”Rien ne va pour le moment” : pourquoi la réforme fiscale est renvoyée en mars 2023
Les interrogations budgétaires sur les principaux points de cette réforme suscitent pas mal de tensions entre partenaires de la Vivaldi : un refrain connu…
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Publié le 21-12-2022 à 08h43 - Mis à jour le 21-12-2022 à 14h16
C’est le branle-bas de combat en coulisses sur la réforme fiscale. À tel point que le ministre des Finances, en Commission ce lundi, a dû concéder ce qui se murmurait en coulisses, à savoir que le projet de réforme fiscale serait débattu entre partenaires de la majorité en mars 2023, dans le cadre du conclave budgétaire. “Si la Vivaldi tient jusque-là, dit une source gouvernementale, dépitée. Rien ne va pour le moment. La plupart des gros dossiers crispent tout le monde, y compris sur la réforme fiscale. Et ce n’est pas la faute aux passes d’armes un peu ridicules en Commission sur le régime des droits d’auteur, qui ne fait même pas partie du projet de réforme. Le problème est plus profond…” “De fait, le ministre a été humilié par les libéraux en Commission des Finances sur les droits d’auteur, pour lesquels ils avaient pourtant donné leur accord auparavant, à de nombreuses reprises (cela s’est calmé entre-temps), mais les tensions sont plus larges “, dit cette autre source gouvernementale de gauche.
Trajectoire aléatoire
À bonnes sources, l’enjeu budgétaire fait l’objet de vives discussions. Le Bureau fédéral du Plan avait été mandaté pour évaluer la note de sept pages qui avait fait l’objet d’un consensus (sur la première phase de la réforme) au sein de la Vivaldi à la mi-octobre. Cette première phase de la réforme devait rentrer en vigueur en avril 2023 et consiste en un relèvement de la quotité exonérée d’impôt de 9 270 à 13 660 euros (soit le montant en dessous duquel aucun impôt n’est prélevé, pour l’exercice d’imposition 2023). Dont un coût de 825 millions en 2023, de 2,2 milliards en 2024 et de 3,3 milliards en 2025, un coût annuel en rythme de croisière. Soit, sur trois ans, le montant de 6,3 milliards d’euros. Sauf que depuis la mi-octobre, tout le monde fait tourner ses méninges, et ses calculettes. Même les experts (surtout néerlandophones) qui avaient été mandatés par le ministre au lancement des travaux ont été resollicités pour évaluer cette note de sept pages.
À bonnes sources, on annonce un coût de la réforme – tout compris – de 6,2 milliards d’ici… 2027. Et là résonne la petite phrase du gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB) en conférence de presse lundi lors de la présentation des projections économiques pour l’an prochain : “Si on ne corrige pas la trajectoire budgétaire, on aura un problème majeur”, dit Pierre Wunsch. C’est pour cette raison, notamment, que la bataille fait rage entre partenaires de la majorité.
Proposition du Premier ministre
Le ministre des Finances a mené des discussions bilatérales approfondies sur les points de la note, et voit les principaux partenaires sociaux, mais le fait est que “le ciblage des mesures fait l’objet de débats. C’est qu’avec la crise, certains estiment que les deux déciles de revenus les plus faibles ont été privilégiés. Cela suscite pas mal de discussions entre les partis. On en est à un tel point de difficultés que le Premier ministre, comme sur le dossier des pensions, essaie de reprendre la main en réfléchissant à un élargissement du taux de 45 % comme taux maximum d’imposition”, nous explique cette autre source proche du dossier.
Perte de 1,5 milliard pour les Régions ?
Un autre gros problème “budgétaire” se fait jour : les recettes des Régions. “Selon la dernière réforme de l’État, les Régions ont droit à 25 % des recettes liées aux mesures compensatoires prises, nous explique cet expert proche du dossier. “Soit une manne globale de 1,5 milliard environ. Or, les Régions n’ont pas été consultées dans le cadre des discussions gouvernementales qui ont abouti à cette note de sept pages. Et les Régions, maintenant, s’en rendent compte…”, poursuit cet expert. Pour rappel, les deux principales mesures compensatoires sont le non-versement de la dispense de précompte professionnel (750 millions de recettes en rythme de croisière) et la déduction des revenus “RDT” (revenus définitivement taxés, 750 millions de recettes en rythme de croisière, également à partir de 2025). Ces deux mesures “techniques” auraient dû être concertées. Y compris avec les communautés, puisque l’arrêt de certaines dispenses de précompte professionnel peut affecter le budget des universités, du fait que l’on touche aussi à la recherche.
La Cour des comptes sollicitée
Ce n’est pas tout. Le projet de loi-programme en discussion actuellement contient également une mesure sur la corbeille fiscale. Cette mesure liée à l’impôt des sociétés a fait l’objet d’une “petite” discussion en séance plénière ce mardi. Le projet de loi contient une modification de cette corbeille, qui pour rappel consiste à garantir un impôt minimal de 7,5 % pour les entreprises réalisant un bénéfice supérieur à un million d’euros (après avoir tenu compte d’un certain nombre de déductions). Le gouvernement souhaite adapter temporairement le taux de la corbeille à partir de l’exercice d’imposition 2024, de sorte que certaines déductions ne puissent pas être appliquées, afin de doubler le rendement budgétaire. Une sorte de taxation à 15 % des multinationales avant l’heure. Sauf qu’en séance plénière ce mardi, Marco Van Hees (PTB) a fait remarquer qu’il avait pris contact avec la Cour des comptes pour évaluer cette mesure. Réponse de la Cour : si le rendement budgétaire est de 268 millions d’euros en 2023, il redescend à 13 millions en 2024. L’impact devient négatif à partir de 2025 (-8,15 millions), en raison du report de déductions.
Bref, on l’aura compris, cet aperçu des “bisbrouilles” budgétaires peut largement expliquer le report du dépôt du projet de réforme à mars 2023… Du côté du cabinet des Finances, on explique en tout cas “qu’il y a eu accord sur les grandes lignes et les axes de cette note, que nous y travaillons. Nous avons des discussions avec toutes les parties et tous les groupes. Donc, oui, la note va évoluer. Nous prenons en compte les commentaires. Nous avons proposé de présenter notre proposition l’année prochaine, pour nous donner le temps de bien faire les choses. Le Kern est d’accord avec cela”.