"Pour de nombreux produits, les hausses de prix ne sont pas justifiées dans la grande distribution"
En l'espace d'un an, les prix ont grimpé de 22 à 33% en moyenne chez les distributeurs. Certains produits ont augmenté de plus de 250%!
Publié le 13-05-2023 à 07h22
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Si les distributeurs multiplient les sorties pour annoncer des baisses de prix de centaines de produits, dans les faits, le passage en caisse fait toujours aussi mal. Depuis le début de l'année, les prix ont encore augmenté et, sur base d'un an, calcul fait par Ping Price sur quelque 10 000 produits, les prix ont augmenté de 33% chez Carrefour, 31% chez Delhaize et 22% chez Colruyt. Analyse de ces variations de prix avec Christophe Echement, CEO de Ping Price.
Ces hausses de prix sont-elles réellement justifiées au regard de la variation des prix de l'énergie, des matières premières et de l'augmentation des coûts de la main d'oeuvre?
Pour de nombreux produits, ces hausses ne sont pas justifiées dans la mesure où elles dépassent largement l'impact de l'inflation. La marque Belviva, par exemple, est dans le top 10 des plus fortes hausses chez Carrefour (37,09%), Colruyt (48,69%) et Delhaize (39,31%). C'est une moyenne sur l'ensemble des références de la marque et certains produits ont augmenté de 40 à 50%. C'est énorme.
Est-ce que cela traduit de mauvaises négociations avec les fournisseurs ou une augmentation de la marge pour les fournisseurs ou les distributeurs?
Il y a un peu des deux. Les coûts de l'énergie et des matières premières sont bien entendu, en partie, responsables de ces augmentations, mais cela n'explique pas tout. Il y a clairement un effet d'opportunité pour augmenter la marge. Si le distributeur essaie de soigner son image et se pose en défenseur du pouvoir d'achat de ses clients, c'est souvent lui qui tire les ficelles dans les négociations et met la pression sur les marques. La situation que nous avons connue ces derniers mois et l'impact sur les prix ont mené à des renégociations difficiles. Le fournisseur a souvent dû faire d'importants efforts et, maintenant que les prix de l'énergie et des matières premières sont en baisse, les distributeurs vont vouloir renégocier. Alors qu'auparavant les négociations avaient lieu une fois par an, on peut s'attendre à ce qu'elles se répètent deux à trois fois par an. Cela va augmenter le bras de fer entre les deux parties et mener à des négociations plus longues. On le voit déjà avec Mondelez qui souhaite augmenter ses prix, ce que Corluyt refuse. Cela conduit donc aussi à des ruptures de stock et c'est un phénomène qui a se répéter.
Pourtant, si les prix baisse, cela ne se remarque pas encore dans les rayons....
Si certains distributeurs ont déjà annoncé des baisses de prix, ils ont aussi tout intérêt à ne pas répercuter ces baisses rapidement. Tout simplement car en maintenant les prix élevés et un approvisionnement à meilleur marché, ils augmentent leur marge. Il est aussi trop tôt pour constater réellement si les baisses des prix annoncées sont aussi réelles que promises. D'ici une semaine, on y verra un peu plus clair et on pourra réellement mesurer l'impact des annonces.

Le consommateur s'est-il résigné à payer plus cher?
Pour certains, ce n'est pas acceptable, ni payable. On voit que certains consommateurs se détournent de produits qu'ils avaient l'habitude d'acheter car ils n'en ont plus les moyens. Et on ne doit pas s'attendre à revenir au niveau des prix d'avant la crise. C'est ce qu'on appelle le phénomène des sticky prices, des prix qui augmentent mais qui "collent" ensuite au plafond, même quand les prix des matières premières sont en baisse.
Colruyt, qui propose les meilleurs prix, semble aussi avoir fortement augmenté ses prix, notamment pour ses marques propres, avec des hausses parfois vertigineuses...
Il y a là aussi clairement un effet d'opportunité. La confiture Boni fruits rouges 61% a vu son prix passer de 1,09 € à 3,84 €. C'est une hausse de 252,30%, que l'on ne peut clairement pas imputer à l'inflation. Chez Carrefour aussi, on remarque des hausses aberrantes, comme c'est le cas du poulet-frites, avec une hausse de 108% pour le poulet et de 85% pour le frites. Dans le top 10 des produits qui ont le plus augmenté, Colruyt n'a que des hausses de plus de 100%! C'est le résultat d'une stratégie qui a évolué. Le distributeur tend à coller au prix le plus bas de ses concurrents. L'écart proposé auparavant entre le prix le plus bas chez Colruyt et celui de ses concurrents était trop important. Il a été aujourd'hui resserré. Cette stratégie est assurément destinée à augmenter la marge, qui avait été mise sous pression chez le numéro 1 belge. On le constatera certainement lors de la présentation des prochains résultats où la marge opérationnelle devrait être en forte progression.
