"Un succès mais à quel prix..."

Professeur en Relations internationales de l'Université de Gand, Rik Coolsaet a participé au mois de mars, à l'initiative du Centre national de coopération au développement (CNCD), à une mission de la société civile belge dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et en Israël.

Gérald Papy
"Un succès mais à quel prix..."
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Professeur en Relations internationales de l'Université de Gand, Rik Coolsaet a participé au mois de mars, à l'initiative du Centre national de coopération au développement (CNCD), à une mission de la société civile belge dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et en Israël.

Le CNCD-11.11.11 a lancé en Belgique une campagne sur le thème "60 ans de dépossession, 40 ans d'occupation".

Rik Coolsaet livre son analyse sur soixante ans d'existence de l'Etat d'Israël mais aussi sur la paralysie du processus qui devrait aboutir à la création d'un Etat palestinien à ses côtés.

Soixante ans après sa création, le bilan d'Israël se solde-t-il par une réussite ou par un échec ?

D'un côté, c'est un succès puisqu'enfin, le peuple juif a pu retrouver une patrie. Mais en même temps, le prix payé pour cela est tel que l'on peut parler d'une catastrophe pour tout le monde. Parmi ceux qui ont été à l'origine de la création de l'Etat d'Israël, certains avaient exprimé la crainte d'une guerre sans fin. Ils ont eu raison. Cette guerre sans fin a coûté la vie à des dizaines de milliers d'Israéliens et à un nombre inconnu mais supérieur de morts palestiniens. Et l'on constate aussi, en discutant avec les Israéliens, la crainte perpétuelle que, sous couvert de sécurité, ils perdent, ce qui est essentiel pour eux, le régime démocratique.

En voyez-vous déjà des indices ?

Le sentiment qu'ont exprimé certains Israéliens avec lesquels nous avons discuté est que la politique n'est pas en fait l'affaire des politiciens mais des militaires. Et que sous le couvert d'une politique qui tend à renforcer la sécurité de l'Etat d'Israël, ce sont en fait les généraux d'état-major qui dirigent le pays, ce qui est le contraire d'une démocratie.

Depuis la célébration du 50e anniversaire d'Israël, avez-vous l'impression que la méfiance entre Israéliens et Palestiniens a grandi ?

Ce qui a été perdu depuis une dizaine d'années, c'est ce véritable désir d'une paix avec des concessions mutuelles. Arafat et Rabin avaient été sur le point de faire une démarche historique pour dépasser l'hostilité créée en 1948. Du côté israélien, ce désir d'une paix réciproque a été remplacé par une politique unilatérale basée sur la supériorité économique et militaire. Ce que les Israéliens sous-estiment, c'est l'humiliation quotidienne que les Palestiniens ressentent par rapport à l'occupation. Ce qui a surtout changé, c'est cette perte d'espoir en une solution négociée.

Ne pensez-vous tout de même pas que pour les Israéliens, la sécurité de l'Etat passe par des concessions aux Palestiniens ?

Non. C'est mon impression.

Avec la politique d'encerclement de la Bande de Gaza et d'une partie de la Cisjordanie, Israël compte sur la division de l'adversaire palestinien. Division qui les arrange et qui en définitive, est, à leurs yeux, supportable à long terme.

Le maintien des Palestiniens dans cette situation humanitaire, économique et sécuritaire très dure peut-il mener à une explosion sociale sans précédent ? Ou le phénomène pourra-t-il être contenu par les partis islamistes et nationalistes ?

C'est ma grande crainte. On a longtemps refusé de négocier avec l'OLP, parce qu'on la considérait comme trop extrémiste. Une fois qu'on a négocié avec elle, on n'a pas voulu le faire avec le Hamas, parce qu'on l'a jugé extrémiste. Maintenant, le Hamas est dépassé par le Jihad islamique et par des groupuscules jihadistes, devenus très populaires chez les moins de 16 ans, soit la majorité de la population palestinienne, surtout à Gaza. L'impression ressentie pendant cette mission est une tension très commune dans des situations similaires dans le passé, et pas seulement au Moyen-Orient. Il y a d'un côté ce sentiment d'humiliation quotidienne, et de l'autre cette crainte d'une désintégration de la cohésion sociale palestinienne. De moins en moins, les Palestiniens se considèrent comme un seul peuple. Cet effritement de la cohésion sociale est porteur de violences, qu'à un moment donné plus personne ne contrôlera. Violences interpalestiniennes mais aussi violences du type de celles qui ont donné lieu à l'explosion du mur entre la Bande de Gaza et l'Egypte à Rafah.

