`Pompiers et policiers crient à l'aide´

PHILIPPE LAWSON

ENTRETIEN

Médecin urgentiste à Liège, Lucien Bodson est membre de la cellule de crise povinciale chargée de la révision de tous les plans catastrophe de la province de Liège. Il juge sévèrement le dispositif belge.

Le dispositif Seveso belge est si lacunaire que ça?

Notre dispositif Seveso est nettement insuffisant. La coordination des différentes disciplines intervenant dans la gestion d'une situation d'exception est une chose essentielle, au même titre que la communication. Ces deux qualités nous font défaut. Le constat est souvent fait lors d'exercices ou en situation réelle de petite crise. Nous n'avons pas les moyens techniques modernes qui nous permettent d'optimiser le matériel de communication. Par ailleurs, si on a une technique idéale, mais que l'individu ne sait pas bien parler ou communiquer, et bien la coordination ne se fait pas. On va maintenant, sur décision de nos ministres vers l'installation du réseau Astrid qui nous donnera la possibilité d'avoir une technologie de pointe en matière de communication.

Un constat inquiétant?

Absolument. A chaque catastrophe que j'ai connue, on a vraiment un problème technique de communication et il y a des délais d'intervention inacceptables dus au fait qu'on ne parvient pas à entrer en contact avec la bonne personne, au bon endroit et au bon moment. On l'a vu à New York. Les pompiers parlaient sur leur longueur d'onde et les policiers sur la leur. S'il n'y a pas de pont entre les deux disciplines, cela crée de mauvaises décisions, un retard dans la décision et une mauvaise coordination. Il a été mis en évidence par les Américains que lors des attentats du 11 septembre, une vingtaine de minutes avant que les tours ne s'éffondrent, les policiers avaient des informations qui auraient permis d'accélérer l'évacuation des pompiers s'ils avaient pu communiquer entre eux. Malheureusement, il n'y avait pas de pont entre police et pompiers et cela a coûté la vie à plusieurs dizaines de pompiers.

Il n'y a pas que la technique?

Il y a aussi le manque de formation et d'exercices du personnel de chaque discipline. Prenons le cas de la police. Lors des derniers exercices Seveso que nous avons réalisés, on s'est retrouvé avec seulement quelques équipes de policiers, censés parcourir les rues du quartier pour informer la population. On ne fait pas assez d'exercices en Belgique, parce que cela coûte cher. Il faut assurer le service normal pendant l'exercice et on ne sait pas mobiliser 5 camions de pompiers, 3 combis de police et le personnel ad hoc parce qu'on doit les payer pour faire l'exercice et cela coûte cher.

Quelles sont les régions les plus touchées par les lacunes?

Toutes les régions sont logées à la même enseigne. Quand nous nous retrouvons entre urgentistes ou entre pompiers de différentes provinces, tout le monde a le même discours: trop peu de moyen et trop peu d'exercices. Lors des rares exercices, on a une très bonne collaboration de la part des entreprises qui ne demandent pas mieux que d'apprendre à affiner davantage leurs plans catastrophe. Ceux-ci sont beaucoup trop sophistiqués, mis sous clé dans des armoires et que personne ne connaît, sauf deux ou trois responsables. Ce sont des bottins de téléphone inadaptés notamment chez Chimac Agriphar à Seraing, le temps de les lire, on est déjà à la prochaine catastrophe. Il faut simplifier les plans en coordination avec les pompiers, les médecins, les forces de policiers et la protection civile, mais on est loin du compte. A Toulouse, il y a 30 Smur (Service médical d'urgence) qui ont été dépêchés sur place, c'est plus que la moitié des Smur belges. Et encore, ils ont été débordés, malgré la bonne coordination et le matériel adéquat. Une catastrophe comme à Toulouse, le bilan serait largement plus lourd chez nous.

© La Libre Belgique 2002

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