Un projet de réforme fiscale lève tous les tabous : big bang en vue
Le projet de réforme qui sera soumis au ministre des Finances lève tous les tabous… Cela tombe bien : c’est ce que voulait Vincent Van Peteghem (CD&V). Au menu : taxation des loyers réels, des plus-values sur actions, disparition progressive du 3e pilier des pensions,… État des lieux.
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Publié le 27-11-2021 à 07h13 - Mis à jour le 22-02-2022 à 10h10
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"Il n'y aura pas de tabou". Depuis que la Vivaldi a vu le jour en octobre 2020 et couché sur papier l'ambition d'une vaste réforme fiscale d'ici la fin de la législature, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem le répète en boucle : "ce sera une réflexion sans tabou". On ne sera pas déçu, a priori. Le moins que l'on puisse écrire, c'est que le projet en gestation de réforme de l'impôt des personnes physiques (IPP) va susciter de vifs débats.
Voilà huit mois que le groupe de travail qu’il a mis sur pied, dont il a confié les rênes au professeur Mark Delanote (UGent), planche sur ce projet de réforme fiscale, avec une mission claire : simplifier notre système fiscal et le rendre plus juste. C’est d’ailleurs par ces mots que commence l’énoncé de cet objectif logé en page 42 de l’accord gouvernemental. À bonnes sources, La Libre est en mesure de révéler l’état des lieux de ce groupe de travail.
1. Simplification des tranches d’imposition
L'un des objectifs majeurs de la réforme fiscale doit être la réduction des charges sur le travail. Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, la Belgique est championne d'Europe de la taxation sur le travail. "Un taux marginal d'imposition de 50 % est atteint dès le montant de 40 000 euros de revenu brut imposable par an", nous explique l'une de nos sources. Ce sont surtout les personnes isolées qui paient le plus lourd tribut aux rigueurs de notre système fiscal, malgré le tax shift introduit par le gouvernement de Charles Michel. Trois taux de taxation subsisteraient, contre quatre aujourd'hui (25, 40, 45 et 50 %). En résumé, la taxation serait plus faible en dessous de 45 000 euros. Entre 45 000 et 75 000 euros de revenu imposable, le taux d'imposition serait de 45 %. Et de 50 % au-delà de 75 000 euros. "Une tranche de 60 % au-delà de 120 000 euros a un moment été évoquée, mais elle n'a finalement pas été retenue. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que les contribuables ayant des revenus plus modestes seraient gagnants". Le taux entre 0 et 45 000 euros n'est pas encore stabilisé mais avoisinerait les 25 %. "Exit le coefficient conjugal", nous explique une autre source "proche du dossier". "En cela, on peut donc aussi parler de véritable simplification de notre système fiscal." En résumé, on élargit la base imposable, mais on taxe moins. Les curseurs seront adaptés en fonction de contraintes budgétaires "et de l'ampleur de la suppression de réductions ou déductions d'impôt", relève une troisième source.
2. Taxation des loyers réels
C’est un sujet récurrent de (vifs) débats, mais le groupe des experts mis en place par le ministre a osé : les loyers réels seraient taxés à hauteur de 30 % (comme pour le précompte mobilier – taxation des dividendes), à charge pour les banques de prélever l’impôt dû à la source.
Cela dit, comme le ministre l'évoque régulièrement lors de conférences lorsqu'on lui pose la question, si un éventuel nouveau régime fiscal prévoit de taxer les loyers réels, il faut en contrepartie que les coûts réels soient déductibles. "Une déduction forfaire serait envisagée, qui ferait ainsi redescendre le taux réel de taxation aux alentours de 25 %", explique l'une de nos sources. Voilà qui mettrait fin à un régime de faveur pour les investisseurs immobiliers, eux qui, actuellement, sont "seulement" taxés sur la base des revenus cadastraux de leurs biens immeubles (partiellement indexés et majorés de 40 %, mais sur la base de RC datant de 1975). Une particularité serait prévue pour les investisseurs "sous permis d'urbanisme" ; dans leur cas, une déduction de frais réels plus importante serait envisagée. Voilà pour les investisseurs "pur jus".
Les détenteurs de biens immobiliers (secondes résidences, kots, etc.) ne seraient pas épargnés, d’après les travaux du groupe d’experts. Même si les biens ne sont pas mis en location, ils seraient taxés sur la base d’un rendement présumé à hauteur de 25 %.
3. Taxation des plus-values immobilières
Ici, aussi, grande nouveauté issue des travaux des experts : une taxation à hauteur de 25 % sur les plus-values immobilières serait prévue. Actuellement, ces plus-values sont la plupart des temps exonérées d’impôt. Ce n’est que lorsqu’un bien est revendu endéans les 5 ans suivant son acquisition (taxation à 16,5 %), de spéculation (taxation à 33 %, suite à une revente très rapide) et lorsque cela concerne un terrain non bâti, qu’une forme d’imposition peut être prévue. Rarement, jusqu’ici…
4. Suppression progressive du 3e pilier des pensions
Depuis plus de 20 ans, la grande majorité des ministres des Pensions (issus du PS) qui se sont succédé ont toujours eu un petit mot assez méprisant pour le troisième pilier des pensions, celui des pensions extra-légales financées individuellement. Les primes étant fiscalement déductibles (entre 30 et 40 % pendant près de 15 ans, à 30 % aujourd’hui sur la prime maximale de 990 euros par an), cette niche fiscale coûte cher à l’État. Elle approche le milliard d’euros. Les experts vont ici recommander au ministre de mettre fin progressivement au régime entre 2026 et 2030. La date n’est pas stabilisée mais les experts se sont entendus sur le principe.
