Quelles répercussions le télétravail a-t-il au niveau fiscal pour les transfrontaliers ?
La généralisation du télétravail, pour les travailleurs qui étaient auparavant actifs dans des pays étrangers, n'est pas sans conséquences au niveau fiscal. Employeurs et travailleurs devront donc tenir à l’œil les accords conclus entre la Belgique et ses voisins.
Publié le 01-06-2021 à 14h37 - Mis à jour le 04-06-2021 à 14h12
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1. Pourquoi des mesures exceptionnelles ont-elles été prises sur les plans fiscal et social ?
L’internationalisation grandissante du monde du travail fait que de plus en plus de personnes exercent leur profession simultanément dans plusieurs États. Or, dans le cadre de la crise du Covid-19, des mesures inédites ont été prises partout dans le monde afin de limiter les mouvements de population. En parallèle, le télétravail est devenu, dans la mesure du possible, la "norme" afin de limiter les risques de contamination sur le lieu de travail.
A la suite de ces mesures, de nombreuses personnes travaillant habituellement à l’étranger ou exerçant une partie de leur activité professionnelle à l’étranger sont dorénavant contraintes de travailler depuis leur domicile. Cette augmentation significative du télétravail n’est évidemment pas sans conséquences sur le traitement fiscal et social des rémunérations. C’est pourquoi la Belgique et ses pays voisins ont adopté des mesures exceptionnelles visant à limiter les effets de la crise. État des lieux.
2. Quelles sont les conséquences au niveau de la sécurité sociale ?
Au niveau européen, lorsqu’un travailleur exerce ses activités professionnelles sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres de l’Espace économique européen et/ou en Suisse, il n’est en principe soumis qu’à la législation sociale d’un seul État membre.
En vertu de cette réglementation européenne, lorsqu’un travailleur est occupé simultanément dans plusieurs États membres, il est soumis à la législation de sécurité sociale de son État de résidence si c’est dans cet État qu’il exerce au moins 25 % de son temps de travail. Par contre, si ce seuil de 25 % n’est pas atteint, il est en général soumis à la législation sociale de l’État membre dans lequel son employeur est situé.
Les effets d’un changement de régime
Dès lors, un recours accru au télétravail est susceptible d’augmenter de manière significative le temps de travail du travailleur dans son État de résidence, ce qui peut conduire à un basculement vers le régime de sécurité sociale de l’État de résidence. Ce basculement n’est bien entendu pas sans conséquences pratiques tant pour le travailleur que pour l’employeur, qui pourrait notamment subir une augmentation du coût salarial.
C’est dans cette perspective que la Commission européenne a encouragé les États membres à prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une continuité dans la législation de sécurité sociale applicable.
La Belgique, le Luxembourg, la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et d’autres pays européens ont donc pris des mesures visant à éviter que le recours au télétravail en raison de la crise du Covid-19 n’entraîne une modification de la législation de sécurité sociale applicable.
La Belgique a ainsi "décidé que les périodes de télétravail prestées sur le territoire belge par les travailleurs frontaliers en raison du coronavirus ne seront exceptionnellement pas prises en compte pour la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et qu’elles n’auront donc pas d’influence sur leur affiliation à la sécurité sociale. Cette période sera neutralisée du 13 mars 2020 au 30 juin 2021 mais pourrait être revue en fonction des mesures Corona".
Elle a également conclu des accords bilatéraux reprenant des dispositions similaires avec nos pays voisins, dont les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces accords sont en principe applicables jusqu’au 30 juin 2021.
3. Quelles répercussions au niveau fiscal ?
Les restrictions en matière de déplacements et la pratique du télétravail peuvent également avoir des répercussions au niveau fiscal. On pense notamment aux personnes rémunérées dans le cadre d’un salary split entre la Belgique et un voire plusieurs pays voisins.
En effet, la plupart des conventions préventives de double imposition conclues entre les États prévoient que les rémunérations d’un travailleur sont en principe imposables dans l’État où l’activité est physiquement exercée. Ce n’est que lorsque certaines conditions strictes sont respectées (notamment lorsque le séjour dans l’État d’activité n’excède pas 183 jours durant une période de référence et lorsque le coût salarial est toujours supporté dans l’État de résidence de l’employé) que les rémunérations payées en raison d’une activité exercée dans un autre État demeurent imposables dans l’État de résidence.
