Le Groupe des 10, institution d'inutilité publique ? "C'est à lui de prouver le contraire", explique Kris Peeters
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/16e12df7-ddb4-42fc-bfe1-285390232bf8.png)
Publié le 27-01-2019 à 18h13 - Mis à jour le 27-01-2019 à 18h58
:focal(2495x1255:2505x1245)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7NZHFFE6S5FLTLG5EJZQCKC5KQ.jpg)
En matière de communication et de stratégie politique, on le sait, la N-VA est passée maître. Les nationalistes flamands, en indélicatesse avec le ban patronal depuis qu'ils ont débranché la prise du gouvernement Michel, tentent, à quelques encablures des élections, de redorer leur blason auprès de cette frange importante de leur électorat. Et remettent en cause le G10, qui rassemble les représentants syndicaux et patronaux. Selon eux, le G10 ne devrait plus se réunir.
« Il n’y aurait donc plus rien qui pourrait bloquer », a déclaré samedi l’ex-Vice-Premier ministre, Jan Jambon (N)VA), en référence à la rupture, la semaine dernière, des discussions autour de l'accord interprofessionnel (AIP). Pour la N-VA, en congrès ce week-end, la concertation doit davantage se faire dans les entreprises. Le think tank Itinera, dont les lignes directrices avaient été dévoilées dans les colonnes de La Libre le samedi 26 janvier, allait partiellement dans le même sens. « Il faudrait une tout autre approche en matière de concertation sociale. Regardez la norme salariale, elle est valable pour le pays tout entier. Mais aujourd’hui, il n’est même plus pertinent de parler de différences entre Régions. Dans le même secteur, il y a des entreprises qui sont beaucoup plus dynamiques que d’autres. Regardez la liste des comités paritaires. Il y a des entreprises qui se trouvent dans 10 comités paritaires. Et Amazon et Google, dans quel comité paritaire se trouvent-ils ? Toute une série de sociétés ne se retrouvent plus dans aucun secteur, cela paraît absurde. On vit aujourd'hui avec cet héritage du passé. Les discussions communautaires sont aujourd’hui dépassées par l’évolution économique. Il faut donc donner plus d’autonomie au niveau des individus et des entreprises », estime Ivan Van de Cloot, économiste en chef de l'institut, d'obédience « libérale sociale ».
200 ans en arrière
Alors, le G10, institution d'inutilité publique ? « Ce serait nous faire revenir au 19è siècle, réagit Robert Vertenueil, président de la FGTB. « Dans un pays comme la Belgique, où plus de 90 % des entreprises sont des PME où il n'y a généralement pas de délégués syndicaux, ce serait déséquilibrer le rapport de forces entre les travailleurs et le patronat. » Pour le leader syndical, cette approche jugée « ultra-libérale » est préoccupante « parce qu'elle s'accompagne de propositions conservatrices qui feraient régresser notre société. La mise en doute des médias, de la liberté de la presse, des syndicats, de la concertation sociale et de notre modèle de sécurité sociale sont autant de tentatives de ramener la Belgique 200 ans en arrière. »
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, remet également la N-VA à sa place. « Certes, le G10 comme le kern en politique n'ont pas d'existence légale. Il est facile d'en contester la légitimité ou l'efficacité mais des accords existent bel et bien entre syndicats et patronat depuis belle lurette. Les travaux que nous avons menés sur la problématique du burn-out ont été fructueux, pour ne vous citer qu'un exemple récent. On pourrait sans doute être plus ambitieux mais ce qui nous manque, ce sont des temps plus longs, hors temps médiatique, qui nous permettent de travailler sur des sujets de société importants comme l'accompagnement des seniors, l'équilibre vie privée-vie professionnelle, le bien-être des travailleurs, etc. Sur la question des salaires, qui n'est qu'une thématique parmi d'autres, ce n'est pas la première fois que des négociations sont difficiles mais on parvient toujours à se mettre d'accord. »
Sous-entendu : pourquoi remettre en cause le G10 pour une simple anicroche dans une perspective historique ? « Le G10 reste important car il fixe un cadre de développement pour l'ensemble du secteur privé. On sent que la sensibilité du gouvernement Michel est moindre pour cet organe de concertation, mais il faut se rendre compte que tout décentraliser va amener des rapports de force disproportionnés. Le modèle allemand, qui va dans ce sens, orienté vers la co-décision peut attirer - on a tous en mémoire la force du syndicat IG Metall en Allemagne, qui a adopté ce modèle -, mais il masque des reculades importantes sur le plan social comme des salaires horaires de 4 euros », poursuit la syndicaliste de la CSC.
