Moins de 50 millions pour la plus grosse transaction ‘bureaux’ du premier semestre: "On ne sait encore si le marché immobilier a touché le fond"
Libre Immo | Le dossier. Un tarif dérisoire qui s’explique par la hausse des taux et la faiblesse de l’offre.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TB6RBRRB7ZFTLE2HFN72AKZUV4.png)
- Publié le 14-09-2023 à 14h49
:focal(4737x3168:4747x3158)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DWTCWG5TPFCOXH2CSFTOTZSFXY.jpg)
Les professionnels en conviennent : l’édition 2023 de Realty ne se tient pas dans le plus favorable des contextes. La remontée violente des taux d’intérêt a, en effet, stoppé les ardeurs des investisseurs et candidats-acquéreurs. Les tableaux que les courtiers publient chaque semestre ne peuvent masquer le marasme. Et cela vaut, à des degrés divers, pour tous les secteurs (bureaux, retail, logistique, semi-industriel, résidentiel…) et dans tous les pays. Le marché des bureaux à Bruxelles (sur lequel le département Research de Knight Frank s’est penché) n’y coupe pas.
"L'inquiétude des acquéreurs est de déployer des moyens aujourd'hui sans être certains de ne pas acter une moins-value dans quelques mois."
1. La phobie des taux d’intérêt
Des taux d'emprunt à 4 %, quand bien même restent-ils historiquement très bas, c'est difficile à avaler quand on vient de moins de 1 %. S'ils affectent à ce point le marché de l'investissement en bureaux, "c'est qu'ils impactent la valorisation de l'immobilier, indique d'emblée Filip Derijck, directeur de la branche belge de Knight Frank, par ailleurs, responsable du département Valuation&Advisory Services. L'inquiétude des acquéreurs est de déployer des moyens aujourd'hui sans être certains de ne pas acter une moins-value dans quelques mois. Autrement dit : d'acheter à 100 aujourd'hui quelque chose qui pourrait valoir 95 ou 90 dans six mois. 'Don't try to catch a falling knife.' C'est ce que disent les Anglo-Saxons : dans les affaires, il ne faut pas tenter d'attraper un couteau qui tombe au risque de se blesser ; il vaut mieux s'en saisir quand il est à terre. Mais on ne sait encore si le marché immobilier a touché le fond…"
2. Un dérisoire volume d’investissement
Si le retail (commerces), qui s'est pris une claque avant la crise du Covid (2016-2020) et juste après (2020-2021), semble moins souffrir aujourd'hui; à l'inverse, le marché des bureaux, plus particulièrement des bureaux 'prime' (c'est-à-dire : neufs ou quasiment neufs et bien situés), qui était encore à un sommet il y a quelques mois, chute plus durement. "La plus forte correction. Catastrophique, commente, chiffres à l'appui, Shane O'Neill, responsable du département Research chez Knight Frank Belgium. Au premier semestre, 282 millions d'euros seulement ont été investis dans le marché du bureau bruxellois. C'est 70% de moins qu'au premier semestre 2022."
Avec ceci que certaines des transactions signées en 2023 ont été initiées il y a douze ou dix-huit mois et verrouillées auprès des banques. "La plus grande transaction du semestre, celle du Treesquare vendu par Nextensa à KGAL Investment Management, ne compte 'que' pour 44 millions d'euros", poursuit l'expert. Bien loin des centaines de millions d'euros de certains deals du passé. Pour le troisième trimestre, le marché sait déjà qu'il alignera une opération plus importante : la vente, début juillet, de l'immeuble de bureaux City Center d'AG Real Estate, voisinant City 2, à l'assureur MEAG, pour un montant de 100 millions d'euros.
