Précompte immobilier: "Il est anormal qu'on instrumentalise une taxe pour remplir les caisses des communes bruxelloises"
Libre Immo | Le dossier. C’est la mauvaise surprise qui pourrait affliger 20 % des acquéreurs d’un appartement neuf à Bruxelles.
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- Publié le 14-09-2023 à 11h14
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Bien qu’attendus, le boom de l’indexation des revenus cadastraux (RC) de 9,6 % et, par conséquent, celui du précompte immobilier 2023, font des vagues dans nombre de dossiers : augmentation des centimes additionnels dans dix-huit communes belges dont huit bruxelloises, non-indexation des réductions octroyées à certains propriétaires (ceux qui ont des enfants à charge, par exemple), dépenses des communes, absence de péréquation digne de ce nom…
Il est un autre sujet que l’on évoque moins, sans doute parce qu’il concerne davantage les promoteurs immobiliers que les particuliers : le fait que le précompte serait dû quand bien même l’immeuble est en cours de rénovation lourde, voire de démolition-reconstruction, totalement inexploitable et donc improductif.
"Il est anormal qu'on instrumentalise une taxe - le précompte immobilier, en l'occurrence - pour remplir les caisses des communes bruxelloises."
Entre improductivité réelle et spéculation
La problématique concerne surtout la Région de Bruxelles-Capitale, moins ses homologues flamande et wallonne "où les taxes doivent être payées mais sont partiellement ou totalement remboursées si l'on peut prouver qu'il s'agit d'un vide locatif involontaire et/ou de travaux", détaille Bernadette Bouckaert, experte en fiscalité au sein de la société Immo Tax Consulting qu'elle a fondée en 2015. Et d'évoquer son inquiétude face au poids de la régionalisation de la Belgique, avec des exemptions ici, des interdits là, "alors que la matière cadastrale est fédérale."
Pour comprendre la problématique, il faut remonter quasiment au début de la création de la Région bruxelloise qui décide, par une ordonnance de juillet 1992, d’annihiler l’improductivité des bureaux, vides ou en rénovation lourde. Une mesure prise pour contrer la spéculation opérée en laissant un immeuble à l’abandon afin d’avoir, en fin de compte, l’autorisation de le démolir.
Des "astuces" qui n’ont plus cours
Au fil des années, les promoteurs et développeurs avaient néanmoins réussi à trouver des "astuces" pour mettre les RC à zéro ou pour les diminuer, liées au type de travaux (bâtiment désossé, nouvelle ossature), à l'état d'avancement des travaux, à l'enlèvement de l'HVAC (pouvant donner lieu à une diminution de 20-30% du RC sachant qu'il avait été augmenté de quasiment autant lors de son installation) ou encore à l'occupation future de l'immeuble (reconversion en logements…). "Mais depuis juin 2021 et la publication au Moniteur d'un articulet sur l'équité des propriétaires entre ceux qui achètent un lot et ceux qui acquièrent l'entièreté du bâtiment, il n'y a plus rien à faire, dénonce Bernadette Bouckaert. Pour peu que les sous-sols soient toujours en place, le cadastre considère que l'immeuble n'est pas totalement démoli. Toute discussion sur la récupération du précompte immobilier pendant les travaux est alors refusée. Or, les permis sont davantage défendables en gardant les sous-sols…" La fondatrice d'Immo Tax Consulting augure d'ailleurs des lendemains bien compliqués pour les promoteurs, entre hausse des coûts de construction, du financement, des salaires…
"Dès le moment où il y a un acte de base divisant l'immeuble, permettant de le commercialiser, et qu'il y a une vente, le précompte immobilier incombe à l'acquéreur."
Les particuliers davantage concernés qu’on le pense
La problématique interpelle les promoteurs et développeurs depuis bien longtemps, de même que l'Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier), la fédération qui les réunit. Car le sujet est éminemment politique. "Il est anormal qu'on instrumentalise une taxe - le précompte immobilier, en l'occurrence - pour remplir les caisses des communes bruxelloises, commente Olivier Carrette, son administrateur délégué. On a pris contact avec le ministre des Finances et avec le directeur général du cadastre, mais rien n'y a fait. Qu'on soit dans le cadre d'une démolition-reconstruction sans changement d'affectation ou d'une reconversion. Un immeuble "fantôme" ne devrait pas être imposé sur des revenus qu'il n'engendre pas. C'est renversant de devoir la totalité du précompte immobilier sur un volume théorique. Car, qu'on ne s'y trompe pas, le précompte immobilier, calculé sur le revenu cadastral d'un bien est, par définition, lié à la valeur locative du bien, plus précisément aux perspectives de revenus pour l'année en cours."
"Mais c'est une erreur de penser que les particuliers ne sont pas concernés, insiste Bernadette Bouckaert. Ils le sont dans le cadre des reconversions de bureaux en logements. Avec, depuis quelques mois, une véritable aberration… bruxelloise qui atterre les acquéreurs d'un logement neuf sur plans. Au titre de propriétaires, ils doivent payer un précompte immobilier. Le cadastre ne pouvant attribuer un RC personnalisé à ces futures unités de logement avant leur finalisation, il en impose un de manière provisoire en… divisant le RC d'origine selon les quotités établies dans l'acte de base. Le problème, c'est que ce RC d'origine est un RC de bureaux, trois à quatre fois plus élevé qu'un RC résidentiel !" Et il n'y a pas de solution.
Un logement neuf sur cinq émane d’une reconversion
Or, c’est à Bruxelles qu’il y a le plus de reconversions (de 70 000 à plus de 100 000 m²/an en moyenne). C’est bien simple, selon l’Observatoire des bureaux, pas moins d’un logement neuf sur cinq (20 %) émane d’une reconversion ! Cela signifie qu’un propriétaire d’un logement neuf sur cinq subit cette aberration.
"Le cadastre indique être tenu de voir l'état du nouveau bâtiment afin de calculer la valeur locative des lots et donc le RC. Tant qu'il n'a pu le faire, c'est l'ancien RC qui prévaut…", argue Bernadette Bouckaert. Or, ce n'est pas quand on lui livre l'appartement que l'acquéreur devient officiellement propriétaire mais quand il signe sur plans. "Dès le moment où il y a un acte de base divisant l'immeuble, permettant de le commercialiser, et qu'il y a une vente, le précompte immobilier incombe à l'acquéreur", détaille-t-elle. Même si l'immeuble est vide, sans fenêtre, sans cloison, ou même totalement par terre sur ses fondations. "Cela va donner lieu à des procédures en série", prédit-elle. Qui seront intentées par les acquéreurs, éventuellement soutenus par les vendeurs, ou par les promoteurs. "On a tenté de résoudre cela à l'amiable. Si cela ne suffit pas, on attaquera en justice, conclut Olivier Carrette. On essaye d'ailleurs actuellement d'associer des promoteurs pour introduire un recours."