L’appartement 2-chambres neuf, lubie des investisseurs ou évidence ?
"Une marotte dénuée ni d’attrait, ni de risques" selon Christian Lasserre, Consultant en immobilier, bureau d'études CLI. Entretien.
Publié le 14-04-2016 à 17h34 - Mis à jour le 14-04-2016 à 18h12
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Dans la plupart des villes du pays, et à Bruxelles assurément, investir dans l’immoblier résidentiel, c’est avant tout investir dans un appartement neuf de deux chambres. Ce dont convient Christian Lasserre, consultant en immobilier au sein du bureau d’études CLI, qu’il a créé il y a une quinzaine d’années. "Une marotte qui n’est dénuée ni d’attraits, ni de risques", précise-t-il d’emblée.
Les investisseurs actuels se gavent de 2-chambres neufs. Dans le passé, étaient-ils tout autant… monomaniaques ?
Non, même si toute période a eu, en quelque sorte, ses tendances. Dans les années 50-60, c’était les immeubles à appartements Etrimo et, plus tard, Amelinckx. Et aussi les terrains non bâtis, en périphérie des villes belges ou dans les zones touristiques, Suisse, Espagne, Etats-Unis; un type de biens dont les nouveaux acquéreurs espéraient faire des profits très élevés en les revendant viabilisés ou dans le même état dans les 3 ans ou 20 ans plus tard. Dans les années 70 et 80, ils se sont jetés sur les villas dans la deuxième couronne bruxelloise et en périphérie, à destination des cadres et diplomates expatriés; mais aussi sur les maisons divisées et les petits immeubles; sans oublier les logements pour étudiants en copropriété.
Aujourd’hui, il s’agit donc du 2-chambres neuf ? Comment l’expliquer ?
Jusqu’au début des années 2000, il était pratiquement inconcevable d’investir dans le centre des villes (hormis peut-être à Anvers). Depuis, les tendances se sont complètement inversées, et le petit appartement 2-chambres neuf en centre-ville est devenu l’investissement idéal. Il l’est pour quantité de bonnes raisons : les questions énergétiques; les coûts de rénovation de l’ancien; l’attractivité du centre-ville; l’évolution démographique… Mais, surtout, la souplesse d’utilisation du produit, qui peut être occupé par des jeunes, des seniors, des internationaux en meublé, des colocataires (jusqu’à 3, en l’occurrence), etc. Le tout en cohérence avec les structures de propriété. Les ménages ont, en effet, besoin de grands appartements ou de maisons à un âge où ils veulent et, souvent, peuvent (avec ou sans l’aide des parents), devenir propriétaires. Investir dans de grands logements locatifs irait donc à l’encontre de cette tendance, alors que les petits appartements locatifs peuvent s’adresser à des jeunes de moins de 30 ans comme aux jeunes retraités de 60 ans et plus. Il y a une logique certaine entre la taille et le mode d’occupation.
Mais si le 2-chambres neuf a tant de fans, y a-t-il encore des risques ?
Je pointerais quatre facteurs à examiner de près. 1. Le couple bailleur/locataire est indissociable. Si tout le monde a intérêt à acheter, qui va être locataire et pour quelle durée ? A Bruxelles, même la clientèle internationale n’est pas forcément stable ou éternelle car les expatriés à long terme ont les moyens d’acheter. Et tabler sur des locataires qui n’ont pas les moyens d’acheter n’est-ce pas hasardeux ? Ont-ils même les moyens de payer un loyer ? 2. Historiquement, tous les investisseurs font la même chose en même temps; ce qui peut créer des surchauffes à certains moments et des problèmes de liquidité à d’autres. 3. Après quelque temps, un appartement neuf… ne l’est plus. Et il y a deux sortes de vieillissement. Technique, dépendant de la qualité des châssis, des équipements, de la façade… Et visuel : les modes changent (on a aimé le carrelage dans les années 50, le tapis plain dans les années 60, le parquet dans les années 90 et le plancher actuellement); il faut alors soit moderniser les appartements, voire l’immeuble (ce que les copropriétés ne sont pas toujours à même de pouvoir faire, décider, gérer), soit ne plus aligner les prix de l’ancien sur ceux du neuf. 4. Les revenus déclarés des Bruxellois sont les plus bas du pays. Sur la période 2001-2014, les loyers ont évolué comme l’index, mais les revenus moyens ont baissé par rapport à celui-ci; la part du logement dans les budgets augmente sans pour autant accroître la rentabilité de l’investissement : tout le monde serait perdant s’il n’y avait pas la baisse des taux. Mais est-ce une bonne raison ?
On dit de l’immobilier qu’il est une question de localisation. Faut-il ajouter à ces quatre facteurs une incertitude sur l’évolution des quartiers ?
