A Watermael-Boitsfort, le prix du mètre carré (qui atteint 4000 voire 5000 euros) décourage les jeunes ménages
La commune bruxelloise doit résoudre quelques équations difficiles, selon la géographe Dominique Moraux.
Publié le 23-02-2022 à 18h21 - Mis à jour le 25-02-2022 à 13h36
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Nous avions déjà eu l'occasion de visiter Watermael-Boitsfort à deux reprises l'an dernier, mettant principalement l'accent sur les deux pôles que sont les environs de la place Keym, pour Watermael, et de la place Wiener, pour Boitsfort. Peut-on d'ailleurs parler de deux entités différentes quand on est habitant de cette commune ? Dominique Moraux, géographe et habitante du quartier des Archiducs, en atteste. "Les deux parties composant la commune ont des sociologies différentes et il n'y a rien à faire : qu'on soit installé de longue date dans la commune, comme c'est mon cas, ou qu'on vienne d'arriver, on aura tendance à privilégier un pôle au détriment de l'autre."

Très impliquée dans la vie de son quartier et de la commune, au travers du collectif des Archicitoyens, elle a pu constater l’évolution, pas toujours idéale, de la situation, notamment dans son quartier qui accueille deux des plus célèbres cités-jardins de Bruxelles, Le Logis et Le Floréal.
"Le principal problème vient du fait que l'ordonnance de la Région a prévu qu'après rénovation complète de ces cités, elles ne pouvaient plus accueillir que des logements sociaux, poursuit la géographe. Les anciens locataires, présents depuis très longtemps et part active de la vie de quartier, ont ainsi été relogés ailleurs. On se retrouve donc avec une population nouvelle, dépendant du CPAS, qui ne connaît pas la commune et ne retrouve pas ce qui crée le lien dans les quartiers populaires : petits commerces, snacks, grande entraide, vie en commun, solidarité. Ces nouveaux habitants débarquent dans un environnement où le mètre carré est parmi les plus chers de la Région bruxelloise, où les commerces ne pratiquent pas vraiment des prix bas. La seule rue qui fut commerçante dans le temps, l'avenue des Archiducs, ne compte plus qu'une pharmacie, une librairie, une épicerie pakistanaise et un café. Du coup, beaucoup d'habitants du quartier se rendent place Pinnoy, à Auderghem, pour leurs emplettes de proximité."

Éviter que le quartier des Archiducs ne meure
En lançant les Archicitoyens, Dominique Moraux et les autres membres de ce collectif citoyen voulaient ainsi recréer du lien et éviter que le quartier ne se meure. "En réalité, ce dont manque principalement ce quartier, et plus généralement la commune, désormais, c'est d'une classe moyenne jeune et active. Vous passez des belles villas aux cités-jardins dévolues à une population précarisée avec enfants, qui doit en plus quitter son bien lorsque les enfants quittent le foyer, pour laisser la place à d'autres familles dans le besoin. Ces gens n'ont donc parfois pas le temps de se familiariser avec leur environnement, de l'apprécier. Deux projets, Archiducs-Sud et Archiducs-Nord, sont censés combler ce fossé entre population riche voire très riche, et de plus en plus âgée vu le prix du mètre carré (qui atteint 4000 voire 5000 euros) qui décourage les jeunes ménages, et une population défavorisée qui se demande ce qu'elle fait là. Archiducs-Sud, désormais achevé, abrite cette classe moyenne tant espérée. Archiducs-Nord, par contre, qui doit encore sortir de terre, n'aura pas cette vocation puisqu'il accueillera des logements pour jeunes adultes handicapés issus de l'école spécialisée voisine et des logements transgénérationnels."

