Les risques du métier d'investisseur immobilier
Publié le 16-08-2018 à 10h04 - Mis à jour le 16-08-2018 à 10h57
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Ce complément de revenu cache un supplément de travail, mais pêche par manque de diversification. Etienne de Callataÿ, fondateur en avril 2016 et administrateur de la société d’investissement Orcadia Asset Management, n’a rien contre les briques. Il en possède d’ailleurs à titre privé. Il n’en est pas moins très critique sur l’investissement immobilier. Pour ce chantre de la diversification, acquérir un second bien alors qu’on est déjà propriétaire, c’est… un peu mettre tous ses œufs dans le même panier. "Et cet avis n’est pas biaisé par le fait que je suis actif dans le secteur de l’investissement sur les marchés financiers", insiste-t-il. "Il n’y a pas de conflit d’intérêt. Je ne vais pas dire pis que pendre de l’immobilier parce que c’est le premier rival de la Bourse." D’ailleurs, "le premier trait de la qualité de vie en Belgique, c’est la qualité de l’habitat, plus que la taille d’un portefeuille-titres."
Mais dès qu’on évoque l’investissement pur, Etienne de Callataÿ est réticent. Car à "complément de revenus" tirés de la brique, il ne faut pas oublier d’ajouter "supplément de travail" (gestion, entretien…). Et "risque" par manque de liquidité et de diversification. "Pour la majorité des gens, l’investissement dans l’immobilier n’est pas à recommander."
L’alternative de la brique papier
Par contre, sur l’immobilier-papier (sociétés immobilières cotées), il est plus positif. "On s’expose à des profils de risque variés : un peu de bureaux, de retail, de logistique… Même si ce n’est pas radicalement différent puisque cela reste de l’immobilier, cela reste en Europe et cela reste sensible aux taux d’intérêt." S’il devait, et il le fait, conseiller ses clients, il opterait pour un indice immobilier mondial ou pour de l’immobilier englobé dans des paniers nationaux, au même titre que les télécoms ou la distribution. Un choix à l’image de ce sur quoi Orcadia se focalise : des entreprises cotées en Bourse qui font mieux que la moyenne sur le plan social, environnemental et de la gouvernance. "On travaille en Belgique, on habite en Belgique… Ce serait dommage d’y concentrer aussi le risque d’investir."
Avec ceci, selon lui, que l’immobilier est difficilement interprétable. En Belgique certainement, aussi stable soit-il. "Il est très difficile de mesurer la variation effective des prix de la brique belge car le marché est extrêmement hétérogène. Si, comme aux Etats-Unis, nous avions des rues entières de maisons identiques, ce serait possible. Mêmes biens, même quartier, même risque. Mais chez nous, il n’y a pas deux biens les mêmes. Et les ventes fluctuent d’année en année. Comment peut-on avoir un indice correct ? Les moyennes sont d’autant plus dangereuses qu’on n’achète pas un bien moyen mais un bien précis." Même s’il avoue qu’il faudrait "être myope pour dire que ceux qui ont acheté de l’immobilier dans les années 80 n’ont pas fait de bonnes affaires"…
"Le temps consacré à la gestion locative de son bien est trop rarement valorisé"
Les taux d’intérêts hypothécaires sont bas, les formules innovantes (crédit à terme fixe…) : tout pousse à investir dans la brique. A tort ?
La banque nationale a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet et a confié ses inquiétudes quant à un possible surinvestissement dans l’immobilier. Les gens n’achètent-ils pas trop cher ? Ne s’endettent-ils pas trop ? Certes, placer son argent dans la brique est attractif dans le contexte actuel de taux d’intérêts au plancher car cela permet de s’endetter à bon compte et de bénéficier d’un rendement plus attractif que celui du livret d’épargne. Mais en terme de risque, on ne parle pas du tout de la même chose. Le livret d’épargne est un produit très sûr. La crise de 2008 l’a prouvé. L’épargne est restée intacte, à l’inverse de la brique… Or, la règle d’or en finance est de penser au risque avant de penser au rendement. En immobilier, malheureusement, le risque est sous estimé, et ce, d’autant plus qu’il ne s’est pas manifesté à grande échelle en Belgique ces dernières décennies.
Quel est ce risque ?
