Mauvaise surprise potentielle pour les entreprises bruxelloises : "C’est aberrant qu’on me demande de rembourser ma prime de 4 000 euros"
La prime bruxelloise de 4 000 euros de soutien aux entreprises doit être remboursée s’il n’y a pas de maintien de l’activité durant 3 ans.
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- Publié le 29-10-2021 à 10h56
- Mis à jour le 12-11-2021 à 14h49
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"Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières mais je pense que mon cas est interpellant", lance Jean (prénom d'emprunt). En 2020, Jean voit son activité professionnelle (dans l'immobilier) fortement affectée par la crise sanitaire. "J'ai été contraint d'arrêter mon activité, qui était faite de contacts c'est vrai. J'ai donc introduit une demande, par voie électronique, de la prime de 4 000 euros proposée par la Région bruxelloise. Je dois dire que la procédure était relativement simple, et j'ai rapidement touché cette prime bienvenue".
Soucis de santé, arrêt d’activité…
Sur ces entrefaites, la vie de Jean à la maison se complique. Son épouse est confrontée à une déficience rénale grave. Une greffe s'impose. "On ne trouvait pas de donneur, alors j'ai donné un rein. J'ai eu quelques complications. Vu mon état de santé, et surtout vu le risque que je pouvais faire prendre à mon épouse immuno-déprimée, en raison de sa greffe d'organe, j'ai préféré arrêter mon activité professionnelle", explique-t-il. Jean a aujourd'hui 67 ans. Ce qui signifie qu'au moment où il demande la prime de 4 000 euros, il a 66 ans…
Voici quelques jours, Jean reçoit un courrier de la direction de l’inspection économique de la Région de Bruxelles-Capitale. Où on lui explique qu’une enquête réalisée en date du 29 septembre met en évidence le constat de cessation d’activité en date du 1er janvier 2021. Ce qui est donc exact… Cependant, explique l’inspection économique, l’arrêté du gouvernement de la Région bruxelloise de pouvoirs spéciaux du 7 avril 2020 relatif à une aide en vue de l’indemnisation des entreprises affectées par les mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus, dispose que – on simplifie – le bénéficiaire de l’aide doit la rembourser s’il ne maintient pas son activité pendant au moins 3 ans !
"Là, j'ai été interpellé par ce courrier. Nulle part dans la procédure de demande d'aide, il n'était clairement fait mention de cette condition de maintien de l'activité pendant 3 ans. Elle existait peut-être, mais pas de manière visible, alors. C'est aberrant de constater que l'on ne tienne pas compte des circonstances, et notamment d'un décès, d'une maladie ou simplement de l'âge, pour le remboursement de cette prime."
Pérenniser l’emploi
Renseignements pris auprès du cabinet de la ministre régionale de l'Économie Barbara Trachte (Ecolo), c'est bien juste. "L'idée, au moment de mettre sur pied cette mesure d'aide, était de pouvoir pérenniser l'activité et l'emploi. On se doute qu'il peut y avoir des cas malheureux, mais on ne peut pas légiférer sans mettre un cadre général, qui ne tienne effectivement pas compte de tous les cas particuliers. Le cas rapporté est malheureux, mais l'objectif de la Région était vraiment de maintenir l'activité à plus long terme."
"Je comprends parfaitement cet objectif, et je comprends qu'il fallait légiférer dans l'urgence, rétorque Jean. Mais j'ai, à mon estime, rempli toutes les conditions pour pouvoir bénéficier de cette prime et ne me souviens pas qu'une quelconque restriction sur le site Internet à destination des indépendants qui risquaient de devoir arrêter leur activité professionnelle au cours des trois années suivant la perception de cette prime. Formulée de cette manière, cette restriction (NdlR : qui n'a cours qu'à Bruxelles) aurait très vraisemblablement été censurée par le Conseil d'État", estime le retraité. "C'est d'autant plus aberrant que ce remboursement de 4 000 euros qu'on me demande est en porte-à-faux avec la nouvelle aide de maximum 4 000 euros pour les entreprises… sollicitant une procédure de redressement judiciaire. On reconnaîtra que cela manque de cohérence", conclut Jean.
