Rob Spiro, “serial entrepreneur” américain : “La technologie peut nous aider à rendre le monde meilleur”
Après avoir connu le succès dans la Silicon Valley, cet entrepreneur de 38 ans s’est installé en France, où il a créé un start-up studio à impact. Rob Spiro, de passage à Bruxelles, nous a parlé de sa “vision idéaliste et humaniste” de l’entrepreneuriat.
- Publié le 09-09-2023 à 08h09
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C’est une success story dont la Californie et sa célèbre Silicon Valley regorgent. Rob Spiro n’a que 21 ans lorsqu’il débarque à San Francisco. Originaire de Chicago, le jeune homme a fait des études d’histoire à Yale, prestigieuse université de la côte est des États-Unis. Une formation plutôt atypique alors que Rob Spiro savait, avant même d’entamer ses études, ce qu’il voulait devenir : entrepreneur dans le secteur des technologies. “Je me suis dit qu’il valait mieux opter pour des études qui allaient m’ouvrir l’esprit et m’apporter une compréhension de l’évolution de nos sociétés, notamment en matière d’innovation, plutôt que d’étudier une matière comme le management que j’apprendrais de toute façon en devenant entrepreneur”, justifie-t-il lors de l’entretien qu’il nous a accordé, cette semaine, à Bruxelles à l’occasion de l’événement “Impact Now” organisé par le Réseau Entreprendre Bruxelles.
Dès son adolescence, Rob Spiro avait appris, par lui-même, le codage informatique. “C’était l’époque où l’informatique était en train d’exploser, aux États-Unis, et ça m’a rapidement passionné”. Son rêve de devenir entrepreneur dans la tech passe inévitablement par San Francisco et la Silicon Valley. En 2007, il lance la start-up Aardvark, avec trois autres associés. Aardvark est un “moteur de recherche social”, très précurseur à l’époque, qui aide à répondre aux questions posées par les utilisateurs en créant des liens avec les réseaux sociaux. Le succès suscite rapidement l’intérêt de fonds de capital à risque et de… Google. Ce dernier met 50 millions de dollars sur la table pour acquérir Aardvark et, par la même occasion, intégrer Rob Spiro aux équipes d’ingénieurs de Google. “J’y suis resté un peu plus d’un an, raconte-t-il. J’ai notamment aidé à intégrer la technologie Aardvark dans ce qui est devenu Google Assistant”.
De Mountain View à Nantes
Mais Rob Spiro se lasse assez vite de la vie à Mountain View. Il aspire à mener des projets plus terre à terre, qui font sens et peuvent avoir un impact positif. En 2011, il fonde Good Eggs, un site de livraison de produits frais et locaux. “L’ambition était d’utiliser les leviers financiers et les technologies de la Silicon Valley pour aider les petits agriculteurs californiens”. Là aussi, le succès est au rendez-vous. En moins de cinq ans, l’effectif de l’entreprise, soutenue notamment par les fonds Sequoia Capital et Index Ventures, grimpe à 300 personnes et, en 2015, Rob Spiro décide de céder la gestion opérationnelle de Good Eggs pour suivre sa jeune épouse en France.
“J’ai été surpris par le niveau des talents et l’état d’esprit des entrepreneurs. À Nantes, il y a une entraide entre les entrepreneurs beaucoup plus forte qu’en Californie.”
C’est à Nantes, à 50 kilomètres de l’océan Atlantique, que Rob Spiro s’installe. Après avoir songé à ouvrir un restaurant, il fonde, en 2017, le start-up studio Imagination Machine, avec pour conviction que “l’entrepreneuriat est l’une des voies pour changer le monde”. Ce qui l’a le plus étonné en quittant la Silicon Valley pour le “petit” écosystème entrepreneurial nantais ? “J’ai été surpris par le niveau des talents et l’état d’esprit des entrepreneurs. À Nantes, il y a une entraide entre les entrepreneurs beaucoup plus forte qu’en Californie, où la culture entrepreneuriale est beaucoup plus compétitive”. En cinq ans, huit premières start-up sont sorties du studio Imagination Machine. Une nouvelle cohorte de projets à impact sociétal et environnemental a été lancée, voici un an, à la suite d’un second tour de table de 10 millions d’euros.
L’IA générative peut-elle contribuer à un monde meilleur ?
Quel sens donne-t-il à “start-up à impact”, concept mis aujourd’hui à toutes les sauces ? “C’est surtout une question d’approche et de culture, répond Rob Spiro. On utilise souvent les 17 Objectifs de développement durable de l’Onu pour définir la mission de ce type de start-up et la problématique qu’elle cherche à résoudre”. Le serial entrepreneur américain, qui vit aujourd’hui entre Nantes et Utrecht aux Pays-Bas, se réjouit de voir les Européens plus conscients et soucieux des enjeux climatiques, par comparaison avec ses compatriotes. “Il y a aussi une connaissance et une expertise plus importantes en Europe, souligne Rob Spiro. Ces éléments devraient inciter les Européens à se montrer actifs dans les projets à impact. Beaucoup de fonds d’investissement à impact ont d’ailleurs vu le jour ces dernières années”. Encore faut-il avoir une culture du risque… Ce qui n’est pas toujours le cas. “Les Européens voudraient savoir, avant même d’investir, si un projet va réussir. Mais ça ne fonctionne évidemment pas comme ça. Cette culture du risque, et le rapport à l’échec, reste l’une des grandes différences entre la culture européenne et celle de la Silicon Valley”.
Interrogé sur l’effervescence autour de l’intelligence artificielle (IA) générative (née dans le sillage du lancement de ChatGPT par la société californienne OpenAI), Rob Spiro livre une analyse témoignant de sa vision “idéaliste et humaniste” de l’entrepreneuriat. “Est-ce que l’IA générative peut contribuer à rendre le monde meilleur, interroge-t-il. La bonne question à se poser est de savoir ce qu’on veut en faire. Ce n’est pas l’IA qui doit déterminer notre vision du monde. Il faut, d’abord, avoir une vision et, ensuite, voir en quoi l’IA et d’autres technologies peuvent y contribuer. Malheureusement, il y a aujourd’hui un manque de visions inspirantes”.
La tech au service de l’éducation
Si Rob Spiro juge très inspirant, “d’un point de vue technologique”, ce que font OpenAI ou Google (avec Bard) en matière d’IA génératives, il s’interroge sur la vision sociétale et environnementale portée par les géants américains de la tech. “Cela sert surtout à renforcer leur puissance. Mais, selon moi, ils ne proposent pas d’usages pouvant rendre le monde meilleur. Je pense que c’est aux entrepreneurs d’imaginer ces usages de l’IA”.
"L'éducation doit être assurée par des humains. Maintenant, on peut voir dans quelle mesure l’IA générative peut aider les enseignants à mieux éduquer.”
Pour illustrer son propos, Rob Spiro évoque un projet, en cours de développement au sein du start-up studio Imagination Machine, dans le domaine de l’éducation et de l’IA générative. “On voit toute une série de start-up qui essaient de créer des solutions pédagogiques où l’IA générative remplacerait les profs, expose M.Spiro. Cela ne correspond pas à ma vision de l’éducation, qui doit être accessible au plus grand nombre et ne pas se limiter au seul apprentissage de connaissances techniques. L’éducation doit contribuer à ce qu’on appelle, en anglais, le “character”. Cela recouvre des qualités comme la résilience, la créativité, la confiance en soi, … Cette éducation-là, elle doit être assurée par des humains. Maintenant, on peut voir dans quelle mesure l’IA générative peut aider les enseignants à mieux éduquer”.