Deutsche Bank chute en Bourse. N’y a-t-il vraiment pas lieu de s’inquiéter ?
Les analystes se montrent plutôt rassurants par rapport à la chute des valeurs bancaires ce vendredi. Même s’ils font une différence entre l’Europe et les États-Unis. Analyse.
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Publié le 24-03-2023 à 19h34
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On a assisté à un nouveau vendredi noir pour les valeurs bancaires, une des plus fortes baisses en Europe étant enregistrées par Deutsche Bank (qui a perdu jusqu’à 13 % pour clôturer sur une baisse de 8,5 %). La chute fut si brutale qu’elle a même obligé le Chancelier allemand Olaf Scholz à tenir des propos rassurants en marge du sommet européen qui se tenait à Bruxelles. “Il n’y a pas lieu de s’inquiéter” a-t-il déclaré. N’y a-t-il vraiment pas lieu de s’inquiéter ?
1. Pourquoi les valeurs bancaires sont à nouveau en baisse ?
Difficile d’avoir une explication spécifique sur la chute de Deutsche Bank. Frank Vranken, Chief Investment Officer (CIE) à la Banque Edmond de Rothschild (Europe), souligne que les banques visées sont surtout celles qui ont commis des erreurs de gestion, ou aussi celles qui ont des fonds propres moins solides.
Le marché fait aussi le rapprochement avec la déroute du Credit Suisse. Les deux géants bancaires ont en effet quelques similitudes ; ils ont tous deux voulu rivaliser avec les grands noms anglo-saxons de la banque d’affaires, sans que ce soit couronné de succès.
Cette inquiétude se traduit aussi pour Deutsche Bank par une remontée du credit default swap (NdlR : c’est-à-dire la prime payée pour se couvrir contre l’éventuelle défaillance d’une banque) à son plus haut niveau depuis 2019.
2. Y a-t-il des craintes de faillite bancaire ?
Les investisseurs sont sur les dents depuis la faillite de la banque américaine SVB (Silicon Valley Bank) annoncée le 10 mars dernier, et suivie deux jours plus tard par la faillite de la Signature Bank basée à New York. Comme on le sait, SVB a été confrontée à des retraits massifs qui l’ont mise en difficulté vu la chute de la valeur de ses actifs (des obligations du Trésor américain) consécutive à la hausse des taux d’intérêt.
Étant donné que toutes les institutions financières ont des actifs comme les bons du Trésor dans leurs bilans, “le risque systémique pour le système financier provient de la possibilité que les déposants tentent de retirer leurs fonds en masse, obligeant les institutions financières à vendre ces actifs et à réaliser leurs pertes. La crise de liquidité se muerait en un problème de solvabilité, avec un potentiel de contagion financière”, souligne l’analyste de JP Morgan Asset Management.
3. Doit-on craindre un scénario comme en 2008 ?
”On assiste à une correction des cours après la forte hausse des valeurs bancaires à la fin de l’année dernière. Je ne crains pas de revivre un scénario comme en 2008”, nous explique un banquier qui a vécu la crise de 2008 en première ligne.
Pour lui, “les différences sont énormes” par rapport à la crise qui a mené à la chute d’institutions comme Fortis ou Dexia. “À taille de bilan égal, la couverture en termes de fonds propres est deux à trois fois plus importante aujourd’hui”, poursuit le banquier. Et de faire remarquer que si les cours dégringolent, c’est d’abord parce que les investisseurs anticipent une baisse de la rentabilité des banques. Il y a en effet une forte chance que les secousses vécues ces dernières semaines vont pousser les régulateurs à resserrer la vis. Ce qui aura pour effet de rendre le financement de l’économie plus cher. De quoi aussi relancer les craintes de ralentissement économique, voire de récession.
Frank Vranken précise que les circonstances sont plus rassurantes dans la zone euro compte tenu des mesures prises après 2008. Le secteur bancaire américain semble, lui, un peu plus fragile à cause du relâchement des normes régulatoires des banques intermédiaires décidé du temps de l’ex-président Donald Trump.
Analyse également assez rassurante du côté de la banque suisse Lombard Odier. “Les banques disposent de réserves de capitaux plus importantes, en particulier les grandes banques, pour lesquelles les exigences en matière de fonds propres ont été considérablement relevées après la crise financière mondiale. La réglementation a été renforcée et les régulateurs ont tiré des enseignements sur l’importance d’une action rapide et décisive. De portée mondiale et de nature complexe, l’accord entre UBS et Credit Suisse a ainsi été décidé en un week-end”, analyse Stéphane Monier, CIO chez Lombard Odier.
”Le Trésor américain, la Fed et la Federal Deposit Insurance Corporation ont rapidement garanti tous les dépôts dans les banques américaines en faillite et offert à l’ensemble des banques une facilité de prêt couverte par des actifs valorisés à la valeur nominale, ce qui signifie que tout prêteur ayant besoin de liquidités n’aurait pas à éroder son capital en vendant des titres à perte. Il y a quinze ans, puis à nouveau pendant la crise de la dette souveraine européenne, les régulateurs ont imposé des décotes sur les actifs détenus par les institutions souhaitant accéder aux plans de sauvetage. L’autre différence notable par rapport à 2008 est que les indicateurs de 'crise', tels que les conditions de prêt interbancaire, restent relativement sains et que, pour la plupart des banques, les spreads des Credit Default Swaps – se sont écartés, mais pas à des niveaux indiquant que les marchés anticipent un problème plus profond, souligne-t-il encore.
4. Quels sont les enjeux à venir pour les autorités ?
Lors du sommet de la zone euro ce vendredi à Bruxelles, le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a reconnu que les travaux pour rendre le secteur bancaire plus solide restent inachevés.
“Les mesures prises ces dernières années ont renforcé la résilience de nos banques, et il faut poursuivre cette approche […] Il est temps de mettre en œuvre les prochaines étapes, décidées l’été dernier par l’Eurogroupe. J’attends de la Commission qu’elle avance bientôt des propositions”, a commenté de son côté le président de l’Eurogroupe, Paschal Donohoe. Ce regain d’attention pour la santé des banques est l’occasion de donner un coup d’accélérateur à l’achèvement de l’Union bancaire, a-t-il espéré. L’Irlandais pointe plus particulièrement l’idée de “renforcer les systèmes de garantie des dépôts”, actuellement gérés au niveau national. La création d’un système unifié européen d’assurance des dépôts, qui stabiliserait davantage les banques en cas de crise, est dans les cartons depuis plusieurs années mais est freinée par les réticences allemandes et de pays du Nord.