Le ras-le-bol des comptables et fiscalistes face au SPF Finances : "Certains sont au bord du gouffre"
Une pétition pour demander un accès plus stable et plus rapide aux services des Finances fait un tabac. Elle rassemble plus de 3 600 signataires professionnels du chiffre. Pour l'experte-comptable Morgane Depriez, qui l'a lancée, la profession est face "au mur des Finances". Le SPF Finances et le ministre Van Peteghem s'en défendent.
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Publié le 27-10-2021 à 08h05 - Mis à jour le 27-10-2021 à 09h39
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"Au départ, ce n'était qu'un coup de gueule", explique Morgane Depriez, experte-comptable et fiscale, par ailleurs administratrice de l'Ordre des Experts-Comptables et Comptables Brevetés de Belgique. "Mais la pétition que j'ai lancée pour interpeller le ministre des Finances Vincent Van Peteghem sur nos difficultés en tant que professionnels du chiffre à accéder aux e-services du SPF Finances a rencontré un succès qui dépasse mes attentes."
Plus de 3 600 comptables ou fiscalistes au sens large ont signé ladite pétition. On y perçoit le ras-le-bol d'une profession "dont certains, je n'ai pas peur de le dire, sont au bord du gouffre, sur les genoux, avec le sentiment d'être abandonnés par un ministre un peu indifférent", lance Emmanuel Degrève, conseil fiscal (Deg Partners). "Le ministre, c'est vrai,affirmaitfin septembre en Commission des Finances que le site Tax-on-web était disponible 99,61 % du temps. Mais où trouve-t-il ce chiffre ? Cela ne correspond absolument pas à notre ressenti", embraie Morgane Depriez.
De nombreux problèmes informatiques
"Non seulement le site plante très régulièrement, nous faisant poireauter inutilement ou nous éjectant du système après de longues minutes d'attente pour rentrer les déclarations de nos clients. Mais il faut aussi rajouter une surcharge de travail non négligeable avec toutes les mesures de soutien prises durant la crise sanitaire, telles le droit passerelle sous toutes ses formes ou des mesures fiscales. Et il ne faut pas non plus oublier les traditionnelles lois fourre-tout sur le plan fiscal qui sont votées chaque année à la fin décembre, et qui complexifient davantage encore une législation déjà indigeste", poursuit l'experte-comptable. Qui insiste sur l'ouverture tardive de certains outils, "ce qui complique encore notre travail, et réduit notre capacité à respecter des délais fort courts".
Le ministre des Finances, interpellé à la Chambre fin septembre, n’est pas resté insensible aux critiques de la profession depuis quelques semaines. Le 15 octobre, Vincent Van Peteghem confirmait que les experts-comptables et conseillers fiscaux bénéficiaient d’une nouvelle prolongation pour introduire – au 8 novembre – auprès de l’administration les déclarations d’impôt (IPP) de leurs clients.
"Le ministre comprend la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent de nombreux acteurs économiques en raison des nombreuses conséquences fiscales de la crise corona", déclarait-il ainsi dans un communiqué de presse. Toutefois, l'accord que Van Peteghem avait conclu avec la fédération professionnelle stipulait également que dans les années à venir, "des efforts devraient être faits pour respecter les délais de dépôt. En outre, le ministre, en collaboration avec l'ITAA (Institute for tax advisors and accountants), veut éviter une ruée à la fin de la période de déclaration. En effet, cela crée le risque de surcharger les applications du SPF Finances".
Destinée aux contribuables
"Cette arrogance et ce mépris pour notre profession sont vraiment interpellants, poursuit Emmanuel Degrève. Car les problèmes sont réels. Le fait de ne pas avoir de mandat unique quand on se connecte aux e-services font que les requêtes envoyées sont bien trop importantes. Cela surcharge le site", poursuit l'expert fiscal. C'est-à-dire ? "Pour faire simple, explique Olivier Daxhelet, fondateur de TwinnTax (logiciels de gestion pour les fiduciaires), l'architecture du site du SPF Finances n'est pas dynamique. Leurs serveurs ne s'adaptent pas aux flux de requêtes, même en période de rush comme c'est le cas actuellement avec les remises des déclarations IPP et TVA. C'est un peu comme si Amazon, le jour du Black Friday, n'adaptait pas son dispositif pour faire faire face à la demande. En réalité, le site des Finances est conçu pour ses utilisateurs finaux, les contribuables, mais absolument pas pour les intermédiaires".
"Un vieux réflexe conservateur de la part de l'administration fiscale. Il y a certainement des questions de respect de la vie privée derrière ces entraves, mais personne chez eux ne semble vraiment conscient de savoir pourquoi on est en là, et comment améliorer la situation à l'avenir", estime Emmanuel Degrève. "Nous sommes face au mur du SPF Finances", relaie Morgane Depriez.
Du côté du SPF Finances, on s'aligne sur la position du ministre, et on défend le bastion. "Nos applications sont monitorées en permanence et on constate qu'elles fonctionnent bien, le taux de disponibilité des applications dépasse les 98 % en septembre et est de 99,14 % en octobre. Par ailleurs, les capacités de ces applications sont modifiées en fonction de la demande, on connaît les pics et les agents du SPF Finances veillent à permettre un accès permanent", nous explique-t-on. Aux Finances, on s'interroge, aussi : "Il y a une forte pression sur les épaules des experts-comptables et des conseillers fiscaux avec un surplus de travail lié au coronavirus (chômage temporaire) et aux inondations. Le 30 juin, il y avait moins de 1 % de déclarations remplies, il reste donc une énorme quantité de travail. Aujourd'hui, 788 000 déclarations ont été remplies et il doit y avoir environ 1 200 000 déclarations remplies par les mandataires (experts-comptables et conseillers fiscaux)."Sous-entendu : un peu d'esprit d'anticipation…
Enfin, le SPF Finances signale que "l'accès aux applications (authentification et rôle) n'est pas du ressort du SPF Finances (il s'agit d'un accès fourni par le SPF Bosa). Là nous n'avons pas de mainmise sur cela". Pas sûr que le débat soit clos pour autant…