La responsabilité des pays arabes n'est-elle pas grande dans cette situation, par défaut de solidarité ?

Toute la communauté internationale, y compris les pays arabes, ont fait preuve de beaucoup d'hypocrisie, dès le début. On a employé les Palestiniens; on les a laissés tomber au gré des intérêts du moment. Aussi bien les Etats - Unis, l'Union européenne que les pays arabes ont péché par hypocrisie.

Du courage, les Etats-Unis n'en ont-ils pas manqué pour imposer des concessions aux Israéliens ?

Oui, mais les Etats-Unis ne pourront le faire qu'à condition qu'il y ait un leadership israélien qui ose aussi prendre des risques. Le rôle des Etats-Unis est crucial, puisque c'est le seul pays qui puisse, d'une certaine manière et encore avec des limites, imposer quelque chose à Israël. Mais en même temps, les Américains ont besoin des Européens et de leur légitimité, des pays arabes et de leurs oyens financiers. Ce qui me frappe en parlant avec les Américains ces dernières années, c'est la marginalisation croissante de l'administration vis-à-vis de ce conflit. Les Etats-Unis ne sont plus capables de faire ce qu'ils pouvaient faire il y a 10 ou 15 ans. Ils n'ont plus cet avantage en termes de puissance, de légitimité dans la région, pour imposer une solution.

Pourront-ils la retrouver à court terme ?

Je crains que non. Le poids des Etats-Unis dans la politique mondiale va aller en diminuant, y compris par la montée en puissance d'autres nations comme la Chine, l'Inde, la Russie... Le moment est passé où les Etats-Unis en tant que grande puissance pouvaient dicter le cours à suivre à cette région. La solution pour le drame du Moyen - Orient réside en premier lieu dans le leadership israélien et dans la cohésion palestinienne, mais est devenu une responsabilité de la communauté internationale dans son ensemble.


"Nous sommes ici pour resterLes Israéliens fêtent les 60 ans de la création de leur pays entre bonheur fugace et menaces omniprésentes. Des concertos de Brahms, Tchaïkovski, Chopin et Mahler figurent parmi les dizaines de spectacles et concerts organisés pour célébrer l'anniversaire de la fondation de l'Etat d'Israël en 1948. A l'entrée des salles, les spectateurs devront se plier aux contrôles de sécurité : détecteurs de métal et fouilles des sacs. Car bien que les attentats aient nettement diminué ces dernières années, les Israéliens ne parviennent pas à trouver la sérénité. "Vous savez que tout est temporaire et que la vie peut basculer en un battement de coeur", explique Liat Dimant, 25 ans, qui étudie à l'Université de Tel Aviv. "Si je pensais tout le temps à la situation dans mon pays, je ne resterais probablement pas ici [...] mais j'aime les gens ici, mes amis, ma famille", ajoute-t-elle. Les cafés et les centres commerciaux - autrefois la cible privilégiée des attentats suicide qui ont atteint le chiffre record de 59 en 2002 - sont bondés. Il y a eu un seul attentat suicide en Israël en 2007 et un autre cette année, une diminution sensible qu'Israël attribue aux restrictions sur les déplacements des Palestiniens en Cisjordanie et aux murs et barrières érigés par Israël. Pour Jessica Montell, directrice de l'organisation B'Tselem qui recense ce qu'elle appelle "tous les abus du contrôle israélien sur les Palestiniens", "la célébration des 60 ans a quelque chose d'amer". "Mais lorsque j'aide mes enfants à accrocher les drapeaux de l'Indépendance, je me concentre sur les choses que j'aime en Israël : la richesse et la diversité de la vie culturelle", ajoute-t-elle. "Et évidemment, je suis fière qu'en dépit de la situation difficile sur le plan de la sécurité, de nombreux Israéliens soient impliqués dans des mouvements pour faire avancer la justice sociale, refusant d'accepter qu'Israël soit nécessairement une forteresse militaire où la force a le dernier mot", poursuit-elle. "Je suis sûr que beaucoup de gens dans le monde sont surpris que nous ayons atteint le 60e anniversaire d'Israël", souligne Liat Dimant. "Mais tous ceux qui vivent ici - jeune ou vieux, homme ou femme, de gauche ou de droite - savent que nous sommes ici pour rester." (Reuters)

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