Une nouvelle émission de bons d’État représenterait des “risques très réduits” pour les banques
Le professeur Eric Dor voit peu de menaces pour le secteur après le succès phénoménal des bons d’État. Il estime que les banques, surtout les grandes institutions diversifiées, ont une marge pour augmenter le taux d’intérêt sur le livret d’épargne.
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- Publié le 07-09-2023 à 07h02
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Les mises en garde faites par les banquiers à la suite du succès phénoménal des bons d’État ont tout l’air de susciter l’incompréhension pour ne pas dire la polémique. C’est que certains arguments semblent être contredits par les chiffres. Essayons d’y voir clair.
Y a-t-il une menace sur la rentabilité du secteur bancaire ?
Hasard du calendrier, l’émission des bons d’État, qui a permis de récolter 22 milliards d’euros, a été lancée au moment de la publication des résultats de plusieurs banques belges au 1er semestre. Et les chiffres qui sont sortis montrent que le secteur se porte très bien. Les six plus grandes banques du pays – BNP Paribas Fortis, KBC, ING Belgique, Belfius, Argenta et Crelan – ont enregistré en Belgique un bénéfice net cumulé de 3,1 milliards d’euros sur les six premiers mois de l’année. Les revenus d’intérêts augmentent de manière générale, même si une banque comme BNP Paribas Fortis se garde bien de donner des chiffres précis. Chez Belfius, la hausse est de 30 % pour atteindre le milliard d’euros.
Si les marges augmentent c’est parce que les banques ont plus augmenté les taux des crédits (notamment hypothécaires) que ceux des dépôts (en particulier le livret d’épargne). De plus, elles ont bénéficié de la hausse du taux de facilité de dépôt de la Banque centrale européenne (actuellement de 3,75 %) en y plaçant leurs surplus de liquidités.
Mardi, lors de la présentation des chiffres semestriels, Michael Anseeuw, le CEO de BNPP Fortis a parlé d’une “banque solide”. Des propos similaires ont été tenus par le patron de Belfius, Marc Raisière. Ils confirment qu’il n’y a vraiment pas péril en la demeure.
Eric Dor, directeur des études économiques IESEG School of Management (Université catholique de Lille), pense que “les banques ont quand même une marge pour augmenter le taux sur l’encours total des dépôts d’épargne réglementée sans être en pertes, mais la marge de hausse est bien sûr supérieure pour les grandes banques très diversifiées” que pour les banques dont les actifs sont surtout des prêts hypothécaires et les passifs des carnets de dépôts réglementés.
Y a-t-il un risque de stress de liquidités ?
Dans l’entretien accordé à La Libre, Marc Raisière avait mis en garde sur un stress de liquidités, vu les retraits de 22 milliards pour investir dans les bons d’État. “Les banques belges partaient d’une situation de grande abondance de liquidité. On peut donc penser que ce choc de liquidité a pu être aisément supporté”, rétorque Eric Dor.
Au début du mois d’août 2023, les banques situées en Belgique avaient encore 251 milliards d’euros sur la facilité de dépôt de la BCE. Une partie de ces avoirs est détenue par des banques spécialisées comme Euroclear ou Bank of New York Mellon, une autre partie par les banques traditionnelles. “Ces avoirs sur la facilité de dépôt ont pu absorber aisément la diminution des encours des comptes d’épargne suite à l’achat de bons d’État par leurs clients”, poursuit Eric Dor. Et d’ajouter que “même après le petit stress de liquidité dû aux achats de bons d’État par leurs clients, les banques belges doivent avoir encore une très bonne liquidité”.
Une hausse des taux hypothécaires serait-elle logique ?
Interrogé lors de la présentation des résultats sur l’impact de l’émission des bons d’État sur le marché hypothécaire, Marc Raisière avait répondu “craindre qu’elle puisse entraîner une hausse des taux”. Cette réponse a allumé le feu des critiques, car jusqu’à maintenant les banques ont surtout nettement augmenté le taux sur les prêts hypothécaires (chez BNP Paribas Fortis, le niveau moyen oscille entre 3,5 et 4 % ) alors que le niveau moyen sur les livrets d’épargne est resté largement inférieur à 1 %. Comme dit précédemment, les banques sont loin d’être dans une situation critique ni en termes de liquidités ni en termes de rentabilité. De plus, fait valoir un économiste, ce que regardent les banques pour fixer les conditions sur les prêts hypothécaires, c’est le niveau du taux des obligations linéaires à 10 ans qui a tendance à se stabiliser après avoir monté au cours des derniers mois.
Une nouvelle émission de bons d’État représente-t-elle un risque ?
Pour Eric Dor, les risques d’une nouvelle émission de bons d’État sur la liquidité et sur la rentabilité “sont très réduits” parce que, comme expliqué ci-dessus, les banques belges ont des liquidités très abondantes. “Elles pourraient encore se permettre de subir en décembre une fuite de dépôts similaire à laquelle elles sont confrontées maintenant suite aux achats de bons d’État par leurs clients”.
”En termes de rentabilité, les conséquences des émissions de bons d’État sont, d’une part que la diminution induite de leurs avoirs sur la facilité de dépôt, qui leur rapporte 3,75 %, réduit leurs recettes d’intérêts d’autre part qu’elles soient contraintes à augmenter quelque peu le taux payé sur les dépôts d’épargne. Toutefois cela peut être compensé par l’augmentation de leurs revenus d’intérêt sur d’autres actifs que la facilité de dépôt”. Et de conclure que “si les banques sont réticentes à augmenter le taux sur les comptes d’épargne réglementée, c’est surtout parce qu’elles souhaitent orienter plutôt les clients vers des produits qui leur rapportent des commissions comme les fonds de placement”.