Deux gamins carbonisés...
...et la France s'embrase. C'était le 27 octobre 2005 en fin d'après-midi à Clichy-sous-Bois, en banlieue de Paris. Dans une zone pavillonnaire, en contrebas d'un cimetière, trois adolescents se jugeant pourchassés par la police franchissent un grillage et se réfugient dans l'enceinte d'un transformateur EDF. Zyed et Bouna y périssent carbonisés. Muhittin survit miraculeusement.
Publié le 26-10-2006 à 00h00
:focal(99x73:109x63)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/QTKIYDIZ7ZGDJGC5DHPAPTV6ZM.jpg)
C'était le 27 octobre 2005 en fin d'après-midi à Clichy-sous-Bois, ville de 30 000 âmes en banlieue de Paris : 40 pc de ses habitants ont moins de 20 ans, un quart de la population est sans emploi. Dans une zone pavillonnaire comme il y en a tant en région parisienne, en contrebas d'un cimetière, trois adolescents de 15 à 17 ans se jugeant pourchassés par la police franchissent un grillage et se réfugient dans l'enceinte d'un transformateur EDF. Zyed et Bouna y périssent carbonisés. Muhittin est conduit à l'hôpital dans un état désespéré, mais survit miraculeusement.
Le soir même, à la télé, le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy défend ses policiers et présente implicitement les trois victimes comme des délinquants, ce que l'enquête démentira. Clichy est commotionnée. Les premiers incidents éclatent. Le lieu-dit "La vallée des anges", artère glauque entre deux barres de HLM, est le théâtre de violents affrontements entre émeutiers et forces de l'ordre. Un gymnase est entièrement mis à sac. La mairie est dégradée. Des tirs de gaz lacrymogènes à proximité de la mosquée Bilal, située dans la cité sensible des Bosquets à Montfermeil, achèvent de décupler la colère et l'incompréhension des banlieusards.
10 000 voitures brûlées
En quelques soirs, les troubles se propagent aux cités voisines, se cantonnent d'abord au "9-3" (le département réputé chaud de la Seine-Saint-Denis), puis gagnent la plupart de la banlieue parisienne et enfin l'ensemble du pays, y compris des zones rurales et des villes de province traditionnellement calmes.
La flambée prend des proportions effarantes. Des scènes de guérilla urbaine passent sur toutes les télés du monde. CNN compare la France à l'Irak. Une femme handicapée manque de mourir dans un bus incendié. Pompiers et journalistes sont caillassés. Pendant plusieurs jours, le Président Chirac, muet, se terre à l'Elysée. Nicolas Sarkozy promet de passer les banlieues au pour en extirper "la racaille". Même au sein du gouvernement, sa "sémantique guerrière" provoque des tensions. Des villes instaurent ponctuellement un couvre-feu pour les mineurs, puis le gouvernement à son tour autorise une trentaine de villes dans 25 départements à y recourir. Même en mai 1968, la France n'avait pas été contrainte à ainsi décréter l'état d'urgence.
Cette mesure d'exception ne sera que peu appliquée sur le terrain. Mais au plus fort de la crise, plus de 12 000 hommes seront nécessaires pour venir à bout des émeutiers. Et il faudra trois semaines avant que les violences urbaines cessent.
Au total, selon les derniers bilans, elles ont coûté 160 millions d'euros aux assureurs. Ont entraîné la destruction de près de 300 bâtiments, d'une vingtaine de bus ou de rames de train, et de plus de 10 000 voitures. Et ont donné lieu au placement en garde à vue de 3 100 personnes et au jugement de près de la moitié d'entre elles.
Un an après, les événements déclencheurs de Clichy-sous-Bois, pour leur part, restent peu clairs. La Commission nationale de déontologie de la sécurité a publié un rapport dénonçant la manière dont le rescapé a été interrogé : moins en victime qu'en délinquant. Une information judiciaire pour non-assistance à personne en danger a été ouverte : les avocats des adolescents jugent que les policiers ont au mieux omis de porter secours au trio, au pire l'ont sciemment poussé vers le transformateur et donc vers la mort. Jeudi, on a appris que onze policiers présents au moment du drame étaient convoqués les 20 et 21 novembre prochains par le doyen des juges d'instruction de Bobigny, pour une possible mise en examen. De nombreux éléments, en effet, y compris les bandes des échanges radio entre policiers, semblent infirmer la thèse initiale de Nicolas Sarkozy selon laquelle les trois jeunes n'étaient pas pris en chasse.
© La Libre Belgique 2006
Marche à Clichy en mémoire des deux jeunes Plusieurs centaines de personnes ont commencé à défiler ce vendredi matin à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) afin de rendre hommage à la mémoire de Zyed Benna et Bouna Traoré, les deux jeunes électrocutés il y a un an jour pour jour, alors qu'ils s'étaient réfugiés dans un transformateur électrique au cours d'une poursuite avec des policiers. Un an après vendredi matin, les habitants de Clichy, dont beaucoup de jeunes des cités de la ville, mais également des personnes venues de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) et même de Sartrouville (Yvelines), ont quitté la place de la mairie peu avant 10h pour une marche silencieuse. Derrière une banderole sur laquelle on peut lire sous forme de tag "Morts pour rien", les membres des familles des deux jeunes décédés ont pris la tête du cortège qui doit faire le tour de la ville avant qu'une stèle à la mémoire de Zyed Benna et Bouna Traoré ne soit dévoilée à proximité de la mairie en fin de matinée. C'est l'association "Au-delà des mots", créée par des jeunes de Clichy juste après la mort de deux d'entre eux, qui a organisé l'évènement. Ils sont d'ailleurs nombreux à porter les T-shirt blancs distribués par l'association et sur lesquels on peut lire en noir les noms de Zyed et Bouna, avec ce commentaire: "Morts pour rien".