Les banques vont mieux que prévu. Rassurant ?
Le Crédit suisse et UBS ont dû acter de lourdes provisions en raison de la débâcle du fonds spéculatif américain Archegos auquel ils avaient prêté de l’argent. Faut-il y voir des cas isolés liés à une mauvaise gestion des risques ? Ou faut-il craindre des accidents similaires, qui justifieraient une séparation des métiers de banque d’affaires et de détail évoquée à chaque crise sans jamais se concrétiser ?
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- Publié le 13-05-2021 à 17h46
- Mis à jour le 14-05-2021 à 08h34
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Ce début de semaine, le bancassureur KBC a publié un bénéfice net de 457 millions d’euros au 1er trimestre, meilleur que prévu (les analystes attendaient 417 millions). Il n’est pas le seul à avoir créé une bonne surprise. Presque tous les établissements financiers ont pu se targuer d’une progression importante de leurs activités sur les trois premiers mois de 2021. Ces résultats supérieurs aux attentes laissent penser que le secteur financier européen a traversé la crise économique en limitant les dégâts.
Seule ombre au tableau : le Crédit suisse et UBS, qui ont dû acter de lourdes provisions en raison de la débâcle du fonds spéculatif américain (hedge fund) Archegos auquel ils avaient prêté de l’argent. Faut-il y voir des cas isolés liés à une mauvaise gestion des risques ? Ou faut-il craindre des accidents similaires, qui justifieraient une séparation des métiers de banque d’affaires et de détail évoquée à chaque crise sans jamais se concrétiser ? Tout d’horizon d’un sujet controversé.
1. Les banques n’ont-elles pas retenu la leçon de 2008 ?
"Les banques ont très bien retenu la leçon ! Elles savent qu’elles peuvent continuer à faire des bêtises et que le contribuable paiera si ça tourne mal", souligne Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Et si une institution comme Crédit suisse a prêté de l’argent au hedge fund Archegos, c’est parce que celui-ci "promettait la poule aux œufs d’or", poursuit le député européen.
Rodolphe de Pierpont, porte-parole de Febelfin (fédération du secteur financier en Belgique), ne partage pas cet avis. "Depuis 2008-2009, il y a une déferlante de régulation", souligne-t-il. Premier axe : les exigences en termes de fonds propres ont été renforcées. Deuxième axe : l’organisation de la supervision, qui a été revue. "Tout cela vise à assurer une plus grande stabilité financière."
2. Pourquoi n’a-t-on pas séparé les métiers de banques de détail et d’affaires ?
"Les responsables politiques ne connaissaient rien à la régulation. Je l’ai vu quand Jacques de Larosière (NdlR : ancien gouverneur de la Banque de France) est venu parler au Parlement européen. Ce qu’il disait, c’était comme la parole d’Évangile", répond Philippe Lamberts. Qui fustige aussi les "conflits d’intérêts" et la "consanguinité" entre les régulateurs, le monde politique et les banquiers. Jacques de Larosière en est un exemple puisqu’il a été aussi conseiller de BNP Paribas et qu’il a été l’auteur d’un rapport sur la régulation financière remis en 2009 à la Commission européenne.
Christophe Nijdam, délégué général de l’Af2i (Association française des investisseurs institutionnels), rappelle, quant à lui, que cette séparation des métiers avait été préconisée dans le rapport Liikanen, membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), qui a été remis à la Commission européenne à l’automne 2012 et repris, en grande partie, dans le projet de directive européenne présenté par l’ancien commissaire européen Michel Barnier début 2014. "Malheureusement, le lobby bancaire a œuvré et réussi à faire enterrer le projet Barnier par son successeur fin 2017", souligne-t-il. Le "lobby des banquiers" a très bien marché, confirme Philippe Lamberts, qui estime que les Verts, avec le soutien de la gauche radicale, sont les "seuls à vouloir aller plus loin dans la régulation financière".
3. Pourquoi cela aurait pu être une bonne idée ?
"Comme l’avaient très bien compris les Américains en séparant les métiers au travers du Glass Steagall Act de 1933, à la suite de la Grande Dépression de 1929, et cela jusqu’à son abolition en 1999, le mélange des métiers crée un risque systémique de faillites bancaires en chaîne qui paralysent l’économie, analyse Christophe Nijdam. Pour éviter cela, les États se sont portés caution de leurs banques en 2008, puis ce sont les banques centrales qui ont pris le relais au travers des politiques monétaires débridées, connues sous le nom de 'quantitative easing', qui ont eu pour conséquence de faire migrer les taux d’intérêt en territoires négatifs, sources de nouveaux déséquilibres dont on n’a pas encore pris la mesure. La non-séparation maintient les États et les banques centrales en otages de leurs banques systémiques qui, rappelons-le, sont au nombre de 13 en Europe sur les 30 au niveau mondial."
Rodolphe de Pierpont rappelle, quant à lui, l’argument des banquiers selon lequel "la diversification des activités apporte une diversification des risques. Dans le contexte actuel de taux d’intérêt extrêmement bas, il est important que les banques veillent à offrir des nouveaux business models. Les banques qui perçoivent des commissions variées s’en sortent mieux que celles qui sont sur un modèle classique", c’est-à-dire basé uniquement sur la marge d’intérêts".
4. Quel impact sur les valeurs des banques ?
"Dans l’ensemble, les banques ont très bien traversé la crise du Covid grâce aux ratios de capital très solides - et ce malgré les provisions d’une grande ampleur mises en place en 2020. Le cas Archegos semble être un cas unique, dû à un manque de transparence dans les positions et donc peu de visibilité pour les courtiers principaux, ce qui a sans doute contribué à des prises de risque plus importantes que prévu. Tous les courtiers qui étaient exposés à ces positions ont soulevé ce problème", souligne Stéphane Monier, Chief Information Officer (CIO) à la banque privée Lombard Odier. "
Pour les marchés boursiers, ce cas a suscité des interrogations sur un éventuel excès de levier financier, mettant en lumière les dangers d’une gestion de risques insuffisante dans certaines banques, qui ont subi un impact financier très significatif. Ces acteurs ont certainement des leçons à tirer de cet événement. Il convient de noter cependant que si cet incident a impacté les actionnaires de certaines banques, il n’a pas représenté de menace systémique pour le secteur financier. Ces pertes, parfois très significatives, ont aussi pu être absorbées sans trop de dommage au capital des banques, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas durant la grande crise financière de 2008", conclut Stéphane Monier.
De son côté, Christophe Nijdam se montre inquiet. Les grandes banques européennes (qui ont des activités de banques d’affaires) sont "toutes systémiques". "Le risque de faillites en chaîne se propage par deux canaux principaux : la liquidité et les produits dérivés, qui sont les talons d’Achille des activités de marché des banques d’affaires. Si la Banque centrale européenne n’avait pas injecté 1 850 milliards d’euros de liquidités en trois tranches au travers de son programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP), les banques repartaient au tapis…", conclut l’expert bancaire.