Après la disparition de ses sites industriels, la réhabilitation réussie de Genk
Publié le 17-08-2018 à 18h53 - Mis à jour le 17-08-2018 à 18h54
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Que ce soit avec ses trois charbonnages ou le site de Ford, la cité limbourgeoise a digéré la crise. C-mine, plateforme de créativité avec 46 start-up, cinémas et école supérieure d’art, en est le symbole. D’autres sites industriels belges ont connu une réhabilitation réussie. Ou pas (encore).
Avec l’exposition "The World of Tim Burton" qui vient de s’ouvrir dans le Bâtiment de l’énergie de l’ancien charbonnage de Winterslag, reconverti en C-mine, Genk voit tout à coup les projecteurs braqués sur elle. Mardi dernier, son bourgmestre, Wim Dries, se tenait aux côtés de la commissaire new-yorkaise de l’exposition et ne manquait pas d’apprécier ce moment marquant un peu moins de vingt ans de travail acharné pour faire de sa ville l’une des plus dynamiques de Flandre.
Pour les plus anciens, Winterslag évoque soit une équipe de foot, soit, surtout, l’une des trois mines qui transformèrent radicalement le paysage bucolique du village de Genk, prisé des peintres (Bokrijk tout proche rappelle ce passé et attire encore plus de 350 000 visiteurs annuellement), en une cité minière ayant poussé comme un champignon : Zwartberg, Winterslag et Waterschei engloutiront des travailleurs venus du monde entier et, d’à peine 3 000 habitants en 1901, année où sont découvertes des veines de houille dans ses entrailles, Genk passera allègrement à 65 000 trente ans plus tard.
Durement touchée par la crise, dès 1966, avec la fermeture du Zwartberg puis, en 1986 et 1987, par celle des deux autres mines, la ville risquait de s’enfoncer dans le marasme le plus total. Certes, le Zwartberg avait un temps accueilli un zoo, mais cette activité avait elle aussi cessé.
En 2000, les autorités communales explorent diverses pistes afin de réaffecter chacun de ces sites. Celui de Winterslag accueillera une plateforme dédiée à la créativité. La Ville rachète le charbonnage un an plus tard à la Limburgse Reconversie Maatschappij et se lance dans la réaffectation du site, rebaptisé C-mine en 2005.
Quatre piliers soutiennent le projet C-mine : approche pédagogique, économie créative, divertissement créatif, présentation et création artistique.
Mais alors que les trois anciens sites miniers semblent retrouver des couleurs, l’annonce de la fermeture de l’usine Ford Genk, en 2012, effective en 2014, fait l’effet d’une bombe. Avec plus de 4 000 ouvriers, il s’agissait du plus grand employeur du Limbourg.
Une mutation entamée en 2000
Malgré ce coup dur, la ville a pourtant su se redresser, en mettant la culture et l’innovation en avant tout en préservant et en mettant en valeur les bâtiments et éléments emblématiques du paysage minier.
"En l’an 2000, la Ville a réfléchi à comment impulser une dynamique positive, explique son bourgmestre Wim Dries (CD&V). Et C-mine est le symbole de ce renouveau, avec un complexe Euroscoop aménagé dans l’ancienne lampisterie attirant chaque année 500 000 cinéphiles, un centre culturel ultramoderne, une haute école - la Luca School of Arts - mais aussi un incubateur de sociétés, avec 46 organismes dont 33 spécialisés dans la créativité, employant au total près de 400 personnes : applis, sites et jeux Internet, animations, objets design sont créés tous les jours. Et bien sûr le tourisme, avec C-mine Expedition et les bâtiments miniers. Au total, C-mine attire un million de visiteurs par an."
Avec C-mine, projet public-privé éloigné d’un petit kilomètre du centre-ville, Genk profite pleinement de l’engouement populaire pour l’ancien lieu minier. Et les autres friches ont aussi connu une belle reconversion. Zwartberg vit une métamorphose artistique sous l’impulsion de l’artiste Koen Vanmechelen et son projet Labiomista qui verra le jour en 2019 : il s’agira d’un laboratoire de diversité bioculturelle; logique dans une ville où se côtoient des citoyens aux origines aussi multiples et riches. L’artiste a fait appel au célèbre architecte suisse Mario Botta pour abriter son rêve. Quant à Waterschei, le Thor Park accueille des entreprises tournées vers les technologies vertes. D’anciens mineurs y ont aussi créé un petit musée rappelant l’activité passée. Enfin, l’ancien site de Ford, quatre ans après la fermeture, verra les premières entreprises réinvestir les lieux en novembre prochain. "Et tout le site - soit 140 hectares - devrait être entièrement occupé dès 2019, ce qui représente la création d’environ 2 500 emplois, se réjouit le bourgmestre. Quand je vois où en sont les sites Renault Vilvorde ou Opel Anvers, je peux dire que Genk s’en sort très bien." Les travaux de démolition des anciens bâtiments ont représenté un coût de 6,3 millions d’euros.
