Le style Raisière, des phrases maladroites, des coups manqués mais des résultats incontestables pour Belfius
Le CEO de Belfius pourrait-il être mis sur la sellette après ses dernières déclarations sur les taux hypothécaires ? “Il n’y a pas de rupture de confiance”, nous confie un membre du gouvernement. Décryptage du parcours de Marc Raisière, de ses réussites à ses coups manqués, comme le rachat de Degroof Petercam.
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- Publié le 15-09-2023 à 06h42
- Mis à jour le 15-09-2023 à 10h10
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Trouver la bonne réponse à une question piège. C’est un exercice difficile auxquels sont soumis tous les patrons, surtout si leur entreprise est en point de mire. Marc Raisière, le CEO de Belfius, est bien placé pour le savoir. Ses dernières déclarations, notamment sur le risque de hausse des taux hypothécaires à la suite du succès phénoménal des bons d’État, sont mal passées, en particulier au sein de la Vivaldi. "À deux reprises, il a eu des paroles maladroites, qui ont été peu appréciées par des membres du gouvernement", nous explique un ministre fédéral. La fois précédente, c’est quand il avait lâché, en pleine crise du Covid, qu’un certain nombre de restos et cafés étaient condamnés à la faillite, ajoutant que "les économies ont de temps à autre besoin d’une vague d’assainissement". Cette sortie, qui visait tout un secteur en souffrance, avait fait encore plus un tollé que celle sur les taux. Peut-être parce que sa dernière déclaration rejoint, somme toute, le raisonnement d’économistes comme Geert Noels selon lequel il y a des "vases communicants" entre les taux des livrets d’épargne et ceux sur les crédits hypothécaires. Sauf que Belfius, comme d’ailleurs toutes les autres grandes banques du pays, traîne les pieds pour augmenter le taux sur ses livrets d’épargne.
"Un rôle exemplaire"
Et c’est cela qui irrite certains membres de la Vivaldi, d’autant que la banque, détenue à 100 % par l’État belge, affiche des bénéfices semestriels records. Elle "doit jouer un rôle exemplaire. Il y a un vrai souci sur la rémunération de l’épargne. Les niveaux actuels sont difficilement explicables. La banque pourrait en faire davantage. C’est une question de rapidité et de proportion.", poursuit cette source gouvernementale. Tout en estimant, également, que les "emprunts doivent, eux, rester accessibles".
Il y a un vrai souci sur la rémunération de l’épargne. Les niveaux actuels sont difficilement explicables. La banque pourrait en faire davantage.
Mais visiblement, la direction de Belfius ne l’entend pas de cette oreille. Marc Raisière n’a de cesse de répéter qu’il a la responsabilité d’avoir une banque solide et rentable. Et il a, semble-t-il, le soutien inconditionnel de son conseil d’administration (CA) qui fonctionne de manière totalement indépendante de l’actionnaire public, même si les différentes propositions d’administrateurs sont soumises à l’approbation du comité ministériel restreint ("kern"). "La première préoccupation du CA est de bien gérer les risques", nous dit-on. Alors, Marc Raisière se met-il en danger en tenant un discours qui ne plaît pas au monde politique ? Il semble que non. "Je ne sens pas une sorte de rupture de confiance", nous dit un membre du comité ministériel restreint (kern).
Fin du mandat en 2025
Même s’il doit ne pas aimer ces critiques, Marc Raisière peut dormir sur ses deux oreilles. Sauf imprévu, il devrait aller au bout de son mandat de CEO, qui vient à échéance au printemps 2025. Il aura alors 62 ans et sera depuis 11 ans à la tête du bancassureur où cet actuaire de formation est entré en 2012, dans la branche assurance. "La question de son renouvellement se posera en 2025", indique un membre du kern. Marc Raisière sera-t-il candidat à sa réélection ? Le service de presse de la banque laisse la question ouverte. Il se raconte, toutefois, qu’il pourrait plutôt viser la présidence actuellement assurée par l’avocat flamand Chris Sunt. Et, selon les rumeurs qui courent dans le secteur, son successeur serait déjà tout trouvé. Ce serait Olivier Onclin, qui est responsable, au sein du comité de direction, des activités de banque de détail ("le retail"). Cet homme réputé "intelligent", "travailleur", mais "pas toujours facile", a visiblement toutes les qualités requises, y compris d’être néerlandophone. Ce qui permettrait de respecter l’équilibre linguistique (un président francophone, un CEO néerlandophone).