Moins que dans le secteur des bureaux. Les quartiers d’habitation traditionnels sont plutôt résilients, et les pouvoirs publics communaux, régionaux et fédéraux, et même européens, interviennent en permanence dans la rénovation urbaine. Ce qui a pour but de compenser les déclins possibles. Il est par ailleurs sans doute dangereux de penser qu’il y a des quartiers de locataires et des quartiers de propriétaires, ce qui restreint trop les potentialités d’avenir.
Votre conclusion ? Investir, ne pas investir, investir dans autre chose que dans des 2-chambres neufs ?
La conjoncture n’a jamais semblé aussi favorable pour les investissements immobiliers en logement : retour en ville d’une partie de la population, croissance démographique, baisse des taux, recherche d’actifs tangibles, rattrapage des déficits de production neuve dans les années 90 et au début des années 2000. Mais avec trois risques majeurs : la production excessive, la surchauffe des prix et l’insolvabilité des locataires.
Donc, ne pas investir ?
Le risque de surproduction est fortement tempéré par la multiplication des obstacles qui se dressent devant tout constructeur (urbanisme, oppositions, recours) qui sont autant de ‘protections’ contre la baisse de prix. La surchauffe reste possible, mais le problème est sans doute plus l’obsolescence accélérée des logements et le remplacement d’une logique de plus-value par une logique de déflation; en d’autres termes, ce n’est peut-être pas le prix du neuf qui va baisser mais le prix de l’existant. Quant à la baisse de revenus, une population de riches propriétaires et de pauvres locataires est aussi intenable.
Encore une fois, l’analyse immobilière ne peut se faire indépendamment de celle de l’environnement économique, politique et social. Le redéveloppement des villes repose non seulement sur l’amélioration de la qualité de la vie, mais il est possible parce qu’il doit permettre une meilleure efficience économique générant des externalités positives et une amélioration du bien-être général; si ce n’est plus possible, il y a un problème, et ce ne sont pas les immobiliers qui vont le résoudre.
Rendement ou plus-value ?
Quand ils présentent un bien d’investissement, les promoteurs et agents immobiliers arrivent souvent à des rendements de… 6 à 8 % l’an ! C’est qu’ils cumulent le rendement locatif et la plus-value.
Rendement. De manière très approximative, un investisseur peut se contenter de mettre en rapport le prix d’achat, augmenté d’une estimation des frais d’acquisition totaux (droits d’enregistrement ou TVA, frais de notaire…), et le loyer mensuel. Il est toutefois conseillé de pousser l’analyse plus loin en joignant à l’exercice, d’un côté, les coûts du précompte immobilier et des autres charges, dont celles de l’emprunt, de l’autre l’indexation et les avantages fiscaux.
Plus-value. Mais c’est en prenant en compte la plus-value attendue que le rendement s’envole. A Bruxelles, il est de coutume de l’établir, en se basant sur l’augmentation du prix de vente moyen d’un appartement ces 5 dernières années, entre 3 et 3,5 % l’an pour les 10 prochaines années.
Être bailleur ne s’improvise pas
Charge de travail. La plupart des particuliers qui investissent dans la brique ont tendance à sous-estimer la charge de travail que représente la gestion locative. Car il ne suffit pas de récupérer un loyer tous les mois. Il leur faut trouver un preneur, rédiger un bail, s’acquitter d’un état des lieux d’entrée et de sortie, parer au moindre petit tracas que rencontre le locataire (humidité, dégât des eaux, pannes diverses, siphon bouché…). Ceci étant, avec un peu d’organisation et des hommes de métier de confiance, la gestion locative n’est pas une tâche insurmontable mais une mécanique bien rôdée. Et, quand elle est bien effectuée, elle permet de fidéliser un locataire et donc… pérenniser un investissement.
Exigences. Reste que les exigences des locataires ont évolué. Surtout si ceux-ci sont des expatriés, habitués à un service irréprochable dans leur pays d’origine. Pas question, pour eux, d’attendre le soir pour joindre leur propriétaire par téléphone. Ou de patienter quelques jours avant que celui-ci ne leur réponde, et quelques jours encore avant que le problème ne soit solutionné. Ils requièrent une assistance en journée, un desk auquel s’adresser en personne et des techniciens agréés et disponibles.
Régionalisation. Au niveau juridique également, les choses se sont complexifiées. Le cadre législatif entourant les baux résidentiels vient d’être régionalisé, ce qui est loin d’enchanter les propriétaires dont le portefeuille de biens s’étend aux quatre coins du pays.
Coût. Enfin, la gestion locative doit être prise en compte dans le calcul du rendement du bien. Combinée aux assurances et aux frais connexes, elle équivaut environ à 1 % du rendement locatif brut. Si elle est déléguée à un tiers, elle pèsera alors 10 % du loyer, duquel elle est prélevée.