Le coronavirus a conduit les bourses au bord du krach
Publié le 28-02-2020 à 18h32 - Mis à jour le 28-02-2020 à 21h18
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Revue boursière | La chute rapide des valeurs cotées rappelle celle de 2008.
C’est vendredi 21 février que les gestionnaires financiers, assoupis jusque-là, ont manifesté les premiers signes de crainte face à l’extension de l’épidémie de coronavirus et à ses impacts sur la croissance mondiale. Lundi, après un week-end passé à évaluer les risques pesant sur l’économie mondiale, ils ont entamé les manœuvres de dégagement, ce qui s’est soldé par une accélération de la baisse des indices et par une chute qui, sur la semaine, dépasse souvent les 12 %. Peut-on parler de krach ? Pas encore. On est encore là dans le cadre d’une solide et rapide correction consécutive aux sommets atteints la semaine précédente par les grands indices américains et quelques baromètres boursiers européens. Techniquement, de manière informelle, un krach serait plutôt déclaré au terme d’une chute de 30 % en quelques séances. Enfin, si une chute à court terme est souvent suivie d’une lente remontée, une baisse de plus de 20 % est considérée comme l’amorce d’un marché baissier à moyen terme. Mais il y a des signes qui font peur. À Hong Kong les autorités vont distribuer 10 000 dollars locaux à chaque résident pour tenter de relancer la consommation. Au Japon, les écoles seront fermées pour un mois. Cela fait réfléchir.
Tous secteurs confondus
Les opérateurs ont donc donné le sentiment de vendre en panique, ce qui s’est traduit par un recul particulièrement rapide des cours sur tous les segments d’activités cotés. Ceci peut s’expliquer de diverses façons. Par la panique d’abord, mais aussi par l’importance croissante de la gestion indicielle. Les fonds indiciels, les "trackers", achètent tous les composants des indices suivis lorsque le marché grimpe, et les vend tous en cas de baisse, lorsque les investisseurs liquident leurs parts. Ceci donnerait une explication technique à la baisse généralisée des secteurs. Ainsi, sur la semaine, l’indice Eurostoxx 600 a reculé de 11,50 %. Une évolution qui cache la chute de 17,60 % des valeurs du secteur des voyages et des loisirs, et celle de 15,30 % des matières premières, le secteur des services aux collectivités affichant une baisse "limitée" à 9 %. Les pétrolières ont chuté dans la foulée de la baisse de 14 % du prix du baril de brut. C’est que la perspective de voir la croissance chinoise passer de 6 à 3 %, au cours de ce trimestre, est synonyme d’une chute des importations de pétrole.
Valeurs refuges négligées
Les capitaux dégagés des places boursières ont continué à alimenter le segment obligataire de première qualité, ce qui a eu pour effet de faire grimper les cours et refluer les rendements. Les obligations du Trésor américain à 10 ans ont vu leur rendement baisser ainsi sur la semaine à 1,21 %, un plus bas absolu. L’or qui avait bondi ces dernières semaines s’est stabilisé, ce qui pourrait être rassurant et lié à la baisse du nombre de nouveaux cas de coronavirus en Chine. Ou alors, les investisseurs vendent aveuglément là où il y a encore du profit à dégager. À Bruxelles où toutes les composantes de l’indice Bel 20 ont piqué du nez sur la semaine écoulée, cela permettrait de comprendre pourquoi une action comme Proximus a subi les assauts des vendeurs, alors qu’on voit peu comment la crise en cours pourrait l’affecter.
Transports, aéronautique, industrie lourde : tous touchés
Ce que les investisseurs tentent d’anticiper en vendant leurs portefeuilles d’actions, c’est un coup de frein à la croissance mondiale. Si la tendance est déjà perceptible via les signaux venus de Chine, elle manque de mesures objectives. "On ne saura réellement que dans quelques mois quel a été l’impact réel de la crise en cours sur la croissance" , explique Xavier Servais (Delande et Cie). "Mais il est clair que certains secteurs paieront un prix aux conséquences déjà visibles. On a déjà assisté à quelques communications de la part d’entreprises cotées sur leurs prévisions incertaines relatives au trimestre en cours…"
De fait, à Bruxelles, il y a l’exemple malheureux d’AB InBev qui a publié cette semaine des résultats en demi-teinte et des prévisions chiffrées qui ont été très mal digérées par le marché. Mais de là à justifier une correction telle que celle encaissée en deux séances par le poids lourd de l’indice Bel 20, il y a de la marge. Sauf revirement rapide, le marché devra revenir à une vision plus axée sur les fondamentaux, en matière de valorisation des actions.
