Développement: "La philosophie a changé"
Lundi, Louis Michel s’est réveillé dans la peau d’un commissaire européen et s’est couché dans celle d’un eurodéputé. Le Belge a en effet rendu hier en fin de matinée les clés de son bureau du 13e étage du Berlaymont. Karel De Gucht part le 15 juilletLe blog de nos correspondants européens
Publié le 13-07-2009 à 00h00
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Lundi, Louis Michel s’est réveillé dans la peau d’un commissaire européen et s’est couché dans celle d’un eurodéputé. Le Belge a en effet rendu hier en fin de matinée les clés de son bureau du 13 e étage du Berlaymont avant de prendre la route de Strasbourg pour la séance inaugurale d’un Parlement européen. De son mandat de cinq ans de commissaire au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel tire une grande satisfaction. Celle d’avoir modifié "la philosophie de l’aide au développement qui à mon arrivée était basée sur une approche largement caritative, paternaliste, tiers-mondiste et teintée de méfiance" .
La vision du développement du commissaire Michel a donc été celle "d’un partenariat" avec les pays du Sud "qui doivent prendre la responsabilité des choix qu’ils posent". A titre d’exemple, le Brabançon cite "le doublement de l’aide budgétaire, administrée directement par les Etats, avec bien sûr, des mesures de contrôle. Les Etats ne sont pas en mesure d’absorber l’aide si on ne leur fait pas confiance" .
Le continent noir aura bien entendu été au centre des préoccupations de "Louis l’Africain". "Nous avons établi avec l’Afrique un plan stratégique en huit points qui dépasse les réflexes paternalistes. J’ai introduit la notion de gouvernance, parce que ce dont l’Afrique a besoin, c’est d’Etats consolidés" .
"Il faut lui rendre hommage pour avoir repolitisé le développement, alors que la tendance était à un discours d’expertise et d’une technicité inaudible", reconnaît Olivier Consolo, directeur de la plateforme d’ONG européennes Concord. "De plus, il a contribué à établir un agenda communautaire du développement", alors que les Etats membres avaient tendance à jouer la carte du chacun pour soi, "en faisant valoir que c’était une responsabilité collective et partagée. Enfin, la politique de coopération au développement de l’UE s’est recentrée sur la lutte contre la pauvreté. Cela dit, il y a toujours un gap entre la théorie et la pratique. Les instruments sont là, mais sur le terrain les changements sont assez limités".
Ensuite, Oliver Consolo déplore que Louis Michel ait "poliment ignoré le secteur des ONG pendant cinq ans", ce qu’il considère comme "une faute politique". Pour finir il constate que le Belge "n’est pas parvenu à imposer la question du développement sur les autres politiques européennes.
De son côté, Arnaud Zacharie, secrétaire général du Centre national de coopération au développement loue l’approche "volontariste" du bouillant commissaire. "Il a obtenu un accord des gouvernements sur une augmentation de l’aide jusqu’en 2015. Mais c’est plus un rôle de lobbyiste qu’autre chose. Il faut voir si ces engagements seront respectés."
A la Commission, l’ex- grand manitou du MR n’a pas mis ses convictions libérales sous le boisseau. "Il n’y a pas de développement possible sans développement économique", affirme-t-il notamment. Il a ainsi défendu bec et ongles les Accords de partenariat économique (APE), censés remplacer ceux de Cotonou, que l’UE tente de nouer avec les six régions de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique. "Nous sommes dans un monde global, ce qui peut poser des problèmes si les marchés planétaires ne sont pas encadrés, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces accords sont le seul moyen pour ces pays d’accéder au commerce mondial. Ils peuvent leur apporter ce que le développement ne pourra jamais apporter".
Loin de partager cet avis, Arnaud Zacharie pointe une certaine incohérence entre la défense des APE et la politique développement européenne. "Le credo du libre-échange n’est bon que pour les pays dont le marché intérieur est déjà solide. Il faut refuser les APE pour protéger des industries en pleines croissances".
Enfin, l’ancien ministre des Affaires étrangères a saupoudré sa politique de développement d’une solide pincée de diplomatie. Profitant, reconnaît-il "du désintérêt de certains Etats membres pour l’Afrique", pour s’exprimer au nom de l’Europe. "J’ai fait beaucoup de médiation politique. J’ai un réseau, je connais les chefs d’Etat et de gouvernement. Je pense avoir été utile en République démocratique du Congo, au Tchad, dans la Corne de l’Afrique "
Tout le monde n’en est pas convaincu. S’il loue "le dynamisme" d’"un bon commissaire", l’ancien eurodéputé socialiste Alain Hutchinson est d’avis "qu’en voulant jouer les entremetteurs du monde, notamment en RDC, Michel a voulu interférer dans des conflits qui dépassent sa personnalité et les compétences de l’Union".
Ah tiens, que pense l’ex-commissaire des propos de son successeur, Karel De Gucht, qui espère un portefeuille "important" dans la prochaine Commission? Sous-entendu : pas le développement ? "Il n’y a pas de portefeuille plus important qu’un autre", assure Louis Michel. D’ailleurs, "le développement est devenu une politique majeure." Et d’affirmer dans un accès de modestie, " que c’est à Barroso qu’on le doit" . De toute façon, conclut-il, "les compétences dépendent des hommes qui les portent" .
"La Commission doit être plus politique"Bien que l’exécutif européen ait essuyé des critiques pour son manque de réactivité face à la crise financière et économique ou, plus largement, pour avoir trop rarement dicté le tempo européen, Louis Michel "ne pense pas qu’on puisse reprocher grand-chose à cette Commission" . Selon l’homme de Jodoigne, c’est plutôt "le Conseil, qui dit tout et son contraire" , qui a entravé l’action de l’équipe Barroso. "Les Etats membres nous demandent d’être ambitieux et en même temps, ils cassent les projets de la Commission. Ça a été le cas pour le stockage des réserves énergétiques, la réforme des agences de notations, par exemple. C’est un double langage inacceptable." Néanmoins, l’ex-commissaire estime que la Commission européenne n’a d’autres choix que de devenir plus politique et qu’un commissaire n’est pas un super-fonctionnaire. "Moi, j’intervenais dans les dossiers collégiaux, parce que c’est quand on est politique qu’on pèse le plus." Avant de partir, Louis Michel s’est d’ailleurs fendu d’une lettre à son ex-président dans laquelle il plaide pour une hiérarchisation de la Commission. Celle-ci, précise le libéral, a "besoin d’un kern" , à la belge, avec "cinq ou six vice-présidents, responsables de piliers. On aurait par exemple un vice-président en charge du Développement durable, qui chapeauterait l’Environnement, l’Energie et les Transports" . Une manière de fonctionner, croit Louis Michel, qui créerait " de l’appétence des vedettes politiques européennes" pour la Commission. (Oleb)