La métamorphose du centre de Forest : "Il reste très attractif pour les jeunes ménages disposant d’un budget moindre"
À l’ombre de l’abbaye et des usines Audi, le bas de la commune connaît un début de gentrification.
Publié le 17-03-2021 à 14h38 - Mis à jour le 18-03-2021 à 18h36
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Coincé entre deux importantes lignes de chemin de fer, bordé de diverses usines, à commencer par le mastodonte qu’est Audi mais aussi de très nombreux ateliers, le centre de Forest semblait un peu écrasé. Même de la coquette place Saint-Denis ou de l’abbaye éponyme, on aperçoit les murs aveugles du géant automobile.

Dichotomie haut/bas
Et, alors que le haut de la commune pouvait se targuer de posséder parmi les plus beaux quartiers de la capitale, avec notamment les avenues paysagères dominant le parc de Rochefort ou l’exceptionnel, à plus d’un titre, parc Duden, le bas de Forest demandait clairement un lifting sous peine de compter plus de chancres que d’immeubles debout. Même la maison communale accumulait les signes de fatigue avancée. Il est vrai qu’elle datait des années 1920. Pour l’anecdote, le premier terrain envisagé en 1923 pour son érection était situé au 223, chaussée de Bruxelles, ce qui aurait obligé son illustre locataire à déménager mais Léon Wielemans, échevin des Travaux, fut contraint de renoncer sous la pression des habitants et des supporters de l’Union.
Du coup, la commune allait se doter de deux chefs-d’œuvre Art déco : la tribune du club de la Butte et la maison communale, cette dernière sortant d’une très belle campagne de restauration. À l’image de celle-ci, c’est bien l’ensemble du centre de la commune qui fait peau neuve. On ne compte plus les chantiers de construction et les quartiers d’immeubles neufs depuis, en gros, la rue Caporal Trésignies au sud jusqu’au rond-point du boulevard de la Deuxième Armée Britannique au nord.
Vague de gentrification
"C’est vrai que depuis un peu plus de 15 ans que j’ai mon étude avenue Van Volxem, j’ai pu observer cette mutation qui est double d’ailleurs : urbanistique et sociologique", confirme le notaire Jean Martroye de Joly. "Mais ce phénomène de gentrification était assez attendu. Je le compare à une vague partie de la place du Châtelain, qui s’est poursuivie avec la place Van Meenen à Saint-Gilles, et qui déferle depuis le haut de Forest."

Sauf que, si du côté ixellois ou saint-gillois, le bâti demandait avant tout de la rénovation, dans le bas de Forest, c'est une autre histoire. Avec certaines friches industrielles ou tout simplement des espaces laissés vacants le long des voies de chemin de fer ainsi que des immeubles de rapport moins prestigieux que dans le haut de la commune, le quartier doit se restructurer, se mailler et accueillir de nouveaux habitants, et souvent des jeunes ménages. Ce n’est sans doute pas pour rien que se construit actuellement une structure d’accueil de la petite enfance pouvant accueillir 56 bambins rue de la Teinturerie, 23/27, dans le cadre du contrat de quartier durable Abbaye dont l’ouverture est annoncée pour janvier 2022, un projet dessiné par le bureau d’architecture K2A.
"Il est clair que le bas de Forest, contrairement à Saint-Gilles ou au Châtelain, reste très attractif pour les jeunes ménages disposant d’un budget moindre", poursuit Me Martroye de Joly. "Même lorsqu’il s’agit d’un bien neuf puisque le mètre carré y est estimé entre 1 600 et 2 000 euros, ce qui reste raisonnable en Région de Bruxelles-Capitale."

