Quels impôts sur les revenus immobiliers ?
Biens belges, biens étrangers, loués ou non, la fiscalité immobilière est faite de nombreuses particularités dont il est capital de tenir compte.
Publié le 01-06-2021 à 16h39 - Mis à jour le 09-06-2021 à 10h54
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1. Comment en est-on arrivé à une situation aussi inextricable ?
La fiscalité immobilière est une matière qui touche de nombreux domaines : les droits d’enregistrement et l’impôt sur les revenus, sans parler de la TVA. Agrémentez le tout d’un élément "transfrontière" et vous obtenez, à tous les stades, une grande complexité et des inégalités de plus en plus remises en cause.
Les difficultés d’accès à la propriété sont bien connues : apport des fonds propres demandés par les banques et paiement des droits d’enregistrement (confondus avec les "frais de notaire") s’élevant à 10 % (Flandre) ou 12,5 % (Wallonie et Bruxelles) de la valeur vénale du bien. Des réductions d’impôt et des exonérations de droits d’enregistrement sont prévues pour atténuer ces difficultés mais elles dépendent de la Région, de la date d’acquisition, du prêt et son refinancement. Bref, trois pages de codes presque illisibles dans la déclaration fiscale.
Revenu cadastral et valeur locative nette
L’imposition des revenus immobiliers belges est fondée sur la notion de "revenu cadastral", qui représente la valeur locative nette d’un bien et qui est déterminé par l’administration Mesures et évaluations (l’ancienne administration du cadastre) lorsqu’un nouvel immeuble est construit ou lorsqu’un bien subit des transformations importantes.
Pour calculer le revenu cadastral, priorité à la valeur locative normale nette de l’immeuble à la période de référence.
À défaut de données connues, le revenu cadastral correspond alors à 5,3 % de la valeur vénale normale du bien, toujours à la période de référence. L’originalité, c’est que la période de référence est arrêtée au 1er janvier 1975, faute de péréquation générale du cadastre depuis lors (alors que le code fiscal prévoit une péréquation tous les dix ans). Certains biens peuvent donc avoir un revenu cadastral totalement déconnecté de la valeur locative nette réelle et actuelle, s’il n’a jamais été réévalué par l’administration.
2. Quels impôts sur les revenus immobiliers ?
Le revenu cadastral sert pourtant de base de calcul au précompte immobilier et de base imposable aux revenus immobiliers des immeubles qui ne sont pas donnés en location (sauf l’habitation propre) et ceux donnés en location à des personnes physiques qui ne l’affectent pas à leur activité professionnelle. Dans ce cas, le contribuable belge doit déclarer le revenu cadastral du bien, qui est indexé (1,8630 pour les revenus 2021) et majoré de 40 % par l’administration, et soumis à l’impôt sur les revenus, sans possibilité de déduire d’éventuels frais.
En revanche, si l’immeuble est donné en location à une personne morale ou une personne physique qui affecte le bien totalement ou partiellement à son activité professionnelle, ce sont les loyers réels et les avantages locatifs qui sont imposés, après déduction d’un forfait légal de frais de 40 % (et plafonné). À nouveau, impossible pour le bailleur de déduire les frais réellement supportés, et ce, même si les loyers réels sont imposés.
3. Et à l’étranger, quelle taxation des revenus ?
Pour les immeubles étrangers, il n’y a pas de revenu cadastral à la (vieille) sauce belge. La Belgique impose donc les revenus immobiliers étrangers selon la "valeur locative" du bien (s’il n’est pas loué) ou le montant total des loyers et des avantages locatifs (si le bien est loué). La jurisprudence et la pratique administrative ont dégagé, selon les pays, ce qui est admis comme "valeur locative". Par exemple, pour les immeubles en France, le contribuable belge peut reprendre la "valeur locative brute" qui figure sur l’avis de paiement de la taxe foncière, multiplié par deux. Pour les immeubles aux Pays-Bas, la valeur locative à déclarer s’élève à 4 % la valeur WOZ de l’immeuble. Pour les biens italiens, le contribuable peut déclarer 4/3 de la rendita cadastrale et en Espagne 2 % ou 1,1 % d’el valor cadastral. De ces montants, certaines taxes étrangères sont déductibles (comme la taxe foncière française, mais pas la taxe d’habitation, la onroerende zaakbelasting néerlandaise, l’IMU italien ou l’IBI espagnol).
