Le droit de chasse participe à la moitié de la rentabilité d’une forêt
Libre Immo | Le loyer varie en fonction de la localisation, de la taille et de la convenance.
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Publié le 04-05-2023 à 11h42
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Localisation, localisation, localisation. Cet adage bien connu des professionnels de l’immobilier vaut aussi dans le cadre de l’élaboration des droits de chasse. Avec, pour la Wallonie, une frontière claire concrétisée par le sillon Sambre-et-Meuse creusant une différence entre les plaines du nord et de l’ouest et les reliefs du massif ardennais. Les "loyers" passent d’ailleurs du simple au quadruple, voire plus.
1. Superficie : une moyenne de 250 hectares
Comme pour beaucoup de matières liées au sol, à la nature ou au climat, la chasse fait une distinction entre le nord et le sud du sillon Sambre-et-Meuse. "Une division calquée sur les biotopes et la biologie des espèces qui y vivent", détaille Benoît Petit, président de l'ASBL wallonne du Royal Saint-Hubert Club de Belgique (RSHCB). Historiquement, en effet, le gros gibier (cerfs, chevreuils, sangliers) se concentre au sud, le petit (perdrix, faisans, lièvres…) se dispersant au nord. Fondée sur le domaine vital de chaque espèce, la surface minimum d'un territoire pour pouvoir y chasser est donc de 25 hectares d'un seul tenant au nord et à l'ouest et de 50 hectares au sud. Une superficie plus facile à rassembler dans les plaines du nord que dans les forêts du sud. D'où des prix de location qui tournent autour de dix euros/hectare/an ici et de 40 à 80 euros/hectare/an là-bas.
En pratique, cette surface minimum n'en est pas moins largement outrepassée puisqu'en moyenne, un territoire de chasse en Région wallonne court sur environ 250 hectares. "Une moyenne tirée vers le haut par quelques propriétés de 1 500 à 2 000 hectares, reconnaît Benoît Petit, et, surtout, par l'une ou l'autre forêt de très grande ampleur s'étirant sur plus de 5 000 hectares." C'est notamment le cas de la forêt indivise d'Anlier (Habay, Léglise, Fauvillers et Martelange) qui couvre plus de 7 000 hectares chassés par le même groupe.
2. Offre, demande et… concurrence
Si la valeur d'un droit de chasse est le fait de la localisation, elle dépend aussi de l'offre. Au nord du sillon, il y a environ 1, 25 million d'hectares de plaines, alors qu'au sud, il n'y a que… 563 000 hectares de forêts(1) (dont 51 % aux mains de privés et 49 % dans celles du public ou assimilés, SPF Défense(2), Régions, communes, CPAS, fabriques d'église, donation royale). "Mais c'est surtout la demande qui joue, sourit Benoît Petit. Il y a plus de clients potentiels pour cent hectares que pour dix. Les petites propriétés - très certainement celles sous les seuils minimums de 25 ou 50 hectares - se commercialisent nettement moins cher qu'un grand bloc chassable." Et c'est pareil pour les petites parcelles enclavées qui suscitent peu de concurrence. "Le seul amateur est celui qui possède le droit de chasse alentour. Si la propriété est petite (deux hectares, par exemple), il n'est pas rare de voir certains se contenter de la contourner sans la louer s'ils ne trouvent pas un accord avec le(s) propriétaire(s)." Avec pour résultat qu'un même bloc de chasse réunit habituellement une multitude de prix différents.
3. Gibier : en taille, mais aussi en (sur)nombre
La valeur du droit de chasse est bien sûr proportionnelle à la présence d'animaux dont le plus prisé d'entre tous est le cerf. "Un bois occupé uniquement par des chevreuils, comme en Famenne et dans le Condroz, se négocie moins cher (entre 40 et 50 euros/hectare/an) qu'un bois portant de grands cervidés (de 80 à 150 euros/hectare/an), ajoute l'expert. Une espèce qui donne lieu à des prix parfois hallucinants." Le prix des terres à sangliers se situe entre les deux (plus de 50 euros/hectare/an). Mais cela pourrait changer tant leur explosion démographique se double d'une expansion géographique. "Alors que par le passé, il n'y avait de sangliers qu'au sud du sillon Sambre-et-Meuse, il y en a aujourd'hui partout, jusqu'en Campine, à Tournai ou à Bruges…" Leur prélèvement annuel se situe entre 35 000 et 40 000 pour la seule Région wallonne, contre 15 000 à 20 000 chevreuils et quelque 6 000 cerfs.
Si les droits de chasse des plaines du nord du sillon Sambre-et-Meuse sont moins chers, cela ne tient toutefois pas à la seule taille du gibier. "La priorité a été donnée par la PAC (Politique agricole commune, NdlR) depuis la fin des années 1970 à la production agricole, ce qui a banalisé la plaine, faisant disparaître les chemins creux, les haies, les arbres… De quoi naturellement éroder les espèces qui lui sont inféodées", assure le président du Royal Saint-Hubert Club de Belgique. Et donc les prix, hors valeur de convenance.