Des propos que confirme l’annonce visible à front de chaussée de Neerstalle du projet Dries/Libris, un vaste chantier prévoyant la construction de deux bâtiments incluant 53 logements (studios et appartements une, deux et trois chambres avec parc privé) avec des prix annoncés à partir de 133 365 euros.
Des nouveaux quartiers
De l’autre côté de l’abbaye de Forest, vers le nord, des quartiers entiers ont vu le jour ces dernières années, avec des voiries nouvellement percées, comme la rue Toots Thielemans ou encore les 62 nouveaux logements inaugurés récemment rue du Delta, forts de prix de vente allant de 134 000 euros pour une chambre à 164 000 euros pour deux chambres (bureau ATELIER 55), tandis que deux énormes dents creuses s’apprêtent encore à être loties au niveau des rues des Carburants et Saint-Denis d’une part, des Carburants, Marguerite Bervoets et du Texas d’autre part.
Ces nouveaux quartiers (il y en a encore d’autres dans le bas de Forest, un peu plus excentrés) encerclent donc la place Saint-Denis et l’abbaye adjacente, deux îlots semblant intemporels (même si, sur la place, des immeubles modernes ont aussi été construits côté sud, dans le respect des gabarits existants).
ABŸ ne fait pas l'unanimité
Si, en temps normal, la place Saint-Denis est un lieu de vie et de commerce par excellence, avec ses marchés du mardi et du samedi ainsi que sa brocante du dimanche, avec encore un kiosque et des pavés rappelant le passé ballant (regardez bien le sol) de la commune, tout à côté, l’abbaye bénédictine de Forest et ses dépendances disposées en hémicycle font la fierté de la commune (on peut regretter qu’une partie de ces bâtiments attend toujours d’être sauvée).

Le projet ABŸ est censé rénover ce patrimoine exceptionnel selon le contrat de quartier Abbaye 2014-2020 en vue d’y accueillir divers services culturels communaux (ludothèque, bibliothèque, académie de musique et du socio-culturel) : rappelons que si l’abbaye fut fondée en 1106, c’est en 1239 que la première abbesse de Forest fut élue et cette puissante abbaye sera fréquentée durant des siècles par des jeunes filles et dames des meilleures familles de l’aristocratie. Les bâtiments visibles actuellement datent du XVIIIe siècle et sont dus à l’architecte Laurent-Benoît Dewez.
Les Amis veillent
Grâce au fonds Feder, le jardin devrait, lui aussi, être réhabilité. Sauf que là où cela coince sérieusement pour les Amis de l’Abbaye, c’est que ce projet prévoit l’abattage de 166 arbres (avec plantation de nouveaux cependant) et démolition d’une partie du bâti existant et de vestiges anciens, ainsi que la construction de trois nouveaux bâtiments, notamment une salle de spectacle de 800 places debout au lieu des 200 initialement prévues. Les opposants au projet ont le sentiment qu’on est passé d’un projet local à finalité socioculturelle à un projet régional dont les riverains sont exclus, loin de ce que sont les priorités d’un contrat de quartier.
Si le comité de concertation a remis un avis positif le 13 octobre dernier, moyennant modification, le permis n’a pas encore été accordé. Les associations de défense du patrimoine se mobilisent donc ce 20 mars afin de revoir ce projet.
Frénésie d’achat
Il n’empêche, ce poumon vert, havre de paix historique, est aussi un plus pour le quartier qui incite bon nombre de ménages à y investir. Et même avec une certaine frénésie, comme le note le notaire Martroye de Joly. "Depuis six ou neuf mois, les prix des biens immobiliers dans le bas de Forest ont tendance à s’envoler. Notez qu’en discutant avec des confrères, c’est un phénomène qu’on rencontre dans divers quartiers bruxellois. Les gens, ces derniers temps, ont tendance à acheter sur un coup de cœur, parfois en n’ayant visité qu’un seul bien. Le confinement leur a fait prendre conscience de l’importance d’un petit jardin ou d’une belle terrasse, ce que le centre de Forest peut proposer. On n’est bien sûr pas ici dans la logique de la villa quatre façades mais bien du petit coin vert en intérieur d’îlot."

Pour le notaire, on est aussi en pleine phase de rénovation de biens. "Un phénomène qui ne trompe pas est le nombre de containers que vous voyez devant les immeubles. Ils n’ont jamais été aussi nombreux. En fait, les habitants restent chez eux et ont le temps de voir les défauts de leur bien, et veulent y remédier."
Par contre, Me Martroye de Joly poursuit sur une note générale plus pessimiste. "J’ai le sentiment que cette pandémie et le confinement qui en a résulté vont provoquer un écart encore plus important entre les gens qui ont des fonds et ceux qui n’en ont pas."
Mais pour ceux qui ont la possibilité d’investir, Forest constitue le bon endroit. "N’oublions pas non plus la présence de deux gares à proximité de la place Saint-Denis (dont Forest-Est avec les abords et le bâtiment qui viennent d’être réaménagés), la bonne desserte en transport en commun, la proximité du Ring, les innombrables petits restaurants et de très nombreux commerces, pour toutes les bourses."