5. La limitation du back-service pour les engagements individuels de pension
La Libre avait révélé en avril que le fisc avait revu sa position sur la fameuse "règle des 80 %" en matière d'assurance de groupe (deuxième pilier des pensions, celles financées en entreprise), avant même que la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) ne s'attaque à cette niche fiscale. L'administration a durci sa position, de sorte que les déductions seront réduites. L'idée de la réforme est de couler dans une loi cette nouvelle position qui visera surtout les engagements individuels de pension (EIP), ces assurances de groupe pour indépendants.

6 La taxation des plus-values sur actions
Maintes fois proposée, surtout par l’aile gauche des derniers exécutifs (avec le soutien du CD&V), la taxation des actions est proposée à la réforme, par souci d’équité et d’uniformisation avec les autres régimes de placement. À quelques exceptions près, ces plus-values sont exonérées jusqu’à présent en Belgique. Cela dit, la taxe compte-titres (460 millions de recettes prévues) prévoit tout de même déjà une imposition des gros patrimoines (de plus d’un million d’euros). Le taux de taxation avoisinerait les 30 %, identique à celui frappant les dividendes.
7. Taxation en transparence des sociétés unipersonnelles
Souvent – il faut être de bons comptes -, lorsqu'un entrepreneur ou le titulaire d'une profession libérale (médecin, dentiste, etc.) décide d'héberger ses activités d'indépendant au sein d'une société unipersonnelle, c'est souvent pour des raisons fiscales. Taux d'imposition des sociétés plus faible que l'IPP (25 %, voire 20 % pour les petites sociétés), possibilité de s'attribuer des dividendes (taxés à 30 %), possibilités de réduire la base imposable ou l'impôt, etc. Une taxation par transparence signifie qu'elle se réaliserait "comme si" on était à l'IPP. "Il y a bien d'autres mesures possibles pour mieux taxer ces sociétés, mais leur situation actuellement ne se justifie souvent pas sur les plans éthique et économique", explique l'une de nos sources, qui ajoute que "le but n'est pas de brider l'entreprenariat, mais bien de le soumettre à un juste taux de taxation par rapport à l'ensemble de la société. Ce taux doit aussi tenir compte des spécificités de l'exercice en société."
8. Relèvement de la taxe sur la valeur ajoutée de 21 à 22 %
Ce point a été brièvement abordé à l'entame des travaux du groupe d'experts en début d'année, mais il doit être approfondi plus tard, lors des discussions sur la taxation environnementale et de la consommation. Mais l'idée sous-jacente au relèvement de ce taux de TVA est la baisse concomitante des charges sur le travail "mais un travail de fond doit aussi avoir lieu sur les taux réduits", conclut l'une de nos sources.
Que fera le ministre des Finances ?
Sur l'IPP, les travaux sont pour ainsi dire terminés, ou presque. Ce que le ministre des Finances en fera, en revanche, reste un mystère. Mais l'homme ne cesse de répéter que ce sera une réforme sans tabou. Sur ce point, le travail des experts mettra Vincent Van Peteghem dans un fauteuil. "Mais il ne faut pas se leurrer ; cette première fuite signifie que certains veulent politiser le débat", lance une de nos sources. "D'un autre côté, les propositions faites, pour légitimes qu'elles soient, le ministre pourra s'en dédouaner en disant que l'un ou l'autre parti n'en voulait pas. Stratégiquement, il aurait aussi beaucoup de difficultés à désavouer un groupe de travail qu'il a lui-même mis sur pied, alors que le Conseil Supérieur des Finances (CSF) planchait sur le dossier depuis plus de trois ans."

Ces dernières semaines, le ministre des Finances a annoncé sa volonté d'avancer la réforme à l'année prochaine mais il semblerait que ses partenaires de la majorité ne sont pas tous de cet avis. "On peut fort bien imaginer que la disparition de certaines niches fiscales, qui se justifiaient par une pression fiscale élevée, ne plaise pas à tout le monde, mais il faut rappeler que l'objectif majeur de la réforme est de simplifier et de baisser les charges sur le travail." Contacté sur les intentions de Vincent Van Peteghem, le cabinet des Finances précise que "le ministre reçoit des conseils et demande à des experts de faire des propositions et des simulations. Mais c'est le ministre lui-même qui décidera de ce qui sera soumis au gouvernement. Les experts ne sont pas seulement des professeurs issus du CSF ; le ministre consultera aussi la société civile. Par exemple : organisations de lutte contre la pauvreté, associations familiales, employeurs, employés, organisations environnementales,…"
Que dit la déclaration gouvernementale ?
La déclaration gouvernementale est claire, même si chaque parti pourra l'interpréter à sa manière… Dans les grandes lignes, "le Gouvernement prépare une large réforme fiscale afin de moderniser, simplifier et rendre le système fiscal plus équitable et plus neutre. La réforme permettra d'améliorer la situation macroéconomique et, par conséquent, les finances publiques, tant à court terme qu'à long terme. Les principes directeurs de la réforme ? Réduire la charge sur le travail, élargir la base imposable, simplifier les choses en supprimant progressivement et autant que possible les déductions, les réductions d'impôt et les régimes d'exception, y compris la mise en place d'un glissement progressif des rémunérations alternatives vers des rémunérations en euro." Enfin, la déclaration prévoit que "le nouveau système fiscal mis en place doit être construit de manière à minimiser les possibilités de faire de l'optimisation fiscale et de permettre la correcte application de l'impôt."