4. Valeur de convenance : le critère décisif
Comme dans tous les segments de l'immobilier, la valeur de convenance est un élément déterminant de la valorisation d'un droit de chasse. Il y a d'ailleurs assez peu de mouvements sur ce marché où les baux se concluent pour neuf ou douze ans et sont souvent reconduits. "Car le locataire a consenti à des investissements qu'il veut généralement garder (gagnages, lignes de tir, cabanon, miradors…), mais, surtout, parce qu'il y a accumulé des souvenirs et moments forts. Rares sont les chasseurs à laisser partir un territoire." Ce qui ne veut pas dire que les propriétaires fonciers privés ou forestiers en profitent. "Ils ne veulent pas avoir n'importe qui dans leurs bois et ne prennent pas toujours le mieux-disant. Parfois, ils préfèrent quelqu'un qu'ils connaissent." Et dont ils savent qu'ils entretiendront bien leur patrimoine. L'entretien fait, en effet, partie intégrante de l'accord ou du cahier des charges : préservation des chemins, création de coupe-feu (layons de chasse), protection des jeunes plantations… "C'est un win-win", souffle Benoît Petit.
Ce dont semblent de plus en plus convaincus les pouvoirs publics. "Le Fédéral (au profit du SPF Défense) et la Région sont obligés de désigner les titulaires des droits de chasse par adjudication publique, précise Benoît Petit. Les communes, par contre, peuvent pratiquer le gré à gré, à condition que ce soit justifié. On voit d'ailleurs de plus en plus de communes préférant reconduire un bail de gré à gré, en jouant sur l'attachement du chasseur, pour maintenir un prix élevé, plutôt que de se lancer dans une adjudication dont le résultat pourrait s'avérer moindre."
5. Un marché stable, voire… en régression
Depuis cinq voire dix ans, et, sauf exception, les montants des droits de chasse sont stables parfois même en recul. "Il y a moins de tension qu'avant sur les prix des plaines qui se tassent, explique-t-il, mais cela commence à se sentir aussi sur les territoires à gros gibier" qui n'auraient pas même augmenté de l'inflation. En cause, selon les professionnels, les contraintes toujours plus nombreuses imposées par le législateur ou par les propriétaires publics : précompte immobilier en hausse, quotas de tirs parfois trop élevés pour les chasseurs, suspension de chasse le dimanche, payement des dégâts, interdiction de nourrissage du grand gibier, etc. "À cette inquiétude par rapport à l'occupation du bien loué s'ajoute, dans le monde de la chasse, une lassitude face aux contraintes de l'administration qui incite certains chasseurs à se tourner vers l'étranger", note Benoît Petit, qui fait notamment référence à la France.
6. Quel rendement pour un exploitant forestier ?
Tout comme il n'y a pas de prix fixes, il n'y a pas de rentabilité déterminée. En moyenne, Benoît Petit juge qu'un droit de chasse peut représenter jusqu'à la moitié du rendement annuel de certaines forêts. "Dans le cadre d'une production bien gérée, une forêt va rapporter un rendement annuel de 3 %, dont… 1,5 % provient de la chasse si le territoire est giboyeux." Pour certains propriétaires, les revenus de la chasse sont même plus importants que ceux de la revente de la production de bois. "Cela peut être le cas là où le sol n'est pas très productif (par exemple, Marche-en-Famenne, Rochefort, Ciergnon…) alors que la région est très giboyeuse", conclut celui qui ne cache pas être lui-même chasseur mais également amateur de balades en forêt à l'affût d'animaux pour le seul plaisir de les observer et de les photographier. "Avec ceci qu'une location, c'est une recette annuelle sans frais, alors que la production de bois exige des investissements importants : préparer le sol, planter, débroussailler, élaguer, éclaircir… et espérer qu'il n'y aura pas de catastrophe climatique ou sanitaire."
(1) Selon la récente étude sur l’"Évaluation de l’impact économique de la chasse en Belgique" réalisée par PwC à la demande du Conseil international de la chasse et de la conservation du gibier (Cic International), de l’ASBL wallonne du Royal Saint-Hubert Club de Belgique (RSHCB), de la Fédération des chasseurs de grand gibier de Belgique (FCGGB) et du Hubertus Vereniging Vlaanderen (HVV).
(2) Des camps militaires de l’armée sont loués au titre de chasse (Marche-en-Famenne, Arlon…). Et même bien loués car étendus, interdits aux promeneurs et, en dehors des périodes d’exercices de tirs, d’une grande quiétude pour le monde sauvage.