Pourquoi le cadastre wallon des sols pollués ne correspond pas à la réalité
La Banque de données de l’état des sols wallonne colore en "pêche" toutes les parcelles dont elle soupçonne le sol d’être pollué.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/a9eac1ff-2648-4310-ab1f-2491745c3d47.png)
Publié le 28-08-2020 à 12h46 - Mis à jour le 28-08-2020 à 12h47
:focal(1234.5x724.5:1244.5x714.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2MW73KZG4RDIBIUX554MIO7M2I.jpg)
D’emblée, Christophe Nihon, expert et promoteur immobilier bien connu en région liégeoise, patron de l’agence Immoquest et de la société Promactif, reconnaît que l’objet de son courroux relève de la petite bête, du détail administratif. Il convient tout autant du fait qu’il n’est pas aisé de l’expliquer, encore moins de le résumer. Mais le dysfonctionnement qu’il met en lumière n’en est pas moins préjudiciable pour les PME wallonnes comme pour les propriétaires de parcs d’activités économiques et, plus largement, de bâtiments et terrains loués à des PME, assure-t-il.
"Je suis tombé dessus par hasard, suite à une demande d’expertise d’un client entrepreneur en difficulté financière, qui souhaitait connaître la valeur de son bâtiment", retrace-t-il. Lequel a été bien dépité d’apprendre que son bien était implanté sur un sol dont le degré de pollution était officiellement en doute, et qu’avant toute entreprise de mise en vente, il lui faudrait s’armer d’un avocat et d’une étude de sol pour prouver le contraire à l’administration wallonne, carrotage à l’appui. "Dont coût : 10 000 euros", soupire Christophe Nihon. "Un coup dur pour mon client, qui a essuyé des pertes importantes suite au Covid-19 et cherchait par tous les moyens à sortir la tête de l’eau…"
Et l’expert de pointer du doigt la Banque de données de l’état des sols wallonne (BDES), mise en place dans le cadre du décret Sols 2018, entré en vigueur le 1er janvier 2019. Et plus particulièrement le code couleur attribué aux parcelles cadastrales suivant l’état de pollution éventuel du sol, passé ou présent. "En gros, la BDES est un outil qui permet de renseigner les notaires, les banquiers, les administrations communales, et tout qui le souhaite, sur l’état du sol d’une parcelle dans le cadre d’une vente, d’une évaluation, d’un refinancement, d’une demande de permis, etc. C’est un passage obligé et, en soi, une démarche louable, nécessaire et durable", explique Christophe Nihon. "Mais sur le terrain, au lieu de mener une analyse fine des sols réellement pollués, la BDES se fonde sur le recensement des permis d’environnement demandés et obtenus ainsi que sur des études et certificats en matière de sols pollués."
L’effet pervers de la suspicion
Suivant l’existence et la compilation de ces divers documents administratifs, la BDES attribue trois couleurs aux différentes parcelles. Lavande, si le sol présente un risque de pollution sans pour autant constituer une raison suffisante pour lancer une investigation ou une opération d’assainissement. Pêche, si des démarches de gestion des sols ont été réalisées ou sont à prévoir car soit le sol est ou a été pollué, soit il accueille ou a accueilli une activité potentiellement polluante, soit il a fait l’objet d’une investigation ou d’une gestion de pollution. Blanc ou transparent, si la banque de données ne dispose, au moment de la consultation, d’aucun document lui permettant de se prononcer. "Cela ne veut pas dire qu’il y a absence de pollution mais qu’il n’y a pas d’obligation en matière d’investigation ou d’assainissement", argue l’expert.
D’après Christophe Nihon, les PME wallonnes ont 65 % de probabilité de voir leur parcelle être colorée en "pêche", catégorie fourre-tout par excellence dans les tablettes de la BDES. "Qu’ont-elles fait de mal ? Rien, elles ont juste obtenu, légalement, un permis d’environnement. Voire, si ce n’est pas elles, la ou les PME occupant la parcelle avant elles." Or, toute entreprise dont les activités sont susceptibles de causer un danger, des nuisances ou des inconvénients pour l’environnement ou pour l’humain, doit obtenir un tel permis pour décrocher l’autorisation d’exploiter une parcelle ou un bâtiment. "Construire une cabine de peinture est sujet à permis d’environnement, par exemple", pointe l’expert. "Ce qui aura pour résultat, quoique le permis soit obtenu et que la cabine en question réponde à toutes les normes et toutes les précautions requises, de voir la parcelle être recensée en ‘pêche’".
Ce qui, on s’en doute, n’est pas heureux. "L’effet pervers, c’est que la parcelle colorée en ‘pêche’ sera abusivement considérée comme polluée ou suspectée de l’être. Son propriétaire et/ou son occupant ne bénéficient pas de la présomption d’innocence", s’insurge Christophe Nihon. Avec les répercussions défavorables qui s’ensuivent : "distorsion de la valeur économique du bien immobilier, crainte de lenteur et de lourdeur administrative pour un nouvel acquéreur en cas de vente, coûts additionnels liés à une étude du sol pour l’entreprise propriétaire ou occupante, allongement de la durée d’une transaction…"
Plus de nuances
Autre aberration soulignée par l’expert, le fait que les parcelles colorées correspondent à l’état du cadastre au moment de l’introduction des dossiers de demandes de permis d’environnement. "De ce fait, des parcs d’activités économiques se retrouvent avec une majorité de parcelles ‘pêche’ parce que leur morcellement a eu lieu en parallèle ou après les démarches de demandes de permis d’environnement des premiers arrivants", avertit l’expert, qui exhorte la BDES, à défaut d’une vérification en bonne et due forme sur le terrain, à adopter un code couleur plus nuancé et à tenir compte de la "précadastration" pour plus de justesse et de justice.