Il est multiple. De un, l’investissement immobilier n’est pas assez diversifié. Si on investissait dans tous les types de biens dans tous les quartiers de toutes les villes de tous les pays du monde, la donne serait différente. On ne mettrait alors pas tous ses œufs dans le même panier. De deux, la brique manque de liquidité. Vous avez un coup dur et vous disposez d’un portefeuille d’actions, vous en vendez quelques-unes. Impossible, en immobilier, de se séparer d’une des trois chambres de l’appartement. De trois, la brique est sensible aux taux d’intérêt. Il y a un lien inverse, on le sait, entre les taux et les prix de l’immobilier. Quand les premiers augmentent, les seconds ont tendance à baisser et inversement. Les taux sont actuellement historiquement bas. Ils ne peuvent que remonter. Le quatrième facteur de risque est d’ordre politique, et en particulier lié à la fiscalité.
Pourtant celle-ci est plutôt favorable à l’immobilier ?
La fiscalité immobilière est une double source de préoccupation en Belgique. Elle est relativement faible par rapport à d’autres pays et, même, par rapport à d’autres matières. Il y a donc de la marge pour l’alourdir. Sans oublier qu’elle est complètement déconnectée de la réalité du marché résidentiel puisque fondée sur le revenu cadastral indexé. La deuxième raison tient au caractère… immobile de l’immobilier, visible et difficilement déménageable. La brique est la victime toute désignée pour un pays en mal de financement de ses dépenses (retraites, soins de santé…). D’autant qu’il vaut mieux taxer l’immobilier que le travail ou l’activité économique, ce qui serait contre-productif.
Partagez-vous l’avis de la banque nationale, et inciteriez-vous aussi les investisseurs à la prudence ?
Oui et non. L’investissement à titre de propriétaire-occupant reste hautement recommandable. Et ce, en dépit du fait que les droits d’enregistrement ne bénéficient pas d’un système de portabilité en Belgique francophone, à l’inverse de ce qui se fait en Flandre. Les droits versés sont perdus en cas de revente impromptue du bien. Par contre, les facteurs de risque que j’ai cités prévalent pour l’investissement à titre de placement. Et particulièrement la possible hausse des taux d’intérêts.
Mais les emprunteurs qui bénéficient des taux d’intérêts bas optent pour la formule du taux fixe. Ils seront donc peu impactés par une remontée des taux.
Bien sûr. Mais en cas de revente de l’appartement ou de la maison acquis pour une raison quelconque, la valeur du bien sera impactée à la baisse par une hausse des taux d’intérêts hypothécaires.
Vous prônez avant toute chose la diversification des actifs mais, pour acheter un peu de tout partout, il faut disposer des fonds nécessaires. Quand on est limité par un budget maximal de 200 000 euros, par exemple, c’est difficile à réaliser.
Dans ce cas, je ne recommanderais pas l’investissement immobilier. En effet, celui qui a ‘seulement’200 000 euros à placer est probablement propriétaire de son logement par ailleurs. Dans son patrimoine financier global, cet investisseur se réclame donc déjà d’une poche immobilière conséquente. Pour la plupart des ménages, l’immobilier représente en effet largement plus de la moitié de leurs avoirs. Ce n’est pas sage d’investir dans l’immobilier dans ces conditions. Certes, cela semble prudent, ayant donné de bons résultats par le passé, mais ce n’est pas sans risque. Il suffit pour s’en convaincre d’interroger ceux qui ont signé de mauvaises affaires, même s’ils sont minoritaires.
Reste que l’immobilier est une des rares formes d’investissement à bénéficier de l’effet de levier de l’emprunt hypothécaire. On ne conclut pas de crédit pour investir en Bourse.
C’est vrai. Pour reprendre l’exemple précédent, il suffit de quelque 50 000 euros de fonds propres pour en emprunter 200 000, s’acheter un appartement que l’on met en location et s’assurer un rendement intéressant, qui couvre les frais d’emprunt et dégage même une petite marge intéressante. Mais ce que le propriétaire-bailleur ne réalise pas toujours, c’est la valorisation du temps qu’il consacre à la gestion locative de son bien : trouver un locataire, organiser les visites, signer les baux, percevoir les loyers, entretenir le bien… Il s’agit d’un travail conséquent, qui, s’il est effectué par un tiers, est rémunéré par une part significative du loyer à titre de commission. Pour beaucoup, ce n’est pas un souci, cela revient à travailler plus pour gagner plus. Mais il faut en avoir conscience quand on se lance.
