"L'immobilier n'est plus ouvert à tous" : les professionnels du secteur ont le blues
Libre Immo | Le dossier. La crise immobilière est avérée. La baisse de moral des professionnels du secteur au sens large aussi, qui vient après une période de très grande activité.
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- Publié le 07-09-2023 à 14h00
Après deux années d’euphorie, où tout s’achetait - hors de prix - et tout se vendait - de manière totalement surévaluée -, le marché immobilier a retrouvé plus de rigueur et de stabilité. Mais davantage de calme aussi.
En 2022, en Belgique, il y a déjà eu, en moyenne, 2 % de transactions en moins qu’en 2021. Cette année 2023, le choc est plus rude avec de 10 à 20 % de transactions en moins selon les mois par rapport à 2022. Pour beaucoup de professions qui vivent de ce marché immobilier via des commissions ou des honoraires - agents, notaires, avocats spécialisés, promoteurs et développeurs, marchands de biens, architectes, cuisinistes, chauffagistes et installateurs de sanitaires à grande échelle -, c’est la douche froide. D’autant plus qu’après le recul des ventes de biens existants, on s’attend à une baisse de l’offre neuve.
Omerta généralisée
"L'ambiance est morose. En mai ou juin, on avait déjà l'impression d'être en vacances", convient une agente immobilière bruxelloise qui, comme nombre d'interlocuteurs, préfère garder l'anonymat. "Un lendemain de fête, le réveil après une cuite", sourit un de ses homologues. "On peut dire que les agences ont perdu, cette année, 20 à 30 % de leur activité !", s'indigne-t-il, sachant que toutes les transactions ne passent pas par un intermédiaire.
L'une et l'autre reconnaissent qu'on en revient à l'activité d'avant le Covid et qu'après une période "de folie", un peu de "régulation" n'est "pas néfaste". Il n'empêche. "La rectification risque d'aller bien au-delà, ajoute le courtier. Parce qu'au recul des transactions s'ajoute une diminution de la valeur des biens."
Une double peine, donc, qui oblige déjà certains intermédiaires à licencier leur personnel. Cela vaut pour les études notariales et les promoteurs (voir par ailleurs), comme pour les agences immobilières. "Elles remercient autant de collaborateurs qu'elles en ont engagés en 2020, 2021 et 2022 pour répondre à la demande", ajoute l'agente immobilière. "Quand il ne s'agit pas de la disparition pure et simple d'agences qui se sont créées pendant cette période-là", ajoute son homologue.
Une période à comparer avec celle des années 2007 (pré-crise), 2008 et 2009 (crise économique et financière) ? "Il y a de grandes similarités : le marché se calme, les valeurs baissent, les mauvaises agences ferment, certains collaborateurs partent…, convient l'agent. Mais il y a un changement de taille : l'argent facile n'est plus, à tout le moins l'argent est plus difficilement accessible tant les taux d'intérêt hypothécaires et les exigences en termes d'apport de fonds propres ont augmenté. L'immobilier n'est plus ouvert à tous."
"A quoi s'ajoutent l'augmentation des prix des matériaux, la complexité des tracasseries administratives (PEB, blanchiment d'argent…), reprend sa consœur, qui pose néanmoins un regard plus optimiste, refusant l'expression "blues des agents immobiliers". "Les agences et les agents sont habitués aux 'up and down', aux creux de la vague. L'immobilier est cyclique, ils le savent. Et ils savent aussi que tel ou tel mois, certains vendent mieux qu'eux. Ou moins bien… Cela vaut pour deux agences, mais aussi pour deux agents dans une même agence."
D’un marché de vendeurs à un marché d’acheteurs
"Reconnaissons que tout le monde a profité des deux ans de folie : les vendeurs, les intermédiaires, les banques, mais aussi les consommateurs qui ont bénéficié de taux extrêmement bas. Aujourd'hui, tous déchantent, au premier chef desquels les vendeurs qui ont du mal à intégrer le fait qu'ils ont raté l'euphorie, que le marché est moins porteur…" poursuit le courtier. Selon lui, c'est à ceux qui ont de l'argent que la fin de l'année déroulera le tapis rouge puisqu'ils pourront faire leurs emplettes dans un marché bas.
"Le mot faillite n’est pas à l’ordre du jour"
En 2021 et 2022, les promoteurs ont réussi à vendre la majorité des projets qu’ils avaient en portefeuille. Certains très bien, d’autres moins, quand il s’agissait de se recapitaliser vite fait. Ce qui n’a pas empêché les mauvaises nouvelles de s’accumuler : morosité économique ; boom de l’inflation ; augmentation des coûts de construction de 20 à 25 % ; indexation automatique des salaires ; augmentation des prix du foncier ; diminution de leur marge ; hausse violente des taux d’intérêt hypothécaires de moins de 1 à plus de 4 % jouant sur les capacités financières de leurs clients mais aussi sur le financement et le refinancement de leurs dettes bancaires. Le tout sur fond de lenteurs dans l’obtention des permis.
Au point de les inciter à… ne pas se lancer dans de nouveaux projets. "Ils poursuivent les projets en cours, quand bien même certains en sont-ils à leur deuxième ou troisième mouture, note un observateur du marché. Mais les autres, ils ne les sortent pas des cartons. Pire, ils incitent leurs homologues à faire de même ajoutant que cela ne sert à rien de rentrer un permis avant les élections d'octobre 2024 car il serait d'emblée refusé."
Du côté de l'Upsi, l'Union professionnelle du secteur immobilier, on ne va pas aussi loin, sans pour autant nier ou même minimiser la mauvaise fortune de ses membres. "Cette conjonction d'éléments - morosité, inflation, indexation… - impacte les consommateurs finaux qui sont leurs clients, indique Olivier Carrette, CEO de l'Upsi. Les investisseurs sont attentistes, les occupants refroidis."
Revoir les objectifs
Les développeurs les plus touchés sont ceux qui ont acquis des positions chères, obligés de "revendre le projet, le phaser, le mettre sur pause ou s'associer pour le sortir, poursuit l'expert. Ce qui n'en diminue que davantage l'offre, les obligeant à limiter leurs frais fixes." Et notamment les charges de personnel.
Mais jusqu'où ira cette raréfaction de l'offre qui stabilise les prix ? Le foncier a en effet pris énormément de valeur et est sans doute arrivé à un point culminant. Tant que les taux étaient bas et que la valeur des terrains augmentait, les délais dans l'obtention des permis étaient gérables, les promoteurs se refinançant à court terme à bas prix. Au point de les inciter, maintenant que les taux augmentent, à être moins créatifs, moins audacieux dans leur offre, ce que suggèrent certains professionnels ? "Certainement pas, conclut Olivier Carrette. La concurrence entre développeurs reste très dure et ce n'est pas en banalisant l'offre qu'ils émergeront." Non sans indiquer que la crise - de moral ou immobilière - est passagère. "La résilience de notre secteur est historique et le restera. Le mot faillite n'est absolument pas à l'ordre du jour."