La location de bureaux en crise : "Les sociétés qui déménagent rationalisent leurs surfaces"
Libre Immo | Le Dossier. 2022, sur le marché des bureaux, est à voir comme une année charnière. Selon JLL, il y aura sans doute un avant et un après
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- Publié le 15-12-2022 à 16h36
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"Clairement, 2022 est une année de transition." Les professionnels de JLL qui présentaient le bilan de l'année sur le marché des bureaux sont unanimes; ils repèrent un changement par rapport à l'évolution des dernières années : d'un tournant sur le marché de la prise en occupation à un véritable virage en matière d'investissements (voir page 8). Ce qui ne veut pas dire qu'il ne s'est rien passé, au contraire.
1. Take up en baisse
À ce jour, JLL estime que l'année se terminera sur une prise en occupation totale à Bruxelles et périphérie autour des 320 000 m². C'est 32 % de moins que l'année dernière ! "Dans le contexte économique actuel, les sociétés sont prudentes et attentistes, explique Christophe Golenvaux, Senior Director chez JLL. Et il y a eu très peu de transactions massives. L'Europe, qui est traditionnellement un grand joueur sur le marché bruxellois des bureaux, n'avait rien fait jusqu'à fin novembre." Dans un avenir proche, le marché attend d'elle 100 000 m² en au moins trois deals dont un au quartier Nord. Tout comme il attend 70 000 m² du côté de la SNCB. Par contre, l’Ambassade des États-Unis, qui depuis quelque temps zieutait l’immeuble Cours Saint-Michel, ex-ING (Mérode) l’a acquis cette semaine auprès d’Immobel et Besix RED. "Par contre, ajoute-t-il, il y a une nette hausse du nombre de transactions." En d'autres termes, la taille des prises en occupation a baissé. Considérablement, même, puisqu'elle passe de 1 200-1 300 m² à 800-900 m². "Les sociétés qui déménagent rationalisent leurs surfaces."
2. Quelques transactions phares
La taille n'étant pas un élément clé, plutôt que de classer les transactions de l'année par ordre d'importance, JLL les a présentées selon certaines thématiques. La plus durable ? L'acquisition de l'immeuble K-Nopy par l'ambassade des Pays-Bas dans le quartier européen, au prix encore jamais atteint à ce jour de 9 500 euros/m². Celle qui illustre le mieux le phénomène de décentralisation ? Le distributeur Carrefour qui quitte Evere pour le Corporate Village près de l'aéroport, s'offrant dans la foulée un loyer plus attractif et un ratio de parking plus intéressant. Celle liée à une rénovation lourde ? Partena Professional qui entre dans le CityCenter près de la Gare Centrale. Etc. Jusqu'à la transaction la plus attendue : la location d'une de ses tours par Proximus, après leur vente à Immobel. Transaction qui se fera ou ne se fera pas cette année… En tous les cas, ses voisines, les Engie Towers, qui, elles aussi, ont changé de propriétaire cette année, viennent, par contre, d'avaliser la location d'une d'elles à la Commission européenne, mettant un point final à des discussions entamées il y a plus d'un an.
3. Hausse des "prime rent" dans le quartier européen et en périphérie
Assez étonnamment, dans ce climat mitigé, le marché a enregistré deux nouveaux "prime rent" (NdlR : loyer le plus élevé). Le premier dans le Science 12 du quartier européen à 330 euros/m²/an, pour une superficie de 1 100 m². L'ancien tarif le plus élevé étant à 315 euros/m²/an, cela signifie une hausse de 4,8 %. "Inférieure à l'inflation, reconnaît Pierre-Paul Verelst, Head of Research Belux de JLL. Certains immeubles dont les loyers sont indexés présentent déjà des tarifs plus élevés." Le second cap, passé en périphérie, est plus frappant, le "prime rent" ayant atteint les 185 euros/m²/an dans l'immeuble Onyx loué à Cap Gemini. "Soit une hausse de 12 %, poursuit-il. Ceci alors que ce marché présentait une stagnation des loyers depuis quinze-vingt ans. Aujourd'hui, avec des projets de meilleure qualité et offrant une plus grande accessibilité, on note une véritable hausse."
