Taxer les transactions financières : l'idée qui pourrait rapporter gros et qui refait surface ?
Une étude révèle qu’un tel dispositif pourrait rapporter de 162 à 270 milliards d’euros par an, selon le taux retenu. Mais son application à l’échelle européenne en est toujours au stade de l’intention.
Publié le 15-05-2023 à 16h24 - Mis à jour le 15-05-2023 à 16h53
:focal(1995x1005:2005x995)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/CUIHNQ7NKNG27BIFISHI4YQS54.jpg)
C’est une revenante. Alors que les États sortent considérablement endettés de la pandémie, que les besoins de financements, que ce soit pour lutter contre le changement climatique ou contre la pauvreté, sont colossaux, l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (TTF) à grande échelle pourrait aider à résoudre cette équation. Ce dispositif, d’abord imaginé par Keynes et développée par Tobin, existe déjà dans une trentaine de pays, dont la France depuis 2012.
L’idée d’en créer une à l’échelle européenne ressurgit dans l’hémicycle du Parlement européen, qui la cite, dans une résolution adoptée mercredi dernier, parmi les nouvelles sources possibles de revenus dans le budget européen. Les eurodéputés avaient déjà, en février, “invité instamment, la Commission et les États membres participant aux négociations sur la coopération renforcée à tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord sur la taxe sur les transactions financières avant la fin du mois de juin 2023. L’intention n’est pas nouvelle : un projet de directive pour une TTF européenne dort dans les cartons de la Commission depuis septembre 2011.
Jusqu’à 400 milliards
Le contexte pourrait être favorable ces prochaines semaines, les promoteurs d’une taxe Tobin voyant une fenêtre politique dans le sommet sur le nouveau pacte financier qui se tiendra à Paris les 22 et 23 juin. “Un pas vers une taxe internationale sur les transactions financières serait une première historique, un véritable succès pour le sommet d’Emmanuel Macron et Narendra Modi, mais surtout une conquête inestimable pour les pays les plus touchés par le changement climatique, qui en sont souvent les moins responsables”, plaide par exemple Friederike Röder, vice-présidente de l’ONG Global Citizen.
Quels montants pourrait-on en attendre ? Une étude, réalisée par l’économiste Gunther Capelle-Blancard, professeur à Paris-I et rendue publique ce lundi par l’ONG One, apporte des éclaircissements. Elle estime qu’une TTF appliquée aux pays du G20 rapporterait 162 milliards d’euros par an, avec un taux nominal de 0,3 % (le taux choisi en France), et 270 milliards, avec un taux de 0,5 % (le taux choisi au Royaume-Uni). En élargissant cette taxe aux transactions intra-journalières et au trading à haute fréquence, plus de 400 milliards pourraient être récupérés. “Cela représente plus du double du montant total de l’aide au développement dans le monde, qui a atteint 194 milliards d’euros en 2022”, compare Maé Kurkjian, responsable plaidoyer de One. Et de calculer que cela permettrait de largement “tenir l’engagement de mobiliser 100 milliards de dollars annuels en financement climat pour les pays pauvres et atteindre l’engagement collectif d’allouer 0,7 % du revenu national brut des pays riches à l’aide au développement.”
Quand il avait été esquissé il y a plus de dix ans, le projet européen (le taux envisagé était de 0,1 %) avait été chiffré à près de 60 milliards d’euros par an. La réactualisation du rendement avec le nombre actuel de transactions n’a pas été faite par le rapport. Gunther Capelle-Blancard explique : “Le projet européen est excellent, mais il est très ambitieux. Il existe une grande incertitude sur les recettes, car la situation sur les marchés est bien moins transparente qu’au début des années 2000. Mais il est sûr que les transactions ont depuis augmenté”. Tout dépend aussi de l’assiette et de la manière dont cette taxe serait construite.
”Un bon impôt” ?
L’économiste s’appuie aussi sur les effets constatés dans les pays qui ont choisi de mettre en œuvre cette taxe pour contrecarrer certaines des nombreuses critiques régulièrement avancées. “Les études empiriques montrent qu’en pratique, l’effet de la TTF est modeste : les volumes de transactions diminuent certes un peu lors de l’introduction, mais il y a très peu d’effet sur la liquidité ou sur la volatilité des marchés”, explique-t-il, considérant que “loin de la caricature qui en est souvent faite, la TTF a les atouts pour être un bon impôt”. Il s’agit en effet d’“une taxe avec une assiette large et un taux faible qui n’engendre pas de distorsions, rapporte des revenus élevés moyennant un coût de collecte modique et a un fort caractère redistributif”.
En France, le Parlement avait voté en 2016 son extension aux transactions intra-journalières. Une décision sur laquelle Emmanuel Macron était revenu sitôt élu à la présidence de la République, invoquant notamment le Brexit. Il s’en était expliqué dans un entretien à Ouest-France : “au niveau européen, j’ai dit que j’irai au bout. […] Je veux la TTF. Je veux une TTF qui s’applique dans un espace cohérent, qui ait un sens et qui soit efficace”. C’était il y a presque six ans.
Par Anne-Sophie Lechevallier
Et en Belgique ?
En Belgique, il existe plusieurs taxes sur les opérations boursières mais non harmonisées et à l'application moins large. “La taxe Tobin cible toutes les transactions, avec un très petit taux. La taxe sur les opérations boursières se limite à une taxe lors d’achat ou de vente d’actifs boursiers”, précise l’économiste Bruno Colmant. La Taxe Tobin peut par exemple prélever un petit montant sur les opérations de change et autres transactions. Elle a également pour but de décourager les spéculations excessives et ce au niveau international. Une taxe Tobin - qui comporte de toute façon une dimension internationale - n'est donc pas appliquée au niveau national en Belgique. (A. Msc.)