avions sont aussi très bas à Charleroi et les compagnies ne paient pas de redevances pour la sécurité.
La concurrence s’agace
Des avantages multiples qui passent de moins en moins bien auprès de la concurrence. Récemment, la compagnie Brussels Airlines, dont le hub se situe à Zaventem, a ainsi porté plainte auprès de la Commission européenne contre les “aides publiques illégales” octroyées à l’aéroport de Charleroi. Il nous revient que d’autres aéroports et compagnies étrangères pourraient emboîter le pas au transporteur belge. “L’aéroport de Charleroi reçoit toujours des subsides, aux alentours de 30 millions d’euros par an, voire davantage, soutient notre interlocuteur. Cela fait forcément grincer des dents dans une Europe qui prône la libre concurrence. Sans cet argent public, l’aéroport serait en perte.”
D’après lui, ces tarifs au rabais n’ont “plus aucun sens”. “Charleroi pourrait tripler le montant de sa redevance et Ryanair resterait. La compagnie irlandaise a gagné 160 millions d’euros l’année dernière à Charleroi (sur un bénéfice total avant taxe de 1,4 milliard l’an dernier, NdlR). Mais cet argent part directement au siège de la compagnie à Dublin : il ne profite pas vraiment à la Wallonie.” Didier Lebbe, permanent CNE abonde dans ce sens. “Pourquoi est-ce qu’on donne de l’argent public à cet aéroport pour permettre à un mafieux (sic) qui ne respecte aucune règle de faire un business aussi lucratif ? , s’interroge-t-il. D’autant plus que toute cette manne financière échappe totalement au fisc belge.”