Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre : "J’exhorte le ministre des Finances à présenter son plan anti-fraude"
Le Parti socialiste s’impatiente : le grand plan de lutte contre la fraude tarde. Ahmed Laaouej, chef de groupe, veut aussi un renforcement du rôle des parquets. Le PS dépose une résolution pour faire la lumière sur la nature des 44 milliards de capitaux "noirs" sur des comptes belges.
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- Publié le 17-05-2021 à 20h18
- Mis à jour le 18-05-2021 à 08h45
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La lutte contre la fraude fiscale est l’un des chantiers les plus ambitieux de la législature. C’est le cas pour tout gouvernement depuis des décennies, dira-t-on. Mais au-delà des mesures à prendre, le budget attendu - un milliard par an en rythme de croisière dès 2024 - est ambitieux. Or, le Parti socialiste s’inquiète de la lenteur des travaux… Entretien avec Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre. Cela n’avance pas assez vite, donc ?
Je demande au ministre des Finances d’accélérer la cadence en matière de lutte contre la fraude fiscale. Cela fait neuf mois que le gouvernement est installé ; il est temps de venir avec un grand plan de lutte contre la fraude pour septembre. D’abord, par nécessité de justice fiscale. Ce point figure d’ailleurs dans la note gouvernementale. Et puis parce qu’en cette période de fragilité de nos finances publiques, il est temps de demander à ceux qui pratiquent l’optimisation fiscale agressive de contribuer à la relance de notre pays.

Un récent rapport de la Cour des comptes a mis en exergue 44 milliards d’euros d’anciens capitaux jugés "noirs" sur des comptes belges, ayant échappé à une amende ou un impôt : un déclic pour vous ?
La coupe est pleine. Entre les estimations de la Banque nationale et celles basées sur l’économie souterraine du Professeur Schneider de l’Université de Linz (18 % du PIB), on va de quelques milliards à plusieurs dizaines de milliards d’euros de capitaux qui ne rentrent pas dans les caisses de l’État. Et encore, ces estimations ne prennent-elles pas en compte les opérations de destruction d’impôts orchestrées par certains opérateurs financiers. Nous exhortons donc le ministre des Finances à présenter rapidement un vrai plan de lutte contre la fraude fiscale et plus particulièrement la fraude fiscale grave et organisée.
Un gros projet a été voté la semaine dernière…
Oui, sur le registre UBO (registre des bénéficiaires effectifs des sociétés, NdlR), pour qu’il soit plus conforme à la réalité, et sur les mécanismes particuliers, ce qui est très bien. Cette dernière disposition impose aux banques et établissements de crédit de dénoncer les mécanismes particuliers qui concourent à des opérations frauduleuses. Cette obligation, qui existait déjà, n’a jamais été rencontrée ; on renforce son caractère comminatoire. Tout ça c’est fort bien, donc, mais ce ne sont jamais que des recommandations qui datent d’une commission d’enquête sur les grands dossiers de fraude fiscale de 2008.
Insuffisant, donc ?
Il faut aller beaucoup plus loin, notamment sur la dimension opérationnelle de la lutte contre la fraude. Le rôle des parquets doit être renforcé. Il est souhaitable que le ministre des Finances se coordonne avec son collègue de la Justice (Vincent Van Quickenborne, Open VLD, NdlR) pour renforcer la collaboration entre les parquets et l’administration fiscale. Ce que révèle aussi le rapport de la Cour des comptes que vous citiez, en rapport avec les opérations de régularisation fiscale, c’est aussi qu’il n’y a pas de suivi des opérations de blanchiment détectées. Il n’y a notamment plus d’information sur les transactions pénales à caractère fiscal. L’administration fiscale est donc mal informée. Il faut s’y mettre, maintenant, et demander un plan de lutte contre la fraude pour la rentrée de septembre, ainsi qu’un nouveau plan de réaménagement des moyens.

Cela dit, vous faisiez référence aux 44 milliards d’euros, mais la plupart sont prescrits, non ?
La question qui se pose, c’est de savoir si ces capitaux sont bien totalement prescrits. Cela mérite analyse ; c’est le job de l’administration fiscale. Et puis, il y a le volet judiciaire. C’est ce que dit la Cour des comptes : ce n’est pas parce que c’est prescrit sur le plan fiscal que ça l’est sur le plan pénal. Le pénal peut permettre d’enquêter sur l’origine des capitaux, sur la nature de leur caractère illégal. On va donc déposer une résolution pour que le parquet et l’administration fiscale puissent faire la lumière sur la nature de ces capitaux, et sur ce qu’il est possible de récupérer par la voie judiciaire. On pourra aussi se demander s’il n’y a pas lieu de notre endettement public. Vincent Van Peteghem est de bonne volonté et pas réfractaire à la justice fiscale, si j’en crois ses interventions, mais là, il est temps mettre en place ce plan.
D’autres recommandations devraient-elles être suivies d’actions selon vous ?
La majorité des professionnels du chiffre sont des gens honnêtes, consciencieux, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas de montage frauduleux sans eux, et sans circuit financier, ce qui rappelle le rôle des banques. Je les invite d’ailleurs à respecter leurs obligations (notamment sur les mécanismes particuliers et en matière de blanchiment), et prendre leurs responsabilités. Mais ce sont surtout les cerveaux derrière les montages agressifs qu’il faut conscientiser, et renforcer la responsabilité de ces intermédiaires financiers selon nous. Leur créativité concourt à l’injustice sociale et fiscale que nous connaissons.
En parlant de montages agressifs, les récentes révélations autour du système "Amazon" au Luxembourg doivent vous interpeller, non ?
Absolument. C’est d’ailleurs un dernier message que j’adresserai à Vincent Van Peteghem : qu’il mette la pression sur le Grand-Duché du Luxembourg. Ce pays continue d’organiser la planification fiscale de grosses sociétés comme Amazon à l’échelle internationale, ce qui aboutit in fine à ce qu’il y ait "zéro impôt" payé en Europe. Ce pays, qui joue un jeu malsain, j’ose le dire, utilise à nouveau tous les moyens pour organiser la planification fiscale agressive. La Belgique, avec d’autres, doit mettre le Luxembourg face à ses obligations.