Dans les conventions préventives de double imposition conclues par la Belgique, il est prévu que les revenus immobiliers sont imposés uniquement dans l’état où l’immeuble se situe. Les revenus d’un immeuble français sont donc imposés en France et pas en Belgique. Ils sont tout de même pris en compte pour calculer l’impôt belge et doivent donc être déclarés. C’est la réserve de progressivité : plus il y a de revenus étrangers, plus les revenus belges seront rapidement soumis aux tranches d’imposition les plus élevées.
4. Pourquoi le régime fiscal à l’étranger était-il discriminant ?
Aux yeux de la Cour de justice de l’Union européenne, la Belgique a instauré de la sorte une discrimination illégale entre les immeubles belges et étrangers. Il a fallu des astreintes pour que la Belgique agisse, dans l’urgence. Résultat : un pansement sur une jambe de bois.
À partir des revenus de l’année 2021 (à déclarer en 2022), les résidents belges devront déclarer le revenu cadastral de leurs immeubles à l’étranger, non loués ou loués à des particuliers qui ne l’affectent pas à leur activité professionnelle (dans les autres cas, ce sont toujours les loyers perçus qu’il faudra déclarer).
Encore faut-il attribuer un revenu cadastral à ces immeubles qui, par définition, n’en ont pas et pour lesquels l’administration ne disposera pas d’une valeur locative nette au 1er janvier 1975, ni de la valeur vénale à cette date. Une nouvelle méthode est instaurée dans le code fiscal. Le revenu cadastral correspond alors à 5,3 % de la valeur vénale normale "actuelle" du bien, divisée par un facteur de correction. Si une valeur vénale est connue pour l’année 2020, le facteur de correction à utiliser est 15,036 (pour 2019 : 15,006 ; etc.). Pour remédier à l’absence de péréquation, l’administration part donc d’une valeur récente pour estimer celle de 1975, utilisée pour les immeubles belges.
5. Qui est concerné et surtout que faut-il faire ?
Les contribuables qui ont déclaré des revenus immobiliers étrangers par le passé seront normalement contactés par l’administration. De manière générale, les personnes physiques ou morales (non soumises à l’impôt des sociétés) qui étaient propriétaires avant le 31 décembre 2020 doivent communiquer une brève description du bien, sa situation et sa valeur vénale "actuelle" à la cellule dédiée de l’administration Mesures et évaluations, pour le 31 décembre 2021 au plus tard. Des amendes administratives allant jusque 3 000 euros sont prévues en cas de non-respect de l’obligation de déclaration, ce que l’administration vérifiera aisément grâce aux échanges d’informations internationaux.
Les multipropriétaires, à risque ?
La requalification des loyers ou des plus-values immobilières en revenus d’une activité professionnelle est une véritable épée de Damoclès pour les multipropriétaires. Face aux tentatives du fisc, la justice lui donne tantôt tort, tantôt raison, selon les circonstances propres à chaque affaire : le nombre d’immeubles, le niveau d’endettement et d’implication dans la gestion du patrimoine immobilier, la profession du contribuable, la rapidité des opérations, etc. La jurisprudence disparate impose la prudence lorsque les projets immobiliers s’enchaînent.
Sans être un remède miracle, l’investissement au travers d’une société peut être une solution qui peut avoir des effets secondaires non négligeables : danger des "sociétés villas" et rejet de déductibilité des charges, difficulté de sortir l’immeuble de la société, imposition des plus-values immobilières, etc. À cette complexité s’ajoute encore la dernière refonte du Code civil portant sur les droits des biens, dont les dispositions entrent en vigueur au 1er septembre 2021 et auront certainement des conséquences fiscales, en matière d’usufruit notamment.
Plus que jamais, un conseil éclairé permettra d’éviter les surprises, de plus en plus coûteuses compte tenu du prix de l’immobilier. Tout ceci pour des investissements à longue durée de vie, durant laquelle la législation évolue et se voit greffer d’autres prothèses, en attendant la prochaine opération : celle d’une grande réforme fiscale.