Les diamants russes enfin bannis d'Europe ? "Le nouveau dispositif va stopper l’hémorragie à Anvers"
À partir de janvier 2024, les pierres précieuses russes devraient être interdites en Europe et dans les pays du G7.
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- Publié le 15-09-2023 à 17h01
- Mis à jour le 15-09-2023 à 17h46
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Il aura fallu le temps. Plus de 18 mois après le début de la guerre en Ukraine, les pays du G7 (la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et le Canada) et l’Union européenne se seraient enfin mis d’accord sur un embargo sur les diamants russes. “L’annonce de sanctions devrait être faite dans les deux à trois prochaines semaines”, explique une source gouvernementale belge.
L’idée est de ne plus faire entrer une pierre russe de plus d’un carat, qu’elle soit brute ou taillée, sur les marchés du G7 et de l’Union dès le 1er janvier 2024. De quoi, espèrent les initiateurs du projet, faire mal aux caisses de la Russie, premier producteur mondial de diamants au monde. Le pays aurait exporté pour près de 5 milliards de dollars de pierres précieuses en 2021, de quoi financer largement sa guerre en Ukraine. Quelques questions se posent sur cet embargo tardif.
1. Qu’en est-il actuellement ?
Les pays occidentaux naviguent en ordre dispersé. Pour l’instant, les seuls à avoir vraiment serré la vis envers la Russie sont les États-Unis qui ont émis un embargo sur les diamants bruts provenant du pays de Poutine. Mais ces sanctions sont allégrement contournées : une fois traitées à Dubai ou taillées en Inde, les gemmes sibériennes entrent facilement sur le marché américain. Même si leur nombre est en forte baisse, on retrouve toujours des pierres précieuses russes en Europe, et plus spécifiquement sur la place d’Anvers, où transitent près de 85 % des diamants bruts dans le monde. Avant la guerre en Ukraine, les diamants russes représentaient plus d’un tiers des pierres traitées dans la métropole flamande. Ce chiffre est en chute. Des bijoutiers influents ont pris l’initiative de ne plus vendre de pierres russes. Le secteur se prépare aussi depuis des mois à cet embargo et a diversifié ses sources d’approvisionnement.
2. Pourquoi ces sanctions ont-elles traîné ?
À la base du projet de sanctions du G7, il y a la petite Belgique. Anvers est la plaque tournante mondiale du diamant et un embargo “direct” aurait, selon les officiels belges, tué la métropole, sans empêcher les diamants russes de s’écouler via Dubai, Tel-Aviv ou Mumbai, d’autres centres diamantaires réputés. Les pays du G7 et de l’Union étaient d’accord sur deux points : il fallait faire mal à la Russie (en évitant de sanctionner trop lourdement Anvers, rappelait la petite voix belge) et il était impératif de mettre un système de traçabilité efficace des pierres pour éviter que cet embargo soit contourné facilement. C’est cette deuxième partie qui aurait pris du temps. Après des mois de discussions, le processus de traçabilité des pierres - mêlant à la fois des techniques de blockchain, plus tard de nanotechnologies, ainsi que la création d’une plateforme de données accessibles aux différents gouvernements - est en passe d’être approuvé.
Le surcoût de cette traçabilité ne reviendrait qu’à “15 à 20 euros” supplémentaires par diamant. Peanuts, quand on sait que certaines pierres se vendent plusieurs dizaines de milliers d’euros. “On va utiliser une technique du XXIe siècle pour répondre à un problème du XXIe siècle”, poursuit-on côté belge, où l’on reconnaît que le système ne sera pas 100 % infaillible. “On tracera 90 % des pierres. On ne pourra pas non plus empêcher un particulier d’aller acheter son diamant en Chine, mais ce dernier doit savoir qu’à la revente sa pierre précieuse ne vaudra pas grand-chose”. À terme, cette nouvelle plateforme pourrait être utilisée pour tracer d’autres matières premières, comme l’or ou même rendre certaines transactions financières plus transparentes.
3. Que deviendra Anvers ?
Si les sanctions ont tardé à tomber, c’est aussi parce qu’il a fallu renverser complètement la logique du marché, affirment les officiels belges. “Depuis des décennies, c’est la Russie, plus grand producteur mondial de diamants, qui dictent les règles. Avec le nouveau système mis en place, ce seront désormais les pays acheteurs qui auront plus de poids”. D’où l’importance d’embarquer les États-Unis, où se vendent 55 % des diamants taillés au monde, dans l’aventure. Si l’on rajoute les pays européens, le Canada et le Japon, près de 75 % du marché mondial des acheteurs de gemmes se fermeront bientôt pour la Russie.
Les officiels belges prévoient ainsi la coexistence de deux marchés durant plusieurs années : l’un “premium” sans les pierres russes et l’un, secondaire – en Chine notamment – où s’écouleront les diamants de Sibérie “à bas prix”. L’idée est que ce deuxième marché s’asphyxie petit à petit. “À terme, les revenus de la Russie vont fondre comme neige au soleil. Le coup sera double : les Russes n’auront plus l’argent pour investir dans l’exploration de nouvelles mines et leur production va fortement diminuer”. Côté producteurs, les grands gagnants devraient être les pays africains, débarrassés de la concurrence russe sur ce marché premium. D’autres pays, comme l’Inde où se taillent l'immense majorité des diamants au monde, auront à faire un choix. S’ils respectent les règles de traçabilité, les tailleurs indiens s’ouvriront le marché “lucratif” du G7 et de l’Europe, autrement ils en seront exclus. Fini aussi les provenances “mixtes” des pierres précieuses. Les polisseurs indiens devront séparer les diamants russes des autres et disposer de deux certificats : l’un prouvant le lieu d’origine de la gemme et l’autre de son lieu de traitement.
Et Anvers dans tout ça ? La ville belge craignait la perte de 10 000 emplois dans le secteur en cas de sanctions sur les diamants russes. La métropole aurait déjà perdu pas mal de jobs au profit d’autres places du diamant comme Dubai, nous souffle-t-on. Mais le nouveau dispositif devrait permettre de “stopper l’hémorragie”. “Anvers va limiter la casse et stabiliser le nombre d’emploi du secteur, assure-t-on côté belge. La Belgique va plus que jamais miser sur la transparence des diamants et on espère que ce choix sera payant au niveau international”.