4. Taux de vacance en recul
"Fin 2021, il était de 8,3 %. En décembre de cette année, il est passé à 7,7 %, détaille Christophe Golenvaux. Une diminution légère, alors que les projets neufs trouvent pourtant rapidement locataires, et qui tient essentiellement au fait que le stock diminue. D'une part, parce qu'il y a moins de projets spéculatifs qui alimentent ce stock, d'autre part parce que des immeubles de bureaux vides sont reconvertis en résidentiel et en sortent."
"Les coûts globaux d’occupation comptent plus que jamais"
Il y a toujours eu une différence d’appréciation entre un immeuble de bureaux ancien et son homologue neuf. Mais avec la hausse des coûts de l’énergie et des exigences des travailleurs, l’écart a pris des proportions énormes. Au point de décider le consultant JLL à le démontrer, chiffres précis à l’appui.
Premier exercice : la comparaison des loyers moyens de trois types d'immeubles, neufs (grade A), modernes (grade B) et anciens (grade C). "Dans les CBD (central business districts, NdlR), les immeubles de grade A sont 21 % plus chers que ceux de grade B, et 42 % que ceux de grade C, détaille Pierre-Paul Verelst, Head of Research Belux. En périphérie et décentralisé, l'écart est moins marqué mais non moins important : respectivement 15 et 31 % plus cher." Ces proportions prouvent que "ce qui est rare est cher", ajoute l'expert. "Le Chancelier, en centre-ville, entièrement reconstruit hormis sa façade, est actuellement proposé à un loyer entre 310 et 340 euros/m²/an, dit-il. Alors que son quasi-voisin, Aria, qui a bénéficié d'une rénovation lourde, est annoncé à 275 euros/m²/an. Soit un différentiel des valeurs locatives de 10 à 15 %."
Vacance structurelle dans les immeubles anciens
Deuxième exercice : le poids de la vacance dans ces trois types d'immeubles. Près d'un tiers des quasi 360 000 m² vides dans les CBD le sont dans des vieux immeubles ; une proportion qui frise les 65 % hors CBD. "En périphérie et en décentralisé, le vide dans les bâtiments anciens est devenu structurel, ajoute Pierre-Paul Verelst. Il faut dire que ces quartiers recèlent énormément d'immeubles de bureaux ayant 40 ou 50 ans d'âge. Bien plus que dans le centre de Bruxelles où la rénovation bat son plein..." Et ce ne sont pas les projets dans le pipeline qui vont changer la donne puisqu'il s'agit davantage d'immeubles neufs à construire dans les alentours de l'aéroport de Bruxelles national que d'immeubles anciens à rénover ou à démolir-reconstruire.
Mais c'est peut-être surtout l'exercice effectué par Axa sur son immeuble Luxia, boulevard de Waterloo, 76 (12 000 m²), qui permet de visualiser quelles seront, à l'avenir, les préférences d'un locataire entre le fait de louer l'immeuble dans son état actuel (avec des charges énergétiques dépassant les 600 000 euros par an, englobant chauffage, ventilation, refroidissement, éclairage…), après une rénovation lourde dans les normes PEB actuelles (315 000 euros/an, soit quelque 25 euros/m²/an) ou entièrement reconstruit à l'emplacement de l'existant, assorti des meilleurs systèmes de performance énergétique (127 500 euros par an, soit grosso modo 10 euros/m²/an). "Entre le premier et le deuxième scénario, les coûts pour l'occupant sont presque divisés par deux. Mais ils le sont par cinq entre le premier et le troisième", ajoute-t-il, non sans reconnaître qu'il y a une démolition-reconstruction à opérer et que rien ne dit que la commune applaudira ce type de chantier des deux mains. Toujours est-il que c'est bien ce dernier scénario que l'assureur a récemment entamé, les travaux étant en cours depuis quelques semaines.
Les locataires misent sur ce qui est prévisible
"Les coûts globaux d'occupation comptent plus que jamais", conclut Ralph Schellen, Head of office agence Brussels&Wallonia. Parce qu'ils ont fameusement augmenté, mais surtout parce qu'ils sont devenus imprévisibles. "C'est le cas de l'indexation des loyers, bien moins prévisible qu'avant, quand elle stagnait autour des 2 %. Mais également des charges communes ou privatives, totalement imprévisibles depuis la crise énergétique. Sans parler des taxes dont on ne sait s'il va y avoir ou non un changement. Désormais, les locataires comme les développeurs et les investisseurs refusent catégoriquement les énergies fossiles."