L'orthodoxie russe prête au dialogue

Le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad était à Bruxelles, jeudi. «La Libre» a rencontré le promoteur du «dialogue du coeur» avec l'Europe. Président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad est passé par Bruxelles pour présenter son livre «L'Evangile et la liberté»

CHRISTIAN LAPORTE
L'orthodoxie russe prête au dialogue
©Johanna de Tessières

ENTRETIEN

Président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad est passé par Bruxelles pour présenter son livre «L'Evangile et la liberté» (1). Un plaidoyer pour un rapprochement entre les orthodoxes et l'Europe, celle des religions mais aussi l'Europe politique et des citoyens. L'occasion de faire le point sur ce combat et sur la place de l'Eglise en Russie.

Les écrits de responsables orthodoxes russes sont peu traduits et les visites de hiérarques rares. Votre visite était donc importante?

Le but du livre et de ma venue à Bruxelles est d'inviter les intellectuels occidentaux à réfléchir avec nous au sens des valeurs traditionnelles dont celles des religions. Chez vous, certains disent que le débat est clos puisqu'il y a eu unanimité sur leur définition. Mais ni l'Orient chrétien, ni les musulmans ni les juifs traditionnels n'y ont pris part. L'on pourrait dire la même chose de la déclaration universelle des droits de l'homme de l'Onu: l'Union soviétique en fut partie prenante mais cela s'inscrivait dans un rapport de forces politique. Des frontières politiques rigides et une coopération économique avec l'Occident l'intéressaient mais les valeurs propres à la Russie en ont été écartées. C'était la contrepartie exigée. Mais les temps ont changé: sous Staline, personne n'aurait osé imaginer que les citoyens russes bénéficieraient aussi un jour de ces droits. Après ces décennies de silence, il était temps de réhabiliter aussi l'héritage religieux russe que les marxistes avaient totalement refoulé.

Cela ne s'est pas fait du jour au lendemain après l'écroulement de l'Union...

...Non, le vrai déclic est venu d'un article que j'ai publié en mai 1999 dans le «Journal indépendant». A partir de là, j'ai estimé qu'il fallait élargir ce débat et je suis très reconnaissant au Cerf d'avoir réuni mes textes et de les proposer aux lecteurs occidentaux.

Peut-on dire que l'Eglise orthodoxe a retrouvé toute sa place en Russie?

Non, car même par rapport à un pays aussi sécularisé que la France, il reste encore beaucoup de vides. Il n'y a pas encore d'aumôniers à l'armée; l'enseignement de la religion n'est toujours pas reconnu. J'admets que cette matière devrait être facultative mais en même temps, quelle richesse si l'on pouvait aussi expliquer les fondements des autres religions! Par ailleurs, nous n'avons aucun soutien public pour nos initiatives sociales et pas de biens immobiliers. L'on me rétorquera que nous pouvons recevoir des dons mais là encore, les lois nous mettent des bâtons dans les roues!

Mais Vladimir Poutine semble pourtant favorable au retour de la religion...

Ce ne sont pas les autorités politiques, ni même religieuses qui sont à la base de ce renversement, c'est le peuple russe! On a voulu lui imposer une société basée sur la jouissance matérielle dont il ne voulait pas. Toutes les ressources - les technologies, l'éducation, le sport, l'armée, la police... - ont été mises à sa disposition mais sans succès puisque quatre générations y ont été sacrifiées.... L'URSS n'a pu atteindre son objectif et le désenchantement a vite suivi: on n'a plus cru que le royaume des cieux pouvait être construit sur terre. Quant à Poutine, on ne peut nier qu'il a sorti le pays du chaos et qu'il a rétabli un certain ordre, réduisant les risques d'une nouvelle tragédie nationale... Les relations avec l'Eglise s'améliorent et c'est tant mieux pour le dialogue et la coopération mais...

Pour en venir au dialogue oecuménique, Jean-Paul II aurait tant voulu aller à Moscou...

La situation s'améliore considérablement avec l'Eglise catholique. Benoît XVI a dit d'emblée que les relations avec les orthodoxes étaient une de ses priorités. Personnellement, j'ai déjà rencontré le nouveau Pape deux fois. Ce rapprochement est absolument essentiel pour la défense des valeurs chrétiennes en Europe. Le dialogue est sur les rails comme l'a montré une rencontre, le mois dernier, entre intellectuels et responsables à Vienne.

Vous insistez beaucoup sur le combat commun face à un certain nombre de législations...

...Oui, des lois en matière de morale ou d'éthique qui vont à l'encontre de toutes les traditions religieuses. C'est pourquoi, non seulement les chrétiens mais aussi les musulmans et les juifs devraient agir à nos côtés. Le problème est que les citoyens sont soumis à une double loyauté: celle à leurs autorités civiles et celle de leur propre foi. Ces contradictions existaient en URSS mais le régime a fini par s'écrouler...

© La Libre Belgique 2006


(1) Le P. Deleclos reviendra sur le livre dans une de ses chroniques. L'ouvrage est paru au Cerf. 242 pp, environ 20 €

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