La concurrence n'arrive-t-elle donc plus à mettre Colruyt suffisamment sous pression?
"La situation n'est pas pareille dans toutes les régions. En Flandre, par exemple, l'arrivée d'Albert Heijn fait très mal à Colruyt. Là, la pression est énorme. D'ailleurs, vous avez tout intérêt à effectuer vos courses dans un Colruyt en Flandre, les prix y sont en moyenne de 6 à 7% moins chers qu'à Bruxelles ou en Wallonie."
Albert Heijn est par ailleurs roi des promotions de type 2-3 gratuit, un phénomène que tend à imiter la concurrence. Est-ce que le consommateur peut s'attendre à voir ces promotions perdurer?
Les distributeurs ont compris que c'est en faisant du volume qu'ils peuvent augmenter leur marge. Carrefour s'est d'ailleurs lancé récemment dans la vente de produits en gros, à destination des professionnels. La stratégie est commune à tous les distributeurs. Auparavant, Delhaize misait sur la qualité, Colruyt sur les prix et Carrefour se positionnait entre les deux. Désormais, c'est le prix qui compte avant tout. On peut donc s'attendre à voir les promos 1+1, 2+1, 2+3 gratuits se multiplier pour réaliser un maximum de volume et de marge. On peut s'attendre aussi à une grande volatilité des prix car si l'on reprend l'exemple de la confiture Boni qui a augmenté de de 252%, il y a clairement de la marge pour offrir, à un moment, une réduction importante sur ce produit. Il n'est pas impossible que son prix baisse de 50% puis réaugmente par la suite. Cette volatilité se traduit au jour le jour. On le constate que les quelque 15 000 références que l'on analyse chez Colruyt où, chaque jour, jusqu'à 10% des prix changent!
Précisément, les marques de distributeur ont, globalement, augmenté davantage que les grandes marques. Comment expliquer ce phénomène?
Différents facteurs peuvent l'expliquer. A commencer par la négociation menée avec les grandes marques pour obtenir les meilleurs prix. Ensuite, il y a probablement eu un effet de rattrapage de l'augmentation des coûts (salaires, énergie, etc) en augmentant le prix des produits de marque distributeur pour dégager davantage de marge. On voit que les MDD rattrapent leur retard par rapport aux marques, et bien que restant moins chères, elles ont repris une partie de l'écart qui faisait en sorte que les consommateurs se tournaient vers elle pendant les périodes de crises aigües. Chez Carrefour, si l'on compare la salade de poulet curry, par exemple, on constate que les augmentations sont marquées pour les produits de marque propre (+42% entre janvier 2022 et mai 2023 pour la marque Simpl, +31;28% pour Carrefour Extra) alors qu'elle est plus faible pour la marque Délio (+13,13%). Chez Delhaize, on a moins ce phénomène, les hausses de prix ayant été anticipées et le niveau de prix des MDD avait déjà été ajusté. Cependant, avec les récents événements, on peut craindre une nouvelle hausse des prix dans leurs marques MDD.
Quelles promos préférez-vous ?
Les folders des enseignes de la grande distribution en regorgent chaque semaine de ces offres en 1+1 qui attirent tellement le client : ce sont actuellement les Noix de St Jacques chez Intermarché, le Martini Royale chez Delhaize, la Solo Gourmet chez Okay ou encore les pâtes Panzani chez Carrefour sans oublier les fish sticks Iglo chez Match ou les frites au four McCain chez Spar.
Gondola Academy, en collaboration avec ShelfService, s’est justement penchée sur l’influence des promotions sur le comportement du consommateur. L’étude, menée en février et mars, “montre que près de la moitié des consommateurs ont effectué un achat en promotion ‘volume’au supermarché au cours du mois écoulé, par exemple dans le cadre des promotions 1+1 gratuit et 2+1 gratuit”.
Le 1+1 gratuit n’est toutefois pas le plus populaire, selon cette étude : “Lorsqu’ils choisissent entre 1+1 gratuit et 50 % de réduction de prix, 62,6 % d’entre eux optent pour 50 % de réduction de prix”.
Dans les faits, pourtant, le 1+1 gratuit est bien plus fréquent que la réduction de 50 % – ou alors, sur le 2e produit acheté –, sauf chez Colruyt qui ne propose jamais pour une promotion de ce type mais opte alors pour le -50 % à partir de 2 produits, comme c’est le cas pour les lessives liquides Dreft.
Cette même étude soulève en tout cas un joli paradoxe. “Lorsque l’on interroge les fabricants belges, c’est l’inverse qui se produit : ils estiment que les promotions offrant des volumes gratuits atteignent davantage les objectifs fixés que les réductions de prix (exprimées en % ou en euros)”.
Reste que l’achat en volume gratuit est une promotion très populaire. Les dépliants publicitaires en témoignent.