Commerce mondial: pourquoi Trump risque de mettre l'Europe hors jeu
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Publié le 01-06-2018 à 14h14 - Mis à jour le 02-06-2018 à 08h51
Au-delà de l'exercice de musculation verbale que montrent les différents acteurs dans ce début de guerre commerciale entre les États-Unis et l'Europe, le Mexique et le Canada, des enjeux bien plus profonds et dangereux sont en train de se jouer en coulisses. Il y a d'abord des enjeux purement politiques, internes aux États-Unis. « Donald Trump, en caricaturant à peine, se sert de l'Union européenne (UE) pour montrer qu'il peut infléchir des positions sur le plan international, et caresser son électorat de base dans le sens du poil », explique Elvire Fabry, chercheuse senior à l'Institut Jacques François Mathieu Delors à Paris. Comment l'UE peut-elle donc servir ses attaques commerciales brutales en interne ?
La perspective des élections de mi-mandat
« Créer de l'emploi. C'est la seule manière dans un État qui n'est pas une nation-providence comme on en trouve en Europe de favoriser le bien-être de sa population », explique un acteur spécialisé dans les relations internationales qui préfère garder l'anonymat. Il y a d'abord une politique fiscale agressive et ensuite, l'activité. Et cette activité, Donald Trump compte la doper en rapatriant de l'emploi, et s'assurer la bienveillance des électeurs dans la perspectives des élections de mi-mandat (midterms, NDLR) de novembre 2018. Mais c'est un jeu dangereux. » Pourquoi ? Parce le camp républicain, composé de « globalistes » et de « protectionnistes » est très divisé sur la politique commerciale menée par Donald Trump. Et une fronde d'entreprises de premier plan se fait jour pour dénoncer les mesures de rétorsion prises par les États-Unis, qui in fine pèseront sur les marges de producteurs américains faisant face à des prix importés de biens intermédiaires plus onéreux. Cette fronde ne se réfère du reste pas seulement aux bisbrouilles américano-européennes. Le Canada, partenaire commercial de premier plan, ne se laissera pas faire, comme l'a immédiatement annoncé le Premier ministre Justin Trudeau, face aux mesures de taxation de l'acier et de l'aluminium instaurées par le président américain. Et, surtout, il y a l'Alena, l'accord d'échange nord-américain, dont le Canada fait partie avec… le Mexique, principal partenaire commercial des États-Unis. « Donald Trump risque de s'embourber dans ce dossier, lui qui avait déjà menacé de quitter cet accord de libre échange », poursuit la chercheuse de l'institut Jacques Delors. « Le problème du déficit commercial américain est autrement plus complexe que l’enjeu des importations européennes et son discours punitif passe mal... ». Ce qui pourrait le contraindre de faire courbe rentrante plus tard… Mais on n'en est pas là.
La Chine, l'enjeu majeur
L'autre enjeu politique de cette joute commerciale réside dans la tentative de Donald Trump de renvoyer l'Union européenne dans les cordes. « Actuellement, le front est uni, et la réponse européenne, ferme mais mesurée, ne met pas en péril les intérêts européens », poursuit Elvire Fabry (Jacques Delors Institute). Mais qu'en sera-t-il si, comme le craignent les marchés, la réponse européenne donne lieu en retour à d'autres mesures, plus costaudes. « On sait que le secteur automobile est en ligne de mire. Alors que l’Allemagne est encore plus exposée sur ce secteur, serait-elle amenée à infléchir la position d’ouverture au dialogue avec Washington qu’elle a maintenu jusqu’à présent ? », s'interroge la chercheuse. « Le risque de distorsion commerciale est réel. Donald Trump va jouer cette ligne de faille européenne. »
Pour l'Europe, toute la difficulté sera de répondre à ses attaques américaines d'une réelle violence à court terme… et d'anticiper un autre enjeu, bien plus important encore à long terme : lutter contre les distorsions commerciales chinoises. « Tout le monde sait que l'Europe n'est pas responsable des surcapacités d'acier dans le monde. C'est la Chine. Les réactions internes américaines sont d'ailleurs ciblées sur ce pays. De ce fait, il est très important pour l'Europe de maintenir un cadre de discussion multilatéral avec les États-Unis, et de les engager à renforcer les règles du commerce international. Pour ne pas se mettre hors jeu… » L'enjeu n'est ici plus politique, mais commercial.
Le risque commercial
« Le risque est effectivement que l'Europe soit le dindon de la farce d'une bataille opportunément lancée par Trump pour entamer des négociations, notamment avec la Chine, qui est le véritable problème pour les États-Unis (la balance commerciale leur est particulièrement défavorable, NDLR). Pour notre interlocuteur proche des sources principales de ce dossier, l'Europe est faible, aujourd'hui. « L'Europe n'a pas compris depuis quelques années qu'il lui fallait jouer la carte du multilatéralisme. L'approche des États-Unis sous Trump est de diviser pour mieux régner, de privilégier les approches bilatérales. C'est un jeu d'apprenti sorcier qui pourrait coûter cher aux Américains mais en attendant, cette stratégie pourrait sortir l'Europe du jeu. Faire beaucoup de commerce ne suffit plus à être une puissance mondiale de premier plan. Or, l'Europe ne fait rien pour mener des politiques de convergence qui la rendraient plus forte, politiquement et économiquement. En cela elle a une part de responsabilité dans ce qui lui arrive. Donald Trump l'a bien compris ». Et son affaiblissement commercial sur le plan mondial est un risque à ne pas prendre à la légère. « Tout se jouera sur la capacité de l'Union à rester solidaire à court terme, à mettre en place des mécanismes de prévention, et à miser sur des discussions multilatérales à plus long terme », conclut Elvire Fabry.