Turcs écartelés entre deux nationalités

La communauté turque en Allemagne, la plus importante en Europe occidentale avec deux millions de personnes, est en émoi: 50000 Turcs, qui avaient acquis la nationalité allemande, vont devoir rendre le passeport du pays hôte et entamer une nouvelle fois la procédure de naturalisation. Raison: ils ont conservé ou redemandé la citoyenneté turque; ce qui est illégal.

MARCEL LINDEN

CORRESPONDANT EN ALLEMAGNE

La communauté turque en Allemagne, la plus importante en Europe occidentale avec deux millions de personnes, est en émoi: 50000 Turcs, qui avaient acquis la nationalité allemande, vont devoir rendre le passeport du pays hôte et entamer une nouvelle fois la procédure de naturalisation. Raison: ils ont conservé ou redemandé la citoyenneté turque; ce qui est illégal.

La question du double passeport est le principal sujet de conversation dans les cafés et les «döner» (mini-restaurants) turcs. Le ministère de l'Intérieur de Berlin confirme que 48000 Turcs d'origine ont de nouveau perdu la nationalité allemande. Ce n'est que maintenant que l'opinion apprend cette situation fâcheuse.

Avant 2000, les autorités allemandes toléraient le double passeport: beaucoup de Turcs naturalisés Allemands avaient conservé la citoyenneté d'origine entre autres pour éviter des complications en Turquie en cas d'héritage foncier. A peine arrivés au pouvoir en 1998, les Verts, adeptes de la société multiculturelle, voulurent légaliser cet état de fait.

Or, le Bundesrat, dominé par la CDU-CSU, rejeta le texte. Et comme le ministre social-démocrate de l'Intérieur, Otto Schily, était d'accord avec la droite, la loi sur l'immigration de janvier 2000 finit par interdire complètement la double nationalité; ceux qui obtinrent de nouveau la citoyenneté turque perdirent ipso facto l'allemande. Cela, chaque Turc vivant en Allemagne le savait très bien.

Permis de séjour illimité

Comment expliquer alors que 48000 Turcs l'ont ignoré? Hakki Keskin, président de la «Türkische Gemeinde» (communauté turque) en Allemagne, donne l'interprétation suivante: pendant les années 1998-99, des milliers de Turcs avec passeport allemand avaient prié les autorités turques de leur établir parallèlement un passeport turc en espérant que la loi en préparation légaliserait la situation.

Mais, la lenteur de la bureaucratie turque, poursuit M. Keskin, fit en sorte que ceux-ci n'obtinrent le passeport turc qu'après l'entrée en vigueur de la loi de 2000 opposée au double passeport. Pour s'en sortir, il réclame pour les fautifs un régime de transition jusqu'en 2006. Entre-temps, Ankara a promis à Berlin de renoncer à la pratique cavalière d'accorder à l'insu des autorités allemandes un passeport à ses ex-ressortissants.

La présidente de la commission de l'intérieur du Bundestag, la social-démocrate Cornelie Sonntag-Wolgast, demande de trouver une «solution rapide, claire et humaine». Elle concède qu'ils ont perdu la nationalité allemande et qu'il n'y aura pas d'amnistie en leur faveur, mais elle recommande de leur accorder un permis de séjour illimité et de les exempter du test linguistique désormais obligatoire pour l'obtention de la citoyenneté. «Sinon ils devraient recommencer à zéro », remarque-t-elle.

Sur ce point, Otto Schily n'est pas du tout d'accord. «Il est curieux que des personnes ayant contourné la loi puissent bénéficier d'une procédure privilégiée», s'étonne son porte-parole.

Le journal «Frankfurter Allgemeine» parle d'un «double jeu» et avertit que l'Allemagne risque de se ridiculiser, si elle ne peut pas être sûre que les nouveaux citoyens veulent être Allemands et rien d'autre.

© La Libre Belgique 2005

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