L'hystérie des sondages

A un mois du premier tour, zoom sur une des grandes caractéristiques de la campagne de 2007 : l'omniprésence des sondages. On a enfin compris qu'ils n'étaient pas des prédictions. Ce qui n'empêche pas les dérives. Et donc les débats. Paris libre, le blog des correspondants de La Libre à Paris

BERNARD DELATTRE, CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
L'hystérie des sondages
©AP

Rarement campagne présidentielle aura été autant marquée par les sondages. Les instituts assurent qu'en 2002, il y en avait autant : en gros, 800 l'an à raison de deux par jour, en ce moment. Mais ils conviennent qu'en 2007, on en parle beaucoup plus qu'il y a cinq ans. Ce qui n'est pas dénué de risques pour les sondeurs, dans un pays où à chaque présidentielle de la Ve République, ils se sont trompés sauf à deux scrutins joués d'avance : l'élection de de Gaulle en 1965 et la réélection de Mitterrand en 1988.

En 2007, "les deux principaux candidats se sont d'ailleurs construits avec les sondages", reconnaît Jérôme Sainte-Marie, directeur de BVA Opinion. Les budgets des partis consacrés aux enquêtes d'opinion ont flambé : à raison de 1 000 euros la question pour un sondage quantitatif et 45 000 euros l'enquête qualitative, cela donnerait un budget sondages minimal de 150 000 euros pour François Bayrou et de 300 000 à 500 000 euros pour Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.

Des rappels à l'ordre

Cette hystérie sondagière fait grincer des dents. A plusieurs reprises lors de cette campagne, la Commission des sondages a adressé des remontrances à des instituts pris en flagrant délit d'échantillons de sondés trop réduits ou de redressements d'intentions de vote acrobatiques.

Certaines options des sondeurs ont aussi été fustigées. Ainsi, le PS s'est insurgé lorsqu'un institut comme la Sofres testa, à la place de Ségolène Royal, François Bayrou au second tour alors que tous les sondages sur ce premier tour montraient qu'il ne la dépasserait pas. Et on ne parle pas des aberrations méthodologiques des sondages effectués au lance-pierres par des journaux sur leur site Internet. Ou de la controverse sur le nombre croissant de sondés (30 pc, dit-on) qui refuseraient désormais de répondre aux sondeurs ou qui n'ayant plus de téléphone fixe mais uniquement un portable, ne seraient plus "sondables" - deux problèmes que les instituts démentent ou minimisent.

Autre écueil : le vote Le Pen que l'on sait sous-déclaré par les sondés, sans que cela ait incité les médias à la prudence dans leurs commentaires.

Plus neuf : le fait que les électeurs se décident de plus en plus à la dernière minute. Jamais depuis 1981 le nombre d'indécis (un électeur sur quatre) n'a été aussi élevé. Selon Frédéric Dabi, du département opinion publique de l'Ifop, "d'un point de vue socio-démographique, on observe une indécision plus forte chez les catégories éprouvant traditionnellement moins d'intérêt pour la politique" : jeunes, milieux populaires, etc. Ce taux d'indécision historiquement haut n'a cependant pas non plus incité les médias à faire preuve de prudence. Alors pourtant qu'un candidat comme François Bayrou a un taux d'électeurs pas encore totalement décidés (62 pc) trois fois plus élevé que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. D'où la grande friabilité de son statut de "troisième homme".

Une énième humiliation ?

Si les médias français semblent globalement enfin avoir compris que les sondages ne sont que des instantanés d'une opinion à un moment donné et n'ont donc aucune valeur prédictive, ils ne l'ont pas systématiquement rappelé à leur public. Tout comme a été peu soulignée la règle sondagière pourtant de base selon laquelle plus on se rapproche du rapport 50/50 entre deux candidats testés au second tour (ce qui a longtemps été le rapport de forces entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal), plus l'écart séparant ces candidats s'inscrit dans la marge d'erreur et donc moins les résultats chiffrés donnés ont de la pertinence.

Les sondeurs ne portent dès lors qu'une partie de la responsabilité dans l'hystérie sondagière, par définition peu nuancée, du moment.

Cela n'empêchera cependant pas qu'ils se voient prioritairement demander des comptes s'ils subissent une nouvelle et énième humiliation les soirs de scrutin.

© La Libre Belgique 2007

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...