Fiscalité patrimoniale: quels changements pour les propriétaires et usufruitiers ?
En matière patrimoniale, des changements sont venus influencer les planifications patrimoniales. Le point avec Maxime Besème et Sabrina Scarnà, Junior associate et avocate fiscaliste (Tetra Law).
Publié le 02-06-2022 à 18h47 - Mis à jour le 07-06-2022 à 14h04
Le nouveau droit des biens est entré en vigueur le 1er septembre 2021. Il s’agit d’une réforme lancée par notre précédent ministre de la Justice, Koen Geens, qui avait (aussi) décidé de s’attaquer au Code datant de Napoléon.
En matière patrimoniale, de nombreux changements ou spécifications sont venus influencer les planifications patrimoniales. Que ce soit en matière de précision de qui supporte quoi en cas de démembrement usufruit/nue-propriété ou de la portée exacte d’un usufruit sur des universalités de biens, des créances, etc., le nouveau code suscite déjà de nouvelles pistes en matière de planification successorale. Le nouveau droit de disposition fonctionnel, l’ancien quasi-usufruit, est aussi une évolution intéressante qui suscite déjà de nouvelles idées en matière successorale.
1. La répartition des frais entre nu-propriétaire et usufruitier
L’usufruit confère à son titulaire le droit temporaire à l’usage et à la jouissance, de manière prudente et raisonnable, d’un bien appartenant au nu-propriétaire, conformément à la destination de ce bien et avec l’obligation de restituer celui-ci à la fin de son droit.
Dans le cadre d’une succession, le conjoint survivant se verra, dans la plus grande majorité des cas, attribuer l’usufruit, notamment, de la maison d’habitation. Il s’agit d’un droit dont le conjoint survivant ne peut en principe être privé sauf en cas de remariage (la nouvelle version du pacte Valkeniers permet en effet de priver le conjoint survivant, s’il l’accepte, de tout usufruit). Quand ce n’est pas le cas, les beaux-enfants se verront donc dans l’obligation de supporter cet usufruit tant que leur beau-parent sera en vie.
Qui supportera les charges de l’immeuble ? En tout cas, c’est l’usufruitier qui sera tributaire du précompte immobilier et assujetti à l’impôt, le cas échéant. Ainsi, si le conjoint survivant a également un usufruit sur d’autres immeubles que celui servant de logement familial, c’est lui qui devra en déclarer le revenu cadastral et qui sera imposé soit sur ce dernier (indexé et majoré de 40 %) soit sur les loyers réels (si affectation professionnelle).
En ce qui concerne les frais, l’usufruitier est tenu aux réparations d’entretien et le nu-propriétaire aux grosses réparations. Celles-ci sont définies comme étant celles qui portent sur la structure du bien ou de ses composantes inhérentes ou dont le coût excède manifestement les fruits du bien. Le nouveau droit des biens prévoit en outre que le nu-propriétaire qui exécute les grosses réparations peut exiger de l’usufruitier qu’il contribue proportionnellement aux frais de celles-ci (en fonction de la valeur de l’usufruit déterminé selon les tables civiles qui tiennent compte de l’espérance de vie). Il conviendra donc de veiller dans un acte de donation ou dans le testament à éventuellement modaliser l’application de cet usufruit tenant compte notamment de la capacité contributive du conjoint survivant.
2. L’étendue exacte de l’usufruit portant sur certains biens particuliers
Le nouveau droit des biens définit l’usufruit et sa portée. En outre, des dispositions spécifiques ont été prévues en ce qui concerne l’usufruit qui porte sur des biens particuliers.
L’usufruit portant sur des créances autorisera l’usufruitier à exiger le paiement de la créance certaine, liquide et exigible.
Lorsque l’usufruit porte sur de l’argent (directement ou parce que, par exemple, on a reçu le paiement de la créance), l’usufruitier devra placer cet argent ou l’employer dans l’intérêt des autres biens soumis à l’usufruit, après avoir obtenu le consentement du nu-propriétaire. À défaut d’accord, la loi prévoit que c’est le juge qui fera désigner un tiers qui sera chargé de la gestion de ces sommes. Toutes ces dispositions sont supplétives. Il convient donc d’être extrêmement attentif, à tout le moins lorsque l’usufruit est de nature conventionnelle, à déroger, le cas échéant à ces règles qui s’appliqueront si rien d’autre n’est prévu. Les contours d’un usufruit portant sur des universalités de biens (un portefeuille titres, par exemple) sont également précisés par le texte légal. Grâce à cette nouvelle définition, il ne fait plus de doute que l’usufruitier a le pouvoir de vendre des biens qui composent l’universalité et de les remplacer, au sein de cet ensemble. Il ne faudra donc plus prévoir de mandat de gestion dans les donations avec réserve d’usufruit qui porte sur les biens composant une universalité tel un compte-titres.
3. Le droit de disposition fonctionnel
Autre nouveauté et non des moindres. En principe, l’usufruitier est censé restituer le bien au terme de l’usufruit. Toutefois, il y aura des cas où l’usufruitier pourra pleinement disposer du bien. C’est ce qui est dénommé le droit de disposition fonctionnel.
Dans quels cas ? D’abord, si une disposition légale y autorise l’usufruitier comme pour les choses périssables. Ensuite, si telle est la destination du bien (soit avant le démembrement, soit parce qu’elle est convenue comme telle entre les parties). Enfin, si les biens sur lesquels porte l’usufruit sont consomptibles.
