Viager : "Plus qu'avant, les acheteurs discutent les montants"
Libre Immo | Le Dossier. C’est nouveau, c’est léger, mais non moins réel : le balancier semble avoir changé de mouvement ces derniers mois.
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- Publié le 09-02-2023 à 13h59
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Le Covid et l'inflation galopante ont eu un impact indéniable sur l’immobilier, l’offre, la demande, les prix… Mais qu’en est-il sur le segment de niche qu’est le viager, représentant moins de 1 %, voire moins de 0,5 % des ventes ?
Les questions semblent, en effet, beaucoup plus cruciales sur ce marché que sur son homologue classique. Les drames vécus en pleine pandémie dans les séniories ont-ils davantage incité des propriétaires âgés à trouver une alternative pour rester dans leur logement ? Peut-être même ont-ils été encouragés à se lancer dans le viager suite à la forte hausse des prix - et, par calcul interposé, de la rente dont ils pourraient bénéficier ? En ces temps d’inflation, sont-ils désormais plus désireux d’avoir une rente confortable plutôt que de profiter d’un beau bouquet ?
Et qu’en est-il des acquéreurs dont on sait qu’ils sont essentiellement des investisseurs, car rares, très rares sont les viagers "libres" ? Ceci alors que, pour eux aussi, le coût de la vie a augmenté et que les banques n’autorisent toujours pas d’emprunt en cas de viager…
Changement de mentalité
Pour le notaire Jean Martroye de Joly, rien n'a vraiment changé sur ce marché. Si évolution il y a, elle n'est pas récente, mais date de l'époque où les viagers ont été limités dans le temps. "Jusqu'à il y a peu, le viager, c'était encore parier sur la mort de quelqu'un, dit-il. Avec la limitation dans le temps (à quinze ou vingt ans), ce type de vente ne fait plus peur. Il y a eu un vrai changement de mentalité et du coup, plus d'amateurs."
"Par ailleurs, ajoute-t-il, on en parle de plus en plus. Les agences qui traitent ces ventes et qui ont pignon sur rue sont plus nombreuses - dans un rapport qui est passé de un à trois ou quatre sur Bruxelles, par exemple -, elles font davantage de publicité, les candidats-acquéreurs sont plus attentifs… L'un dans l'autre, cela a permis d'augmenter le cercle des acheteurs. Ceci alors que le public cible du côté des vendeurs reste limité."
Ce que confirme Jacqueline Jacobs, cofondatrice, avec son mari, de l’agence Viagerim, qui compte deux bureaux : à Woluwe-Saint-Lambert et à Waterloo. Du moins quand elle regarde l’évolution sur dix ans.
Mais c’est moins le cas si elle se retourne sur les derniers mois, voyant un changement de tendance se dessiner.
Car, à l’inverse de Me Martroye de Joly pour qui le viager ne représente que quelques ventes par an (entre cinq et dix), Mme Jacobs est quotidiennement en contact direct avec ce marché et a donc une vue beaucoup plus fraîche.
"Cela n'a rien à voir avec le Covid, insiste-t-elle. C'est surtout la guerre en Ukraine et l'inflation qui sont en cause, impactant aussi bien le coût de la vie des vendeurs que les disponibilités des acheteurs. Avant, on avait plus d'acheteurs que de vendeurs. Aujourd'hui, au contraire, je dirais que l'offre est supérieure à la demande."
Autre constat de cette spécialiste : les ventes prennent plus de temps. "Les conditions sont davantage analysées, scrutées. Les vendeurs n'ont pas toujours le prix qu'ils demandent. Plus qu'avant, les acheteurs discutent les montants. Ils font une contre-offre alors que dans le passé, ils acceptaient l'offre - ou ne l'acceptaient pas."
Le soufflé est aussi retombé sur le viager…
Il faut reconnaître que c’est pareil sur le marché immobilier classique : les vendeurs, ébahis de voir combien la stratégie du "faire offre à partir de" avait pu pousser les prix vers le haut en 2020, mais surtout en 2021 et début 2022, ont du mal à reconnaître que le soufflé est retombé…
Il n'empêche, les prix de vente - et donc de rente et de bouquet - sont plus élevés qu'en 2019. "Le calcul se fait sur base de la valeur vénale du bien évaluée par un expert, confirme Jean Martroye de Joly. Il n'y a pas d'effet particulier lié au fait que le bien soit vendu en viager ou pas. La valeur de marché reste le prix qu'un acquéreur est prêt à mettre. C'est à l'agence de déterminer quelle est la valeur du bouquet et du solde, transformé en rente. Il y a des programmes qui calculent cela."
"Il faut dire que les candidats acquéreurs ne sont pas des candidats occupants, ajoute Jacqueline Jacobs. Ce sont des investisseurs, et, depuis la guerre en Ukraine, ils sont un peu plus sur la défensive. Ils réfléchissent plus qu'antérieurement car le coût de la vie aussi est plus lourd pour eux. D'autant que les prix de vente ont augmenté, ce qui peut doucher leur engouement."
Une vente classique à quelques conditions près
“Une vente viagère est une vente tout à fait classique, avec une taxation classique (droits d’enregistrement, etc.). Ce sont les modalités de paiement qui sont différentes”, insiste Me Martroye de Joly. Dans une vente classique, vous vendez votre bien et recevez la totalité du prix de vente. Dans le cadre d’une vente viagère, vous vendez le bien et vous recevez un montant directement (le bouquet), et le solde par tranches pendant un certain nombre d’années (la rente). Les montants dépendent de la valeur du bien (liée à son état, sa localisation…) et de l’âge du ou des vendeurs, mais aussi de son occupation.
“Il y a deux types de viagers, poursuit le notaire. Libres, c’est-à-dire : que le vendeur vend la pleine propriété et l’acheteur fait ce qu’il veut du bien (il l’habite, le loue…). Ou occupés : le vendeur vend la nue-propriété mais conserve l’usufruit.” Dans les deux cas, la rente n’est bien entendu pas la même. Depuis quelques années, la plupart des viagers sont limités à quinze ou vingt ans. “Il est rarissime d’avoir encore des rentes illimitées jusqu’au décès du ou des vendeurs.” Mais si, au terme de ces quinze ou vingt ans, le vendeur ne perçoit plus de rente, il garde l’usufruit jusqu’à sa mort. Cela signifie qu’il peut continuer à vivre dans son bien, voire le mettre en location à son seul profit.