Avec la crise du Covid-19, de nombreux travailleurs transfrontaliers ont été empêchés d’exercer leur activité dans leur État d’emploi initial et ont davantage dû exercer leur activité professionnelle dans leur État de résidence.
Comme en matière de sécurité sociale, la Belgique a conclu avec ses voisins (Allemagne, France, Luxembourg et Pays-Bas), dans le cadre de la crise, des accords dérogatoires prévoyant que les rémunérations payées en raison des journées de télétravail prestées dans l’État de résidence doivent être considérées comme des journées prestées dans l’État initial d’activité, et ce, à partir du 11 mars 2020 (14 mars pour la France) jusqu’au 30 juin 2021.
Ces dérogations ne s’appliquent cependant pas aux travailleurs détachés temporairement, ni aux employés bénéficiant du statut de cadre étranger, ni aux travailleurs indépendants ou administrateurs (contrairement aux règles dérogatoires adoptées en Belgique en matière de sécurité sociale), ni aux journées de télétravail prévues initialement dans le contrat d’emploi (c’est-à-dire sans lien avec la crise du Covid-19).
4. Et dans la pratique, ça donne quoi ?
Sur le plan pratique, pour qu’un contribuable résident fiscal belge puisse bénéficier de ces accords Covid-19, l’administration fiscale belge a précisé qu’elle exigerait la production des documents suivants :
• une attestation de l’employeur indiquant les jours de travail à domicile liés au seul fait des mesures prises en vue de lutter contre le Covid-19 ;
• la preuve de l’imposition effective des rémunérations liées au travail à domicile par l’État où l’activité aurait été exercée en l’absence des mesures de lutte contre le Covid-19.
Pour les contribuables résidant en dehors de la Belgique, il convient d’examiner au cas par cas si le pays voisin exige la production d’une attestation similaire. Sur base de notre expérience, il semblerait notamment qu’une telle attestation ne soit par exemple pas exigée aux Pays-Bas.
Il ressort des lignes qui précèdent que, poussés par la Commission européenne et l’OCDE, la Belgique et les pays voisins ont adopté des règles qui ont pour effet d’éviter au maximum que le recours au télétravail dans un contexte Covid-19 ne modifie substantiellement le traitement fiscal et social des rémunérations payées dans le cadre d’emplois frontaliers préexistants avant la crise. L’état de la situation actuelle est donc plutôt rassurant, du moins en ce qui concerne les travailleurs frontaliers salariés.
La situation des travailleurs indépendants, des travailleurs bénéficiant en Belgique du statut spécial pour cadre étranger ou encore des travailleurs non frontaliers, c’est-à-dire les personnes qui exercent leur activité dans des pays européens autres que des pays voisins, voire dans des pays non européens, demeure plus préoccupante.
5. Comment envisager l’après-Covid ?
Avec le début des campagnes de vaccination, la crise du Covid-19 sera peut-être bientôt derrière nous. Néanmoins, de par son ampleur, cette crise laissera des traces.
Il est ainsi vraisemblable que le télétravail s’imposera plus qu’auparavant comme une norme, pour devenir la nouvelle normalité, même dans des situations d’emplois transfrontaliers. Ainsi, il ressort de diverses enquêtes menées auprès d’entreprises et de travailleurs du monde entier que beaucoup de travailleurs perçoivent le télétravail comme souvent positif. En effet, celui-ci n’est pas nécessairement considéré comme un obstacle, même dans les situations exigeant une certaine mobilité internationale. Dès lors, le télétravail conservera sans doute une place importante dans la nouvelle ère post-Covid.
Cela étant, travailler un ou plusieurs jours par semaine depuis son domicile avec l’accord de son employeur, alors que cet emploi était auparavant exercé exclusivement dans l’État d’emploi, pourra donc avoir des conséquences en matière fiscale et sociale.
Concrètement, à la suite du télétravail transfrontalier, le travailleur peut se trouver dans une situation où il sera imposable dans deux pays. Les jours prestés dans l’État où se trouve l’employeur resteront imposables dans ce pays, tandis que les jours prestés dans l’État de résidence ou des pays tiers (ex : voyages professionnels, business trips) deviendront imposables dans cet État de résidence.
De plus, si, dans le cadre de son télétravail transfrontalier, le travailleur exerce son activité professionnelle pour 25 % ou plus dans son État de résidence, le travailleur et son employeur peuvent devoir changer de système de sécurité sociale.