Puisque l’usufruitier pourra disposer du bien, le nu-propriétaire détiendra à son encontre une créance de restitution. Si le bien n’a pas été cédé, c’est celui-ci qui sera restitué. En revanche, en cas d’aliénation, la loi dispose que la créance portera sur la valeur estimée au moment de l’aliénation. À défaut de pareille estimation, la créance portera sur la valeur du bien au moment de la constitution de l’usufruit (si la description imposée par la loi a été effectuée). À défaut, la créance portera sur la plus haute valeur entre celle à l’ouverture et celle à la fin de l’usufruit.
Ce nouveau droit de disposition fonctionnel s’apparente donc à ce qui était autrefois appelé le quasi-usufruit. Aujourd’hui, c’est donc une faculté établie par le nouveau Code civil. En matière de planification patrimoniale, une donation avec réserve d’usufruit (amélioré du pouvoir de vendre le bien donné, sans avoir besoin d’un quelconque accord, pour utiliser tout ou partie des avoirs donnés pour d’autres types d’investissements) offre évidemment de nombreux avantages. Il convient toutefois de faire attention à la rédaction de pareil acte et aux conséquences fiscales.
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Exemple pratique: quid du don d’un compte-titres ?
Prenons ainsi l’exemple d’un parent propriétaire d’un compte-titres qui le donnerait à ses enfants tout en s’en réservant l’usufruit. Il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’il pourra administrer, au sein de ce portefeuille, les différents avoirs (vendre et acheter à sa guise) sans devoir disposer d’un quelconque mandat de gestion. Toutefois, il ne pourrait décider de liquider une partie de celui-ci pour procéder à un investissement immobilier ou dans des cryptomonnaies par exemple. Il lui faudrait, pour ce faire, agir de concert avec le (ou les) nu-propriétaire(s). Si l’un d’eux est mineur, il faudra l’accord du juge de paix, le cas échéant. En revanche, si la donation prévoit que telle est la destination des biens et que les parties conviennent que l’usufruitier peut en disposer, alors le parent ne serait plus confronté à pareille limitation. Il pourrait décider, seul, de liquider tout ou partie du portefeuille et procéder, par exemple, à un investissement immobilier ou dans des œuvres d’art.
Cette nouvelle règle, clairement établie par la loi, offre donc une palette importante en matière de planification qui consiste à donner tout en se réservant l’usufruit. Attention toutefois aux aspects fiscaux. Que se passera-t-il en effet au moment du décès ? Le bien donné avec réserve d’usufruit impliquant un droit de disposition sera immatriculé au seul nom de l’usufruitier. En d’autres termes, le compte-titres sera ouvert au seul nom du parent. À son décès, la banque communiquera donc l’existence de ce compte à l’administration des successions. Ce compte-titres sera repris à l’actif successoral. Or, il a fait l’objet d’une donation. Les droits de succession seront évités car la créance de restitution que détient le nu-propriétaire à l’encontre de l’usufruitier sera reprise au passif successoral. L’actif sera ainsi annihilé par cette dette.
Aucun risque à l’horizon ? Pour qu’une dette envers un héritier soit admise au passif, il faut démontrer que celle-ci est sincère, c’est-à-dire que les parties étaient réellement animées d’une intention de donner et recevoir et en aucun cas de dévoyer le système à des fins fiscales. On l’aura compris : si le quasi-usufruit ancien faisait l’objet de controverses, il n’est aujourd’hui plus contestable que sa pratique est parfaitement licite puisque prévue par la loi elle-même. Il en va de même concernant la créance de restitution ; c’est la loi qui établit sur quoi celle-ci portera en cas d’aliénation par l’usufruitier. Si les parties ne contreviennent pas au dispositif légal, pourtant supplétif, il sera certainement difficile, pour l’administration fiscale, de pouvoir contester la dette. Les contribuables feront toutefois d’autant plus preuve de prudence que le nouveau droit des biens les poussera à faire preuve d’imagination.
Dividendes de source française: quelle récupération de la QFIE ?
La Convention préventive de la double imposition (CPDI) conclue entre la France et la Belgique en 1964 impose à la Belgique de limiter la double imposition subie par les résidents fiscaux belges sur les dividendes et intérêts de source française qu’ils perçoivent en appliquant, sur l’impôt belge, un crédit d’impôt de 15 % appelé “quotité forfaitaire d’impôt étranger” ou QFIE. Or, depuis plus de 30 ans, la Belgique ne respectait plus cette obligation.
À la suite d’une saga judiciaire, initiée par un arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, l’administration a publié, le 28 mai 2021, une circulaire administrative n° 2021/C/49, présentée sous forme de FAQ et reprenant les cas dans lesquels elle accepte de reverser le trop d’impôt belge payé. Pour l’essentiel, il s’agit des cas dans lesquels le contribuable a déclaré ses revenus dans sa déclaration à l’IPP et a demandé l’application de cette fameuse QFIE. Problème résolu ? Pas tout à fait : de nombreux contribuables perçoivent leurs revenus sur des comptes ouverts en Belgique. C’est alors la banque qui retient le précompte mobilier libératoire, de sorte que le contribuable n’est plus tenu de déclarer ces revenus. Seul hic : en l’absence de déclaration, l’administration refuse l’application de la QFIE. De nombreux contribuables ont contesté cette position administrative mais la jurisprudence actuelle n’est pas unanime et de nombreux recours sont donc toujours pendants devant les différentes juridictions du pays.
La problématique devrait toutefois bientôt disparaître, dans la mesure où la nouvelle CPDI conclue avec la France, qui devrait entrer en vigueur au plus tôt en 2023, a tout simplement supprimé la QFIE.
Dans l’intervalle, les contribuables concernés doivent veiller à déclarer leurs revenus mobiliers français, même précomptés, dans leur déclaration fiscale (
code 1160
) et solliciter l’application de la QFIE au
code F
: “
revenus auxquels un régime spécial d’imposition est applicable
”, accompagné d’une annexe.