Le système des pensions belges sera-t-il finançable à l’avenir ?
Le régime des retraites n’est déjà plus financé par les seules cotisations des travailleurs. Il n’est pas trop tard pour assurer la soutenabilité des pensions, disent les experts, mais il y a urgence à briser quelques tabous.
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Publié le 04-03-2023 à 07h08 - Mis à jour le 04-03-2023 à 09h50
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Dans le contexte gouvernemental que l’on connaît, caractérisé par des vives tensions sur toutes les matières socio-économiques, La Libre a décidé de revenir sur un dossier qui “traîne” depuis le début de la législature : les pensions. En tentant de répondre le plus complètement possible à trois questions cruciales.
1. Nos pensions sont-elles finançables à l’avenir ? Question a été posée à un panel de 6 experts de 5 universités du pays.
2. Le relèvement de l’âge légal de la retraite est-il la seule solution ? Dans ce volet, la question d’éventuels vases communiquants entre le relèvement de l’âge légal de la retraite et les chiffres des malades de longue durée sera abordée.
3. Faut-il moduler l’âge légal de la pension avec la pénibilité du travail ? Un volet abordé avec des témoignages de travailleurs plus âgés.
Les pensions | Premier volet
En janvier 2014, le professeur à l’université d’Amsterdam Frank Vandenbroucke, qui avait été ministre socialiste des Pensions au début des années 2000, publie le résultat des longues discussions menées avec d’autres experts académiques sur une possible réforme du système de retraites belge. Le titre de l’ouvrage de cette commission “pensions 2020-2040” qu’il préside commence par “Un contrat social performant et fiable”.
Une décennie plus tard, un seul constat s’impose, selon Pierre Devolder, professeur à l’UCLouvain, qui fut aussi membre de cette fameuse commission : “L’inaction seule est au programme du gouvernement.” Alors qu’une réforme des pensions figure (une nouvelle fois) dans une déclaration gouvernementale, la Vivaldi, comme les gouvernements précédents, peine à réformer notre système des pensions, alors que le problème du vieillissement de notre population est connu depuis belle lurette.
Certes, l’âge légal de la retraite a été relevé de 65 à 67 ans (en 2030) et l’accès à la pension anticipée a été restreint sous les gouvernements précédents. Certes, la Vivaldi n’est pas restée les bras ballants en relevant l’âge de la pension anticipée et le montant de la pension minimum, ou en prenant quelques mesures d’activation sur le marché de l’emploi. “Mais cela ne suffira pas”, clame Pierre Devolder. Et les chiffres lui donnent raison.

D’après le Bureau fédéral du Plan, le vieillissement de la population fera passer les dépenses de pensions et de santé de 24,5 % du PIB en 2019 à 29,5 % du PIB en 2070, avec un pic aux alentours de 2040. À plus court terme, les seules dépenses de pensions vont s’accroître de 10,5 % du PIB en 2019 à 12 % en 2027. Pour le dire plus simplement, le budget belge est grevé d’environ un milliard d’euros additionnels chaque année.
Pressions croissantes
La Vivaldi, cependant, voit les pressions extérieures s’accroître sur elle. La Commission européenne, notamment, estime qu’il faut une réforme des pensions qui assure la soutenabilité du régime des retraites légales à long terme avant de délier les cordons de la bourse pour les fonds de la relance. À ce jour, les discussions ne sont pas terminées, malgré un kern initialement prévu ce vendredi 03 mars sur le sujet. Entre l’aile gauche et l’aile droite du gouvernement, des divergences profondes se sont fait jour, notamment sur le nombre minimal d’années de travail effectif avant d’accéder à la prépension, sur des mesures à prendre pour réduire les discriminations envers les femmes sur le marché du travail ou sur des incitants visant à retarder les fins de carrière. “Le kern n’a pas eu le temps d’aborder les pensions”, nous dit-on au cabinet de la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS). Les discussions se poursuivent donc. Pour rappel, la première épure de cette mini-réforme des pensions a été déposée à l’été 2022…
3 questions à Pierre Devolder (UCLouvain)
Est-ce que la soutenabilité de notre système de pension est assurée ?
On va être prudent, d’autant que la confiance dans nos pensions légales reste importante en Belgique, et doit le rester. Mais je constate qu’on va chercher de plus en plus des financements alternatifs pour payer les dépenses de pension. Il faut regarder la réalité en face : la soutenabilité n’est pas assurée, si l’on compare les cotisations prélevées aux prestations versées. Autrement dit, les cotisations ne suffisent déjà plus et l’écart ne va pas cesser de se creuser. Ce qui par les temps de disette budgétaire qui courent est préoccupant, car cela veut dire que les marges sont très faibles, car on ne peut pas démultiplier les sources de financement.
Il faut donc impérativement relever le taux d’emploi, surtout chez les seniors…
Oui. Augmenter la durée de carrière est tout aussi important que relever les cotisations sociales, d’ailleurs. Mais il faut le faire en responsabilisant les employeurs et les affiliés ainsi qu’en freinant davantage les pensions anticipées. Par le passé, on a organisé ces systèmes de pension anticipée mais cela doit être remis en question, étant entendu que certaines professions sont objectivement pénibles. En fait, il faut de plus en plus ajuster le nombre d’années de carrière avec le montant de la pension. En Allemagne et en Scandinavie, par exemple, ils y sont bien arrivés, sans que le système social en pâtisse : l’âge de cessation effectif y est de 64 ans.
Pensez-vous qu’il soit trop tard pour assurer la pérennisation, de notre système de pensions ?
Non, il n’est pas trop tard ; je crois que les pressions externes, comme celles de la Commission européenne, vont aussi jouer. Aujourd’hui, seule l’inaction est au programme de notre gouvernement, mais cela va devoir changer. Mais plus on attend, plus ce sera onéreux et compliqué. Il y a moyen de ne pas laisser un trop gros fardeau aux générations futures mais il faut agir maintenant.