L'étage « 2 » du modèle social belge à revoir
« Dans un monde rêvé, le modèle de codécision, décentralisé comme en Allemagne, a tout pour plaire, enchaîne l'économiste Etienne de Callataÿ. La polarisation sur le plan syndical (FGTB et CSC, NDLR) en Belgique n'aide pas à trouver des compromis facilement mais le G10 garde toute son utilité. La Belgique a un modèle à trois étages – le G10, les secteurs et les entreprises – qui a prouvé son intérêt par le passé mais sans doute peut-il être amélioré, notamment parce que l'étage « 2 », celui des secteurs, est trop pesant. Il est important d'un côté que l'on tienne compte de la réalité de certaines entreprises au sein des secteurs, et de l'autre, qu'on puisse avoir une vue sociétale plus importante, qui ne se limite pas aux négociations salariales, qui puisse tenir compte d'effets induits sur le plan économique d'exigences sur le plan salarial, comme le chômage. Ces deux préoccupations « extrêmes » sont entre les mains des étages « 1 » et « 3 » de notre modèle, le G10 et les entreprises. Les secteurs, c'est mon sentiment, ont parfois un effet d'entraînement néfaste sur les autres. Il peut y avoir un effet de contamination important d'une décision qui convient bien à un secteur mais qui n'est pas adapté aux autres », estime l'économiste.
Ivan Van de Cloot, d'Itinera, ne dit finalement pas autre chose quand il affirme « qu'il y a toujours des enjeux communs » à faire traiter par le G10. Comme ? « Il y a toujours en Belgique une logique de primes liées à l’ancienneté. Chez nous, un employé plus âgé a un salaire beaucoup plus élevé. C’est catastrophique sur la probabilité de retrouver un emploi au-delà de 50 ans. D’autres pays n’ont pas ce frein. On devrait pouvoir discuter entre partenaires sociaux du fait que cette courbe salariale au fil de l’âge est un acquis du passé. C’est destructeur et un obstacle au lieu d’une aide. Il faut changer cela et rebalancer les salaires au fil de la carrière pour ne pas avoir toujours un pic des salaires vers la cinquantaine ». « Il est faux d'affirmer, comme l'a fait l'économiste Geert Noels dans vos colonnes la semaine dernière, qu'il y a deux réalités économiques en Belgique. Il y a évidemment des différences, mais il y aussi des enjeux qui restent communs et qui méritent d'être discutés dans un organe de concertation national comme le G10 », conclut Etienne de Callataÿ.

Kris Peeters : « C'est au G10 de prouver son utilité »
Alors, ce G10, il est devenu inutile comme le dit la N-VA ?
Vous savez que j'ai été de très nombreuses années membre du G10 (comme CEO d'Unizo, l'équivalent de l'UCM en Flandre) et à ce titre, j'ai pu constater que pareille institution avait une valeur ajoutée, certainement comme outil de protection des petites et moyennes entreprises (PME). Ce vieux débat que la N-VA fait ressortir aujourd'hui renvoie évidemment le G10 face à ses responsabilités… Les partenaires sociaux doivent revenir à la table des négociations, pour défendre le dialogue social, notre modèle de sécurité sociale…
… Particulièrement par les temps qui courent...
Effectivement. Nous sommes politiquement dans une situation un peu délicate où le gouvernement, minoritaire, est en affaires courantes. Aujourd'hui encore plus qu'hier, le G10 doit donc prouver son utilité. Les partenaires sociaux doivent montrer ces prochains jours leur utilité. Ils doivent revenir autour de la tale pour parvenir à un accord qui, je le répète, est important pour les PME en Belgique.
Est-ce que le fonctionnement du G10 est encore adapté ?
C'est à eux à le montrer, mais je reste persuadé qu'avec la digitalisation de l'économie, comme je l'ai dit au Forum de Davos dans le cadre d'un discours sur le « future at work », il y a des répercussions importantes pour les relations entre les travailleurs et les entreprises qui doivent être discutées, pour les anticiper au mieux. Ce qu'on a appelé l'ubérisation de l'économie (avec des entreprises comme Ubern Deliveroo, etc.) va fondamentalement changer ces relations. Il n'y a pas d'autres solution que d'en parler ensemble, de cette flexibilisation du marché du travail, me semble-t-il...