Relents de crise en Europe: "pas de panique, c'est l'Italie..."
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Publié le 22-05-2018 à 17h37 - Mis à jour le 22-05-2018 à 17h52
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Qui va piano, va lontano. C'est un peu l'impression qui se dégage des analyses financières inhérentes à la situation en Italie. Ou autrement dit: "pas de panique, avec l'Italie, ça a toujours été difficile, mais ça va aller, parce que ça a toujours été." Malgré tout, la nouvelle donne politique - un improbable gouvernement mêlant le parti fourre-tout de Luigi Di Maio (Cinque Stelle) et la Lega de Matto Salvini (extrême-droite) - s'ajoute à une situation économique déjà passablement fragile. Etat des lieux.
Le taux à 10 ans, l'indicateur-clé
Un indicateur, celui qui a été scruté avec minutie durant la crise des dettes souveraines où l'Italie jouait déjà un rôle majeur avec la Grèce, l'Espagne et le Portugal, dit tout ou presque: le taux à 10 ans. Il est une manière de mesurer la crédibilité de la dette italienne. Or, avec l'incertitude polittique actuelle, ce taux s'est certes tendu, mais pas dans des proportions que l'on a pu connaître en 2011-2012. Le taux à 10 ans s'est même stabilisé ce lundi aux alentours de 2,33%, alors qu'il oscillait aux alentours de 1,8% il y a un mois. Certes, l'écart avec le taux à 10 ans espagnol s'est aussi creusé, aux alentours de 80 points de base (0,8%), mais on est loin de la situation de panique du début des années 2010 quand la Grèce entrainait dans son sillage les pays du Sud les plus fragiles. Fragile, l'Italie l'est et le reste.
"Sur la base de la métrique standard, l'économie italienne éprouve des difficultés, explique Philippe Ledent, économiste chez ING. La croissance du PIB est plus faible que la moyenne européenne. Sur une base 100, que je trouve plus judicieuse, on constate que le PIB de la zone euro a progressé de 7,6% depuis 2008, depuis la crise financière. L'Italie, elle, est à 95,5%, 5,5% en dessous du niveau d'il y a 10 ans. Cela situe l'ampleur du problème. Ajoutez à cela un endettement public qui est le plus élevé de la zone euro après la Grèce (près de 130% du PIB, NDLR), un taux de chômage qui reste aussi parmi les plus importants en Europe, et vous comprendrez pourquoi le tableau économique est loin d'être affriolant", poursuit l'économiste. La situation n'est pas plus brillante à court terme, puisque sur les trois dernières années, le PIB cumulé a crû de seulement 3,9%. Seule la Grèce a fait moins bien. Le fait que cette économie soit à la traine explique aussi l'aggravation des déficit (structurel et nominal) et de l'endettement. La crise migratoire, dans laquelle l'Europe a laissé l'Italie s'embourber, n'a évidemment rien arrangé...

La compétitivité à l'italienne
Le tableau n'est cependant pas tout noir. "D'abord, l'économie italienne a un vrai tissus industriel, porté par des PME très volontaristes dans des secteurs très variés comme le textile, l'alimentaire, l'automobile et quelques segments de niche ", explique Philippe Ledent (ING). Et les réformes notamment engagées sous Mario Monti et Matteo Renzi entre 2011 et 2016, surtout au niveau des pensions, ont ensuite permis de stabiliser la situation, et de calmer les craintes européennes de voir le pays laisser filer les déficits. Pourquoi donc l'Italie est-elle dans de si mauvais papiers, alors ? "En réalité, et de manière contradictoire, sans vouloir apporter de l'eau au moulin des populistes qui ont récemment gagné les élections, l'Europe ne lui a pas permis de garder un niveau de compétitivité important. Auparavant, l'Italie soignait sa compétitivité en dévaluant sa monnaie, la lire, ce qui avait des effets importants sur l'inflation, en nette hausse. Aujourd'hui, les dévaluations ne sont plus monétaires, puisqu'elles se réalisent au travers de tensions déflationnistes, notamment au niveau des salaires. Dans les faits cela ne change rien, le pouvoir d'achat réel reste aussi faible, mais les citoyens ont l'illusion que des pressions inflationnistes avec un salaire en hausse valent mieux qu'un salaire plus faible avec des prix qui baissent...", poursuit l'économiste. Ce constat posé, on comprend mieux l'origine du ressentiment italien à l'égard de l'Europe. Cela explique en partie la victoire de partis "anti-Europe", souvent proches de l'extrémisme, qui a en outre été nourri par la crise migratoire, dont l'Europe s'est lavée les mains, ou presque.
Un programme qui n'affole pas... pour le moment
Question: le programme du gouvernement "Cinque Stelle/Lega" est-il de nature à replonger l'Europe dans une nouvelle crise des dettes souveraines ? "Pour l'instant, on en est loin", explique Philippe Ledent. "Les marchés ne s'affolent pas parce qu'ils se disent que comme en Grèce, avec Tsipras, l'Italie de Conte devra mettre de l'eau dans son vin."
Le programme qui a été mis en place par les équipes de Salvini et Di Maio tient a de quoi faire peur à l'Europe, mais ce n'est pour l'instant qu'une déclaration d'intention, qui devra se confronter à la réalité de discussions avec les autorités européennes. On y trouve l'établissement d'un taux de taxation unique cher à la Lega de 15 ou 20%. La dette italienne, qui culmine à 2300 milliards d'euros, risque d'en prendre un sacré coup... On trouve également dans le programme du nouveau gouvernement une demande d'annulation par la Banque centrale européenne (BCE) de 250 milliards d’euros de dette italienne qu’elle détient via son programme d’achats de dettes « quantitative easing » (QE). Pourquoi l'Italie obtiendrait-elle ce que la Grèce s'est toujours vu refuser? A suivre...
Enfin, dans le programme gouvernemental, on trouve la proposition de revenir en arrière sur la réforme des pensions, et une demande de considérer les investissements publics hors dette. "En somme, l'Italie demande de revoir les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance", poursuit l'économiste. Peu de chances que la demande soit entendue, tant il est vrai que le peut de laisser filer les déficits, de ne plus savoir contrôler les dettes publiques et dans toutes les têtes, surtout en Allemagne et dans les pays du Nord". Bref, il y a peu de chances que le carcan budgéraire puisse évoluer. "Tout cela pourrait faire peur, mais le sentiment domine dans les marchés que l'Italie devra faire face à la réalité, et.... que la situation généralement instable en Italie n'est pas de nature à penser que ce gouvernement fasse long feu. Mais méfiance, l'Italie rentrera peut-être et sans doute dans le rang, mais on en attendant, d'autres scénarios moins favorables pourraient avoir pris forme", conclut Philippe Ledent.