"Concilier rendement et plaisir est illusoire sur les marchés financiers"
On parle beaucoup des nouvelles façons d’habiter : colocation, habitat groupé, "tiny houses"… Est-ce une piste d’investissement intéressante ?
C’est une forme de diversification comme une autre, certainement. Il n’est pas recommandé, pour quelqu’un qui habite à Uccle par exemple, d’investir dans un appartement à… Uccle. Non pas que j’ai quoi que ce soit contre cette commune, mais parce que c’est une concentration du risque. Si demain il est décidé que les avions survolent Uccle et non plus Woluwe, cela se ressentirait vraisemblablement sur le prix de l’immobilier à Uccle. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut inciter les investisseurs à s’engouffrer massivement dans ces nouveaux types d’habitat, car ce serait commettre la même erreur de non-diversification.
Que dire de formules comme le viager, ou l’investissement dans des produits non-résidentiels de type garage ?
A nouveau, c’est une diversification de ses actifs. Le cas des garages est intéressant, ceci dit. Le nombre de voitures en Europe est appelé à baisser de 25 % dans un horizon de 20 ans. Le besoin de garages sera par conséquent moindre qu’aujourd’hui. Celui qui y a mis toutes ses billes s’en félicite aujourd’hui car il s’agit d’un bon placement, mais rien n’est moins sûr à l’avenir. Les choses changent, et parfois rapidement. Ne prenons pas les performances des 20 dernières années comme une garantie pour les 20 prochaines !
Les garages sont toutefois un exemple très spécifique…
Mais il en est d’autres. Prenons le cas de la 4-façades dans le Brabant, à proximité immédiate de Bruxelles. Ceux qui ont acheté ce type de biens il y a 20 ans ont en fin de compte réalisé un mauvais placement. Ils ont pensé, à l’époque, que Bruxelles allait continuer à se développer et à attirer des personnes à revenus supérieurs, travaillant notamment pour les institutions internationales. Soit des locataires potentiels demandeurs d’une certaine qualité de vie et donc d’une belle villa et d’un jardin de grande taille. Aujourd’hui, avec les problèmes de mobilité, mais aussi de durabilité que l’on connaît, ces villas n’ont plus le même succès et ils déchantent. Il en va de même de certaines localisations. Le voisinage d’une voie autoroutière est actuellement synonyme de perte de valeur. Si demain les voitures sont silencieuses et non polluantes (ce que promettent d’être les voitures électriques), ce qui était un inconvénient peut devenir un avantage. L’inverse est vrai aussi : un quartier réputé peut s’avérer catastrophique si on y ouvre une boîte de nuit ou un parc à conteneurs. Que serait la bonne santé du marché immobilier bruxellois s’il était confronté au déménagement des institutions européennes à Bonn, Berlin ou Varsovie ? Ou à l’effondrement de l’Union européenne et à sa dislocation ? Je ne dis pas que cela va arriver mais c’est un risque comme un autre.
Peu d’économistes conseillent l’investissement dans la brique de loisirs : trop de charges, trop peu de rentrées fixes… Est-ce aussi votre avis ?
L’immobilier récréatif, la seconde voire la troisième résidence est un investissement de type "plaisir". C’est une mauvaise idée à titre de placement, mais une excellente idée pour d’autres motivations que celle-là. Concilier rendement et plaisir est quelque chose d’illusoire sur les marchés financiers. Certes, d’aucuns sont devenus riches avec leur passion pour les vieilles voitures, le vin ou l’art, mais c’est plutôt l’exception que la règle. La meilleure manière de se rendre compte que plaisir et rendement ne vont pas de pair, c’est d’acheter un château. Quoi de mieux en terme immobilier, mais quoi de plus ruineux. Il y a une boutade à ce sujet que j’aime beaucoup : "Comment devient-on millionnaire ? Réponse : en étant milliardaire et en achetant un château." Je ne veux pas avoir l’air de tirer à boulets rouges sur l’immobilier, mais c’est une règle générale : penser que le marché va payer pour financer sa passion est une illusion trompeuse. Il y a plus de gens qui ont brûlé leur culotte que fait fortune en achetant des tableaux. S’ils ont aimé le tableau qu’ils ont mis au mur, tant mieux. C’est cela qui doit être la motivation.