Paiements et voyages
Les premiers signaux d’alarme ont été émis aux États-Unis par les grands noms des entreprises de paiement, alertés par la baisse soudaine d’une part de leur volume d’affaires liée aux voyages. Les américains Mastercard, Visa et American Express ont lancé des avertissements et en ont subi les effets en Bourse, avec des baisses de 15 à 17 % sur la semaine. Les croisiéristes Royal Caribbean Cruise (-27 % sur la semaine), Norwegian Cruise (-24 %) ou Carnival Cruise (-23 %), ont payé le prix de la peur des voyageurs de se retrouver piégés à bord au hasard d’une procédure de quarantaine. Partout dans le monde, les compagnies aériennes ont été à leur tour victimes des craintes liées aux passages dans les aéroports, surtout en Europe (lire aussi en p.32). Air France KLM a perdu sur la semaine un quart de sa valeur, Lufthansa près de 22 % et Ryanair 19 %. Inutile de dire que le secteur du voyage dans son ensemble n’a pas encore vu la fin du tassement de la demande.
Demande chinoise en berne
En effet, le ralentissement de l’économie chinoise, s’il est encore peu visible compte tenu de la transparence des chiffres officiels, est une réalité. L’économiste (ING Belgique) Peter Vanden Houte relevait dans ces colonnes qu’en dépit des appels au retour des employés chinois, les artères des grandes villes chinoises, régulièrement engorgées, restaient tout à fait fluides ces jours-ci. En conséquence, les producteurs de gaz et de pétrole ont vu leurs perspectives plonger, tout comme le prix du brut. Le poids probable du ralentissement chinois pèse déjà sur l’industrie mondiale, dont l’automobile, certains secteurs d’assemblage étant menacés de pénurie de pièces, de batteries, de composants électroniques ou informatiques.
Enfin, dans une économie mondiale globalisée, animée par des chaînes d’approvisionnement à flux tendus, les vecteurs traditionnels, déjà moins sollicités en raison de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, le sont encore moins, ce qui fait baisser les prix du transport maritime de 80 % en quelques mois.

Focus | Pourquoi AB InBev souffre plus qu’Heineken
La dégringolade de l’action AB InBev (qui a encore perdu 8% vendredi), est de plus en plus inquiétante aux yeux des analystes.
La déroute a commencé à l’automne 2016 quand le géant brassicole belgo-brésilien a mis la main sur SABMiller, alors le n°2 au monde. Depuis ce moment, l’action affiche un return négatif (évolution du cours + dividende) de 39 %. La performance de son concurrent néerlandais Heineken est par contre positive de 26 %. "La confiance dans la stratégie d’Heineken s’accroît" , notait récemment l’analyste de Jefferies. Confiance que l’on retrouve dans les déclarations du CEO d’Heineken qui a prévu "une croissance supérieure du chiffre d’affaires" par rapport à l’année précédente.
Pour AB InBev, c’est au contraire un sentiment d’incertitude qui prévaut notamment à cause du coronovirus qui a déjà coûté 175 millions de dollars en termes de résultat opérationnel. Les analystes s’interrogent de plus en plus sur la valeur ajoutée apportée par la politique d’acquisitions effrénée de ces dernières années, qui a gonflé l’endettement à des niveaux inquiétants (95 milliards).
Quand AB InBev a racheté SABMiller, la valeur boursière des deux groupes réunis était proche de 210 milliards de dollars, ce qui lui permettait de faire partie du cercle des 10 plus grosses sociétés cotées au monde. Aujourd’hui, la valeur de la multinationale dirigée par le Brésilien Carlo Brito est tombée à 120 milliards.
Dividende réduit
Autre déception pour les actionnaires : le dividende qui a fortement été réduit, dans le cadre de la politique de désendettement du groupe.
A très long terme, la performance d’AB InBev reste néanmoins supérieure à celle d’Heineken. Entre le 30 novembre 2000 (quand InBev est entré en Bourse) et ce vendredi, le cours ajusté d’AB InBev a progressé de 148,8 %, soit 4,85 % par an. Avec le dividende, le return total est de 275,2 % soit 7,10 % par an en moyenne. Pour Heineken, le rendement avec le dividende est 4,35 % par an (+165,7 %) sur la même période.Ariane van Caloen