Un chiffre tiré des statistiques régionales interpelle Dominique Moraux. "Il montre qu'en 9 ans, Watermael-Boitsfort a perdu un tiers du volume d'emplois. C'est énorme, mais cela montre aussi que certains espaces auparavant dévolus aux bureaux pourraient être réaménagés en logements, avant de vouloir 'bétoniser' les espaces verts."
Chant des Cailles et Saule
Le dossier le plus emblématique concerne la ferme du Chant des Cailles. "Dans ce dossier, j'évite de prendre trop parti pour l'un ou l'autre camp, insiste Dominique Moraux. Ce Chant des Cailles, un jardin potager participatif, avait vocation à la base à être éphémère, en attendant qu'un projet urbanistique voie le jour. Les choses étant ce qu'elles sont à Bruxelles, c'est-à-dire évoluant très lentement, on s'est retrouvé avec un projet qui a pris de l'ampleur sous forme d'une ferme urbaine recevant des subsides, et ses défenseurs, qui viennent parfois de loin pour cultiver ce jardin potager urbain, et rarement des habitants du quartier, ont du mal à imaginer que la Région puisse couler du béton à cet endroit. D'un autre côté, vous avez la Région qui veut construire à tout-va dans la commune (il est à noter qu'à Auderghem-Souverain, c'est le privé qui construit). Elle a renoncé à bâtir du neuf dans le nord du territoire bruxellois et veut même le 'reverduriser' ; du coup, on a un peu le sentiment qu'elle veut installer ses chapes de béton sur Watermael-Boitsfort. Pour en revenir au Chant des Cailles, je pense qu'il y a moyen de trouver un équilibre entre constructions neuves et maintien d'un espace cultivé. En tout cas, Région et commune ont décidé de se laisser le temps de trouver une solution."

Et pourtant, les habitants s'étaient déjà penchés sur la problématique des nouveaux logements dans le quartier et dans la commune. "Un Mouvement citoyen boitsfortois avait vu le jour en vue d'instaurer un PPAS pour éviter les constructions anarchiques. Ce travail avait débouché sur le Projet Saule (Symbiose Agriculture Urbaine Logement Ecosystème) dans lequel se retrouvaient aussi des architectes et des urbanistes. Ce projet concluait au développement du logement sans passer par la 'bétonisation', en ajoutant, par exemple, des étages au bâti existant ou en transformant des espaces vides de bureaux en logements. Malheureusement, et alors que des fonds importants avaient été avancés tant pour la révision de ce PPAS que pour le projet Saule, ce dernier a été rangé au frigo par la Région, désireuse de bâtir."
Beaucoup de vert classé
Si la commune apparaît comme la plus verte de la Région bruxelloise, Dominique Moraux tempère cette affirmation. "Bien sûr que les espaces verts y sont nombreux mais c'est oublier un peu vite que la Forêt de Soignes est classée, tout comme le parc de la Héronnière. Quand vous enlevez ces deux grands espaces verts non constructibles, vous verrez que la commune n'est pas plus verte que ses voisines et, surtout, que les parcelles où bâtir sont très rares, et les nouvelles constructions ne se feraient qu'au détriment d'aménagements existants, sportifs dans le cas du terrain de rugby longeant la rue des Tritomas, ou collectifs comme ce qu'on appelle Le Petit Caille."

Dans l'intervalle, Watermael-Boitsfort attend la fin du projet Souverain 25 visant la réhabilitation de l'ancien siège de la Royale belge (MA²-Metger et associés) et celle de l'interminable chantier du RER qui défigure les abords des deux gares locales. "Il faut aussi espérer la remise en état prochaine des cités-jardins qui, voici quelques dizaines d'années, faisaient la renommée de la commune à travers le monde, lorsqu'au mois de mars, leurs rues se paraient du rose des cerisiers du Japon, souligne encore Dominique Moraux. Un autre chantier, pas inutile, sera celui du réaménagement de la place Keym, prévu pour 2023. Alors seulement, il fera à nouveau bon de se promener aux quatre coins de cette belle commune", conclut cette membre active d'Archicitoyens, dont le collectif organise les Fêtes des Lumières et des animations estivales en vue d'égayer ce square des Archiducs et faire se rencontrer des habitants qui ne se fréquentent pas assez. "Ce qui fonctionne bien, ce sont les rendez-vous mensuels que le collectif a avec la Maison de Quartier ainsi qu'avec Le Logis et Le Floréal, pour coordonner ces activités."