Réforme fiscale: pourquoi la méthode actuelle est tout simplement dépassée
La réforme fiscale est, paraît-il, sur les rails. À moins qu’elle n’ait déjà dérapé… Une analyse d'Emmanuel Degrève, conseil fiscal, partner chez Deg&Partners, professeur à l’Ephec et président du Forum For the Future à destination des professionnels du chiffre.
- Publié le 02-06-2022 à 15h01
- Mis à jour le 07-06-2022 à 09h29
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Une réforme de la principale source de revenus au budget de l’État, que les 7 partis politiques de la majorité ont inscrite dans l’accord gouvernemental, ne peut pas s’appuyer sur une recette de cuisine du passé. Elle doit être réinventée, rénovée et reposer sur un nouveau paradigme. Comment répondre aux besoins progressifs de notre société tout en intégrant ses changements et ses évolutions ? Éléments de réflexion.
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1. Réforme de l’impôt (IPP) : de quoi parle-t-on ?
Dans le budget 2022 de l’État fédéral, l’impôt des personnes physiques (IPP) compte cette année pour 53 milliards d’euros. C’est trois fois plus que l’impôt des sociétés (Isoc), cinq fois plus que les accises et 25 % plus que la TVA. Aucune recette fiscale n’est plus abondante que l’IPP. Elle représente un gros tiers de l’ensemble des recettes (143 milliards d’euros) hors sécurité sociale (70 milliards).
C’est très clairement un phénomène belgo-belge. En 1995, les recettes à l’IPP représentaient 13,1 % du PIB. Elles étaient à 11,8 % en 2020. Tous nos voisins sont en dessous de 10 %, et ce depuis toujours.
Lorsque le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), parle de réforme l’IPP, il parle donc de réformer la source la plus significative des revenus publics. Sachant que notre État est en besoin constant de moyens, il est évident que le sujet est sensible et l’on comprend pourquoi le Premier ministre rappelait très récemment que cette réforme n’appartenait pas à ses 7 priorités de l’été.

2. Pourquoi réformer la fiscalité ?
La réforme s’inscrit pourtant comme une nécessité croissante. Il existe principalement deux courants qui s’affrontent derrière cette réforme.
Les premiers protagonistes souhaiteraient doper le pouvoir d’achat. Et pour y arriver, ils constatent que la Belgique collecte depuis trop longtemps trop de recettes sur le travail. Ils suggèrent donc de baisser la pression qui le vise. Les seconds veulent ajuster les paniers contributifs à cet impôt sans baisser son apport au budget de l’État. Baisser la pression sur le travail et augmenter la pression sur les autres revenus qui échappent généralement à la progressivité, c’est leur plan d’attaque. Sous l’adage "un impôt plus juste", ils visent principalement les revenus des patrimoines immobilier et mobilier.
Le ministre fait partie des seconds protagonistes. Il suggère, au travers de son "bras armé" d'experts que constitue le Conseil supérieur des finances (CSF), une réforme pour 5,7 milliards (10 % de l'ensemble des recettes actuelles IPP) et pour éviter tout amalgame, suggère de switcher les baisses par des hausses dont le potentiel maximum porte sur près de 9,5 milliards…. Les intentions sont claires.
3. Trois ingrédients essentiels pour réussir une réforme
Derrière les arguments des uns et des autres, une réforme mérite mieux. Elle est en droit d’attendre que l’on s’interroge sur les vrais enjeux, bien loin des combats idéologiques. Une bonne réforme de l’IPP devrait pour nous répondre à trois préoccupations.
La première consiste à simplifier considérablement les règles. Ce principe peut facilement être atteint en dehors de toute considération budgétaire. Premier enseignement à l’attention de nos élus : pourquoi ne pas faire de propositions avec pour seul objectif de nous faciliter la vie et la compréhension. Ceci est d’ailleurs la base de la pyramide de l’OCDE sur les comportements à mener en matière de lutte contre la fraude : simplifier, assister et éduquer, comme levier vertueux de la conformité.
La deuxième préoccupation devrait porter sur une amélioration de la progressivité de l’impôt. En proposant un ajustement des tranches d’imposition, le ministre est pertinent. Mais il devrait renforcer la défiscalisation des revenus du travail à l’entrée, car aujourd’hui, le travail doit avant tout retrouver les vertus d’antan et la société consumériste qui est la nôtre exige que cela passe par un net favorisé pour tout acteur actif. Un travailleur gagnant le revenu minimum garanti ne devrait pas être imposé.
La troisième est celui de la modernité. Nos réalités contemporaines doivent encourager une fiscalité réinventée où la transaction (acte par nature consumériste) doit contribuer davantage aux caisses de l’État. Son avantage : une perception immédiate et un lien proportionnel à la capacité d’achat. Lorsque le législateur inventa la taxe de transmission pour couvrir mieux ses recettes, il rencontrait déjà cette idée. Depuis, il s’acharne sur le travail, faisant fi des évolutions du monde moderne. Son combat est dépassé.
4. Changer de mentalité et changer de paradigme
La réforme ne sera réussie que si elle s’inscrit à un carrefour des évolutions. D’un côté celle du monde politique qui doit assurément inscrire ses besoins dans plus de sobriété et d’efficience, en comprenant que l’argent public est une ressource comme une autre qui subira comme les autres les astreintes de la rareté et les frustrations de la pénurie. De l’autre côté, la fiscalité doit évoluer pour s’adapter aux nouvelles réalités : celle de nos jeunes dont les aspirations sont bien éloignées de celles des besogneux de l’après-guerre, mais aussi celle de notre économie transformée, logée à des kilomètres du siècle dernier.
Et si la réforme réussissait parce que tout simplement elle se montrait ouverte, réinventée et plus contemporaine… ?