Des milliers de sociétés concernées…
Ce cas particulier interpelle. Parce que des cessations d'activité dans les 3 prochaines années, il va y en avoir beaucoup. Des milliers d'entreprises vont théoriquement devoir rembourser cette prime. "C'est effectivement assez effrayant, parce que je pense que de très nombreuses entreprises ne sont pas au courant de cette condition de maintien de l'activité. C'est aussi très incohérent par rapport au dispositif de soutien mis en place dans le cadre des procédures de réorganisation judiciaire", nous explique une source proche du dossier.
À Bruxelles, entre 2 000 et 2 500 entreprises font faillite au cours d'une année normale. Mais dès janvier 2022, les citations en faillite par l'ONSS ou le fisc, qui s'abstiennent pour le moment en raison de la crise sanitaire, vont de nouveau réapparaître. "L'échelle de grandeur – des milliers d'entreprises – me semble correcte parce que si l'État cite à nouveau en faillite – ce qui représente la très grande majorité des citations -, cela va forcément provoquer un afflux d'aveux de faillite". À bon entendeur…
“L’intérêt général a primé, là où le maintien d’emplois était possible”
Alors que la Vivaldi s'apprête à aller récupérer 420 millions d'euros d'aides indûment perçues sur les trois prochaines années, dont 110 en 2022, le cas posé ici est interpellant. "Il faut le dire, de manière générale, on a fait ce qu'on a pu dans l'urgence, mais des incohérences au niveau des mesures de soutien existent, notamment entre les différents niveaux de pouvoir. Et puis, soyons de bons comptes, les moyens pour soutenir les entreprises ne sont pas les mêmes selon que l'on est au Nord ou au Sud. Ceci explique aussi des distorsions entre le fédéral et les Régions", nous explique une source gouvernementale. Pour le cas bruxellois, l'occasion est belle de sonder Pierre Hermant, l'administrateur délégué finance&invest.brussels, le bras armé financier de la Région de Bruxelles-Capitale.
Le processus de décision des mesures de soutien était-il si compliqué à mettre en œuvre ?
Bien entendu. Les nombreuses mesures de soutien prises à tous les échelons depuis mars 2020 l’ont été le plus souvent dans l’urgence, avec des moyens limités. J’ai vu des équipes d’horizons politiques très divers travailler comme des forçats, en concertation avec les experts, pour faire en sorte que les primes soient versées le plus rapidement possible. Mais cela reste un travail compliqué, réalisé dans un contexte budgétaire qui n’est pas extensible. Il faut donc faire des choix…
Parfois douloureux…
Il y a certainement des drames humains derrière certains choix, mais la volonté assumée était effectivement le maintien de l’activité. Quand l’Horeca a été soutenu de manière importante à Bruxelles, l’idée était aussi de se dire que les fournisseurs de ce secteur – les boulangers, les plombiers, les sociétés de nettoyage, etc. – allaient aussi en bénéficier. Ce que je veux dire, c’est que les décisions prises tenaient compte d’un effet multiplicateur possible. Je pense sincèrement que l’intérêt général a primé, là où la création ou le maintien d’emplois pouvait être le plus élevé possible.
Avec quelques couacs…
Oui. Bruxelles est un cas particulier sur le plan économique, avec un secteur des loisirs au sens large très dépendant de la clientèle internationale – qui ne revient pas facilement – et composé de petites structures. Il y a 130 000 entreprises à Bruxelles, et un peu plus de 5 000 seulement qui ont plus de 5 équivalents temps plein. Cela a compliqué l’exercice pour le processus de décision. On peut toujours dire qu’il aurait fallu faire les choses différemment, mais il faut rappeler le contexte d’urgence dans lequel on se trouvait.