La question de son renouvellement sera posera en 2025, indique un membre du "kern". Mais Marc Raisière sera-t-il candidat à sa réélection ?
En attendant cette échéance de 2025, il est clair que Marc Raisière présente un bilan dont il peut être fier. Même si son style de management peut faire grincer des dents. La façon abrupte dont il n’hésite pas à écarter certains dirigeants, comme l’ancien responsable de l’assurance, montre qu’on a intérêt à répondre à ses attentes ou à ses demandes.
Les résultats du groupe, proches du milliard d’euros en 2022, permettent une distribution d’un dividende de plusieurs centaines de millions d’euros par an (384 millions pour l’exercice 2022) à son actionnaire public. "L’État n’a vraiment pas à se plaindre", estime un expert du monde bancaire.
Le rachat de Degroof Petercam
Très branché marketing, Marc Raisière a, notamment, fortement misé sur l’activité très rentable du "private et wealth", c’est-à-dire de banque privée, y compris pour des gros portefeuilles. Et pour y arriver, il met les moyens, allant débaucher à tour de bras des gestionnaires, sponsorisant des sports pratiqués par un milieu aisé, comme le hockey, et organisant des événements tous azimuts, notamment au Zoute, son lieu de villégiature de prédilection.
C’est pour développer ce créneau qu’il aurait voulu acheter Degroof Petercam. Il croyait dur comme fer à ce deal, malgré les réserves parfois exprimées par certains collègues de son comité de direction. Mais, comme pour Ethias qu’il lorgnait également, il n’a pas réussi à avoir le dernier mot. "Les négociations ont été très loin, avant d’être stoppées en juin dernier. Il a accusé le coup car il avait très envie de racheter la première banque privée du pays", nous raconte un proche du dossier.
S’il n’a pas décroché le morceau, c’est parce qu’il n’a pas réussi à convaincre la famille d’armateurs flamands Cigrang de vendre sa participation d’un peu plus de 20 %, alors qu’il voulait 100 % du capital. "Il n’est pas parvenu à séduire Christian Cigrang. C’est dommage parce que de nombreux actionnaires familiaux belges avaient beaucoup de sympathie pour le projet belge porté par Belfius", poursuit cette source. Cette très riche famille d’origine anversoise n’a pas voulu vendre "parce qu’elle a trop de cash, près de 700 millions d’euros. Elle n’avait pas besoin de vendre", explique une autre source proche du dossier.
Il n’est pas parvenu à séduire Christian Cigrang. C’est dommage.
Le groupe français Crédit Agricole a, lui, accepté de lancer une offre publique d’achat sans reprendre les actions de Cigrang. Marc Raisière y voit une nouvelle occasion manquée pour la Belgique. Car c’est un fleuron de plus qui passe dans des mains étrangères. D’autant qu’on peut imaginer qu’un jour ou l’autre, les Cigrang vendront leurs parts. La petite phrase lâchée par le CEO de Belfius dans l’interview accordée à La Libre témoigne suffisamment de son état d’esprit. "D’un point de vue personnel, j’espère que les familles qui ont vendu à l’étranger ne parleront plus de l’importance d’un projet belge et d’un centre de décision en Belgique", avait-il dit. Un projet belge qui avait le feu vert du Premier ministre, Alexander De Croo, et du ministre des Finances, Vincent Van Peteghem. C’est en tout cas ce que Marc Raisière affirmait dans son entourage.
S’il s’était concrétisé, ce deal d’au moins 1,5 milliard d’euros n’aurait-il quand même pas fait l’objet de critiques, en particulier de la part de l’opposition, voire des partis de gauche de la Vivaldi ? On ne le saura jamais. Tout est possible, surtout en cette période de précampagne électorale où le monde politique a bien compris que les critiques sur le secteur bancaire peuvent faire gagner des voix… Mais ça, c’est encore une autre histoire.