Inutile de préciser qu’avec l’événement que constitue "The World of Tim Burton", Genk devrait figurer sur la carte touristique de l’Europe cette année. "Nous tablons raisonnablement sur 35 000 visiteurs, souligne Hanna Simons, la responsable communication de C-mine, mais l’exposition qui est aussi passée en Allemagne, à Brühl, une petite ville comme la nôtre, a drainé bien plus de monde. Donc wait and see."
Quant aux activités inhérentes à C-mine, elles permettent aussi de réfléchir à des synergies en matière touristique, économique ou artistique. "Ici à C-mine, nous avons reconstitué une galerie de mine, donc, durant la C-mine Experience, les visiteurs ont la sensation d’être dans la mine, poursuit le bourgmestre, mais je reconnais que ce n’est pas la même chose qu’une vraie galerie. Même frustration pour les visiteurs du be-Mine à Beringen. Donc, l’idée de développer un circuit minier qui comprendrait Blegny-Mine paraît intéressante et à creuser (sans jeu de mots). Je rappelle que les galeries affleurent à Blegny (moins 40 ou moins 65 mètres). Ici, à Winterslag, la plus proche est à 800 mètres de profondeur", poursuit Wim Dries.
"En revanche, en matière de design, une telle synergie se met en place avec l’Adam de Bruxelles et le Cid, au Grand-Hornu, conclut pour sa part Hanna Simons. Une telle collaboration est importante pour nous car nous voulons attirer des visiteurs francophones. Beaucoup de néerlandophones connaissent le Cid ou l’Adam mais l’inverse n’est pas encore vrai. C’est pourquoi nous avons veillé à ce que toutes les indications et les visites soient données en français."
La Belgique regorge de friches industrielles
Charbonnages, usines d’assemblage, sites d’industrie lourde, ateliers et manufactures, la Belgique regorge de friches industrielles. Rien qu’en Wallonie, on en compte plus de 2000, de toutes tailles et désertées depuis plus ou moins longtemps. Après l’arrêt des activités, que faire de ces terrains souvent très bien situés (proches des autoroutes, voies d’eau ou aéroports) et de ces infrastructures qui, pour certaines, ont une valeur patrimoniale indéniable ?
Les pouvoirs publics n’ont pas toujours réagi rapidement après une fermeture, ou ont été confrontés au très long travail de dépollution, indispensable avant d’envisager une reconversion. A des blocages venant du propriétaire, aussi, qui ne veut pas vendre le terrain et empêche donc une réhabilitation.
Dans le pire des cas, tout est au point mort pendant des années, comme à Anvers où le site d’Opel, fermé en 2010, n’est toujours pas requalifié et laissé à l’abandon. Le port d’Anvers en est le propriétaire depuis 2011, après un bras de fer avec General Motors, mais il ne trouve aucun repreneur.
A Vilvorde, l’usine Renault qui a fermé ses portes en 1997 est désormais partiellement occupée par des PME. Celle de Caterpillar à Gosselies pourrait voir arriver prochainement le constructeur chinois de voitures électriques Thunder Power.
Dans le bassin sidérurgique liégeois, où ArcelorMittal a décidé en 2011 de cesser l’activité des hauts-fourneaux puis, en 2013, de fermer sept usines de la phase à froid, on ne peut toujours rien faire de ces sites désaffectés, à la localisation très stratégique pour des entreprises. En effet, une convention conclue entre la Région wallonne, le sidérurgiste et les syndicats a établi une mise sous cocon de ces outils industriels pendant cinq ans. Elle sera levée en 2019. Le Port autonome de Liège a déjà manifesté son intérêt pour les 200 hectares du site de Chertal qui permettraient d’agrandir la plateforme multimodale Trilogiport.
Le Hainaut mise sur la culture
Les reconversions de friches industrielles ne sont pas qu’économiques, elles sont aussi touristiques et culturelles. En province de Liège, l’ancien charbonnage d’Argenteau-Trembleur est devenu Blegny-Mine. Le public peut y descendre dans les galeries de mine et visiter une exposition permanente sur le charbon. Le Hainaut compte plusieurs exemples de réhabilitations réussies. Citons les deux anciens sites miniers de Crachet-Picquery à Frameries, transformé en un centre de promotion de la culture scientifique, technique et industrielle (le Pass), et celui du Grand-Hornu à Boussu, qui abrite le Centre d’innovation et de design. A Charleroi, la salle de concert Rockerill a pris ses quartiers dans le bâtiment des Forges de la Providence.
A savoir
Port. Genk, c’est aussi un port fluvial situé sur le canal Albert, à mi-chemin entre Liège et Anvers. Créé en 1936 pour les charbonnages du Limbourg, Haven Genk NV., comme il fut renommé en 1999 à la suite de l’acquisition par le groupe Machiels et Arcelor (en 1997), a connu un fort développement comme plateforme trimodale (eau, route, chemin de fer) et terminal containers. Des liaisons ferroviaires ont été ouvertes avec Anvers, Rotterdam ou le Nord de l’Italie. Comme la ville, les installations du port connurent de sérieux agrandissements et modernisations entre 2003 et 2007.