Être obligé de rénover son bien: le plan bruxellois qui risque de coûter cher aux propriétaires
La facture pourrait être lourde pour certains Bruxellois.
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Publié le 14-04-2021 à 11h42 - Mis à jour le 15-04-2021 à 12h42
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C'est le plus grand pollueur de la Région bruxelloise. Le chauffage des bâtiments, résidentiels et de bureaux, représente près de deux tiers des émissions de gaz à effets de serre de la capitale. Bruxelles est majoritairement composée de bâtiments "vieux, énergivores et peu isolés." "On n’a pas le choix", explique-t-on du côté du cabinet du ministre de l’Environnement Alain Maron (Ecolo). "Si on veut être dans les objectifs climatiques des accords de Paris, il faut agir de manière très forte sur la rénovation du bâti existant."
Les ambitions de la Région sont donc de réduire la consommation d’énergie finale de ces bâtiments résidentiels à 100 kWh/m²/an, soit diviser "par trois" la consommation actuelle d’ici 2050. C’est énorme. En d’autres termes, chaque bien résidentiel doit atteindre d’ici 30 ans un niveau équivalent à un certificat PEB (performance énergétique des bâtiments) de C +. On en est très loin : près de 30 % des biens résidentiels pour lesquels un PEB a été établi en Région de Bruxelles-Capitale ont ainsi reçu la lettre "G", soit la pire catégorie. Ce chiffre monte même à plus de 50 % pour les maisons unifamiliales.
Un plan à 28 milliards d’euros
Mais comment rénover, et qui va payer la note de ces travaux considérables ? La stratégie de l’exécutif bruxellois est en fait alignée sur celle du gouvernement précédent. En mai 2019, quelques semaines seulement avant les élections, Céline Fremault (CDH), alors ministre de l’Environnement, avait proposé un plan ambitieux, dont la facture globale était estimée à 28 milliards d’euros pour le secteur du logement jusqu’en 2050. Soit un montant de près d’un milliard d’euros par an, pris en charge à la fois par le privé et le public.
Même si ce plan n’a toujours pas été inscrit dans un texte de loi, il existe un accord au sein de la majorité actuelle pour le mettre en place avant la fin de cette législature. "C’est l’un des plans prioritaires de l’accord du gouvernement bruxellois", insiste le cabinet Maron. "Cela découle aussi d’une obligation européenne et l’Europe suit cela de très près." Dans son plan de relance, Bruxelles espère d’ailleurs obtenir une enveloppe de près de 110 millions d’euros des fonds européens pour la rénovation du bâti de son territoire, dont une partie ciblée sur le logement social.
Mais cette stratégie ne plaît pas à tout le monde. Du côté de l’opposition, on s’inquiète du "retard" pris par la Région bruxelloise en la matière. "Je suis horrifiée : on n’est nulle part", s’exclame Alexia Bertrand (MR). "Cela fait presque deux ans qu’Alain Maron nous promet d’avancer sur ce plan qu’il a repris entièrement du CDH et on ne voit rien venir. Ecolo n’a jamais eu de stratégie sur ce dossier qui est pourtant fondamental et primordial à la fois pour l’environnement et la facture énergétique des Bruxellois. J’ai l’impression qu’ils ne sont pas outillés pour cela. Évidemment, c’est plus compliqué comme choix et moins populaire que d’installer des pistes cyclables."
Obligation de rénover
Le plan bruxellois prévoit que tous les propriétaires devront réaliser un certificat PEB de leur bien d’ici le 1er janvier 2025, indépendamment de toute location ou de toute vente. Ce certificat sera "revu" et détaillera l’ensemble des travaux à réaliser (isolation de la toiture, des façades, remplacement de la chaudière, etc.) dans le bien pour pouvoir atteindre cette fameuse lettre C +. Dans un deuxième temps, sans doute à partir de 2030, le plan Fremault prévoit une obligation pour les propriétaires d’effectuer, tous les cinq ans, une partie de ces travaux de rénovation, et ce, jusqu’en 2050.
Cette "obligation" a fait bondir le MR et a été critiquée par le Conseil central de l’économie. "L’obligation de rénovation devra venir à terme, car sans obligation, on n’y arrivera pas", souligne-t-on chez le ministre Ecolo où l’on se dit toutefois enclin à revoir la copie du plan Fremault . "Le système est en cours de réévaluation et sera concerté avec les acteurs concernés avant adoption. Il faut que cela soit tenable pour le propriétaire et pour le secteur de la construction. La difficulté d’un système de cinq ans est qu’on risque d’avoir des gros effets de rattrapage la quatrième année. Et donc d’avoir un secteur de la construction qui se trouvera débordé de manière cyclique. On pense qu’il faut aller vers des modalités plus praticables que ces rénovations tous les cinq ans."
Pour le gouvernement bruxellois, cette obligation de rénovation ne viendra également que dans un second temps et n’est pas concevable sans un soutien financier et un accompagnement préalables des pouvoirs publics pour tous les publics cibles. "L’objectif est que 50 % des frais de rénovation énergétique des bas revenus soient pris en charge par le secteur public et qu’un soutien financier et technique conséquent soit disponible pour tous les propriétaires", développe-t-on chez Alain Maron qui se félicite du "succès" actuel des primes Énergie existantes.
Pour le MR, ce système de subsides est trop compliqué. Les libéraux estiment, en outre, que la moitié du budget du gouvernement bruxellois serait suffisante pour effectuer ces rénovations. "Le financement de ces travaux doit pouvoir passer par 50 % de subsides et 50 % de prêts verts à taux zéro pour les propriétaires", poursuit Alexia Bertrand. "Pour nous, la seule obligation pour les Bruxellois serait celle d’avoir un cadastre précis de la performance énergétique de leurs biens. Ce plan manque cruellement de priorités, de transparence. Comment le gouvernement bruxellois compte-t-il le financer ? C’est de la poudre aux yeux. Il faut, par exemple, d’abord s’attaquer aux logements sociaux qui sont des passoires énergétiques à Bruxelles."
Des conséquences sur le secteur immobilier
Avec ce plan, la crainte de certains est aussi de voir se développer un secteur immobilier à deux vitesses, avec une part grandissante du marché prise par des professionnels ayant les reins assez solides pour pouvoir se permettre de financer ces rénovations. "Cela risque, par contre, d’être très difficile pour des petits propriétaires qui n’arriveront pas à suivre et risquent de vendre leur bien", déplore Alexia Bertrand. "Quid également des pensionnés qui n’auront plus aucun revenu pour ce genre de travaux ?"
Pour l’élue libérale, ce plan n’est aussi pas "juste" pour les propriétaires-bailleurs qui ne verront pas le fruit de leurs investissements, puisque c’est leur locataire qui bénéficiera d’une facture énergétique moindre et pas eux. Autre grief : le retour sur investissement pourrait s’avérer être très long, voire quasi inexistant pour les propriétaires. "C’est un leurre de faire croire que cela ne va rien coûter aux Bruxellois."
Du côté du ministre Maron, on se dit conscient que ce plan peut amener un chamboulement dans le secteur immobilier. "C’est pourquoi nous voulons aller dans l’ordre et la concertation." Un autre risque est d’avoir une pénurie de main-d’œuvre pour ces travaux de rénovation. Même les travailleurs venus de l’étranger ne pourraient pas suffire. "Toute l’Europe a ce même objectif. Pour éviter une pénurie de main-d’œuvre et une inflation des prix, il est important de former, dès maintenant, comme nous le faisons, des gens pour ce type de métier."