Pierre Devolder, professeur à l’UCLouvain : "Le deuxième pilier des pensions a un côté schizophrénique"
L'UCLouvain organisait ce vendredi une conférence autour du deuxième pilier des pensions. Plusieurs experts et organismes y étaient conviés, histoire de mettre en lumière les failles du système et les changements attendus.
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Publié le 11-06-2021 à 18h58 - Mis à jour le 11-06-2021 à 18h59
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Beau panel que celui réuni par l’UCLouvain autour de la problématique des pensions complémentaires ce vendredi. Outre le Bureau du Plan, qui a récemment ausculté ce pilier des pensions financées en entreprises, la Cour des Comptes venait y exposer les grandes lignes de son rapport publié fin 2020 qui, depuis lors, n’en finit pas de défrayer la chronique. D’autant que le dépôt de la réforme des pensions par la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) est imminent (septembre).
1. Quels sont les griefs pointés par la Cour ?
Pour rappel, la Cour des Comptes a d’abord mis en évidence que “ce deuxième pilier des pensions était le reflet des inégalités du marché du travail”, a synthétisé l’auditrice de la Cour Hélène Mastrodicasa. Les femmes sont ainsi les parents pauvres de ce pilier : elles perçoivent en moyenne moitié moins que les hommes. Le recours plus important aux temps partiels et les inégalités salariales expliquent en partie ce constat. Autre inégalité marquante : une grande majorité des affiliés au deuxième pilier ne touche quasi rien (50 % perçoivent 24 euros par mois de pension complémentaire), tandis qu’une petite minorité, essentiellement des dirigeants d’entreprises, capte une part substantielle des réserves acquises : 10 % d’entre eux toucheront au moins 1400 euros par mois de pension complémentaire.
La Cour des Comptes a ensuite rappelé les manquements en matière de cotisations sociales sur les primes versées et le coût global fiscal du pilier (2 milliards d’euros environ, NdlR) par rapport à un effet redistributif discutable… Les problèmes de contrôle des bases de données sont eux aussi patents. Ainsi, 50 % des réserves acquises des pensions complémentaires figurant dans la banque de données Sigedis, qui répertorie tous les contrats, ne figurent pas dans le cadastre de prestations du SPF Pensions. Cela ne signifie pas qu’elles se perdent dans la nature, mais ça en dit long sur le manque de coordination.
2. Pourquoi les problèmes du deuxième pilier sont sensibles ?
“Globalement, le deuxième pilier des pensions, nous explique Pierre Devolder, professeur à l’UCLouvain, organisateur de cette conférence, a un côté schizophrénique. Le monde politique appelle à sa démocratisation depuis plus de 15 ans, mais ce pilier est régulièrement pointé du doigt pour ses problèmes d’inégalités ; on le doit abject, asocial.” Ce qui s’explique en grande partie par la très grande complexité de la matière, et par les différences de régime entre les statuts.

La fédération des compagnies d’assurance (Assuralia), représentée par Bart Vandermeiren, a tenu à nuancer les critiques émises par la Cour des Comptes. “Il faut d’abord dire que l’audit de la Cour des Comptes se base sur la cohorte des personnes qui sont parties à la retraite en 2017. Or, ces personnes n’ont en grande partie pas bénéficié des récents incitants aux pensions complémentaires.” Un constat partagé et complété par Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCLouvain : “on a échoué avec la démocratisation de ce deuxième pilier. L’un des objectifs était de compenser les pensions plus faibles des salariés et indépendants par rapport aux fonctionnaires, mais la différence de pension entre salariés et fonctionnaires est en moyenne de 60 %, alors que les pensions complémentaires des salariés n’augmentent leur retraite légale que de 2 %.”
3. Quelles sont les craintes des assureurs ?
Les critiques de la Cour des Comptes ont été manifestement entendues par la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS). Sa réforme des pensions – singulièrement du deuxième pilier – est attendue pour le mois de septembre. Elle l’a promise plus “égalitaire” au cours d’une autre conférence organisée fin avril par l’UCLouvain.
“Le secteur des assurances craint que le rapport de la Cour des Comptes soit utilisé à des fins politiques, pour remettre en cause le fonctionnement de ce pilier au travers de la prochaine réforme”, estime Pierre Devolder. Le secteur craint surtout une remise en cause de la déductibilité des primes d’assurances des dirigeants d’entreprises (considérées comme des frais professionnels), “qui n’étaient jusqu’il y a peu quasi pas contrôlées par le SPF Finances”, a rappelé Hélène Mastrodicasa.
On touche ici à la fameuse règle des 80 % qui régit l’assurance de groupe. Selon cette règle, le plafond de la prime déductible est déterminée par le fait que la somme de la pension légale et de la pension extralégale ne doit pas dépasser 80 % de la dernière rémunération annuelle. Cette règle permet aussi le rattrapage d’années antérieures (back-service) où il n’y a pas eu de versement de pension complémentaire. Cette possibilité de “rattraper” les années antérieures est fortement remise en cause par le fisc. “Ce qui provoque beaucoup d’incertitudes juridiques”, selon Pierre Devolder. La ministre, elle, s’est jusqu’ici contentée de dire qu’elle allait travailler avec le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) pour mieux faire respecter la fameuse règle des 80 %. Pour Jean Hindriks, “il faut simplifier cette règle qui ne convient plus aux assurances de groupe actuelles”.
Rendez-vous en septembre pour la réforme.