Pour le quatrième trimestre, les courtiers attendent une opération de très grande envergure, à quasiment un milliard d'euros : celle concernant 21 bâtiments (300 000 m²) situés dans le quartier européen dont se défait l'Europe. "Ce portefeuille doit être cédé à une coentreprise formée par le fonds souverain belge SFPI et Ethias, et gérée par Whitewood, détaille Shane O'Neill. On parle de 950 millions d'euros pour l'entièreté du portefeuille dont le redéveloppement coûterait 750 millions. De quoi atteindre au final 330 000 m² de première qualité dont 25 % de logements."

3. Moins de demandes : "sur la ligne de touche"
Le constat émis par Knight Frank est cinglant : "98 % des investisseurs traditionnels se sont arrêtés, indique Filip Derijck. Ils sont sur la ligne de touche, c'est-à-dire : qu'ils ont de l'argent mais n'osent pas rentrer dans le jeu par peur de payer aujourd'hui ce qu'ils pourraient acheter demain moins cher." Il n'y aura de retour sur le marché immobilier que lorsqu'ils seront convaincus que les taux sont arrivés à leur maximum et qu'il n'y aura plus d'augmentation. "L'ironie, c'est qu'ils risquent de tous rentrer dans le marché en même temps et de se battre sur les mêmes produits. Celui qui ose faire le pas avant les autres aura tout gagné."
4. Moins d’étrangers : "typique d’une crise"
Autre constat : les étrangers se sont repliés… sur leur propre marché. "C'est typique d'un marché en crise, convient le directeur de Knight Frank Belgium. Dans des temps incertains, il est plus facile de rester près de chez soi que de partir à l'aventure au loin. Et de défendre quelque chose qu'on connaît devant un comité d'acquisition." En chiffres, cela donne, dans le volume investi au premier semestre, 60 % de Belges et 40 % d'étrangers. Parmi lesquels les Français de Corum qui ont acheté RTL House à Cofinimmo (29 millions) et les Luxembourgeois de Blue Colibri qui ont acquis le Green Square de Zaventem (17 millions). Cette proportion sera sans doute mieux balancée au troisième trimestre, l'acquéreur du City Center étant Allemand.
5. Moins d’offres : "hors du marché traditionnel"
Les experts reconnaissent que s'il y a moins d'acheteurs, c'est aussi qu'il y a moins de vendeurs. "Aujourd'hui, ceux qui veulent investir doivent être proactifs, chercher le deal en dehors du marché traditionnel, identifier et aborder les propriétaires qui ne sont pas à la vente afin de sentir s'ils seraient consentants… Une situation où les agents ont une valeur ajoutée", note le responsable du département Research de Knight Frank. Non sans être convaincu de les voir revenir quand la demande commencera à grossir à nouveau. Voire… un peu avant. "Ceux qui vont devoir refinancer leurs emprunts dans les mois qui viennent auront, en effet, le choix de remettre de l'argent afin de s'adapter à des taux plus élevés ou de revendre", corrobore Filip Derijck.
6. Plus de… promoteurs actifs qu’on le croit
En ces temps troublés d'hésitation sur la direction des taux d'intérêt, "ceux qui achètent le font parce qu'ils ont du cash, assure Shane O'Neill. De ce fait, ils ciblent davantage les 'petites' transactions (sous les dix millions d'euros ou dans la tranche entre 10 et 25 millions d'euros) que les grandes. La médiane des acquisitions de bureaux à Bruxelles pour le premier semestre est à dix millions d'euros, la moyenne tournant autour des seize millions." Qui sont-ils : pour l'essentiel, des promoteurs (Eaglestone, Revive, Urbicoon, Codic…) et des investisseurs value added qui visent des biens auxquels ils peuvent apporter de la valeur après une rénovation et une remise en location. Leurs cibles de prédilection sont similaires : des immeubles de bureaux à rénover ou à reconvertir. "La presse fait un mauvais procès aux promoteurs, conclut Filip Derijck. Que certains aient dû faire appel au marché pour des problèmes de liquidités à court terme ne doit pas déteindre automatiquement sur tout ce secteur qui, globalement, s'en sort mieux qu'on le croit, et compte même des acteurs très actifs."