Henri Boulad: "L’islam est dans une impasse"
Le P. Henri Boulad, sj, ancien directeur de Caritas-Egypte et recteur du collège de la Sainte-Famille au Caire, n’a pas sa langue en poche, ni sur l’avenir de l’Eglise catholique, ni à propos de l’évolution de l’islam. De passage en Belgique, il a accordé un entretien à "La Libre".
Publié le 02-06-2010 à 04h16 - Mis à jour le 02-06-2010 à 08h50
:focal(99x81:109x71)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/VLDIZGLXRFCCPFCK6AG6NK2E2Q.jpg)
Entretien Le P. Henri Boulad, sj, ancien directeur de Caritas-Egypte et recteur du collège de la Sainte-Famille au Caire, n’a pas sa langue en poche, ni sur l’avenir de l’Eglise catholique, ni à propos de l’évolution de l’islam. De passage en Belgique, il a accordé un entretien à "La Libre".
Voici trois 3 ans, vous avez adressé une lettre au Pape, mais il ne l’a jamais reçue...
J’ai lancé un appel à une réforme de l’institution avec des propositions concrètes, mais elle n’était pas destinée à être publiée. Un ami à qui je l’avais confiée n’a pas osé la transmettre à Benoît XVI. Je l’ai donc traduite en 7 langues et je la lui ai fait parvenir par le nonciature au Caire. Le Pape n’a pas accusé réception, mais la lettre a lancé le débat, ce qui était un peu mon objectif...
Que préconisez-vous pour l’Eglise ?
Je prône une triple réforme théologique, pastorale et spirituelle, et la convocation d’un grand synode pour repenser l’Eglise qui durerait trois ans. Un synode et non un concile, car la base doit y participer pleinement. L’Eglise connaît une grave crise, mais je ne suis pas alarmiste: c’est le moment de diffuser plus que jamais les valeurs évangéliques dans les mentalités et dans les comportements. Il faut repenser le christianisme, pas comme structure ou institution, mais pour retourner au véritable message de Jésus. Quand on voit le succès des ONG, on peut dire qu’il est passé. C’est ça, le vrai baromètre ecclésial, ce n’est pas le taux de la pratique!
Ce n’est pas la vision de la hiérarchie...
Le christianisme est avant tout la religion de l’homme. Le Christ n’est pas venu pour créer une structure cléricale, même si celle-ci fut nécessaire pour diffuser le christianisme.
Pourquoi vous êtes-vous mobilisé ?
Le message chrétien n’est sans doute plus pertinent dans sa forme et voyant mes activités d’écrivain, mon provincial m’a demandé de synthétiser la foi. Oui, il faut un langage nouveau et de nouvelles perspectives. La foi se pose aujourd’hui en termes de sens. Nos contemporains cherchent des références chez Serres, Morin, Ferry, Comte-Sponville. Leur langage est attirant parce qu’ils prennent l’homme dans sa situation historique actuelle pour décrypter ce que ça signifie. Nous entrons dans une ère multiculturelle et de dialogue où l’on veut vivre autrement ses valeurs. Le catholicisme doit devenir plus catholique et retrouver le grand souffle d’espérance de Vatican II qui avait déstabilisé l’Eglise...
...et qui a aussi fini par la diviser!
Oui, le concile a aussi engendré un mouvement de restauration aux effets nocifs. Le "hic" est qu’on a voulu faire absorber aux chrétiens 4siècles en 4 ans. C’est comme si après un jeûne de 40 jours, on vous forçait à manger beaucoup en 4heures; on ne tient pas le coup. Les changements de Vatican II auraient dû commencer il y a 400 ans.
Le rapprochement avec les traditionalistes est-il une erreur, selon vous ?
Oui, le Pape est prêt à sacrifier le gros de ses troupes pour se concilier la minorité lefebvriste. On ne gagne rien au change. Je ne puis que souscrire aux propos de Hans Küng dans sa lettre aux évêques. Il faut faire confiance à l’Esprit saint tout en mobilisant le peuple de Dieu. L’Eglise mater et magistra était nécessaire lorsque l’humanité se cherchait, mais ce style ne colle plus dans une humanité adulte. Nos contemporains accèdent à l’information et au savoir et ne se laissent plus mener comme autrefois.
Avez-vous eu des réactions à votre lettre ?
Des évêques y ont répondu, mais discrètement. J’ai quand même eu des réponses enthousiastes venant d’Europe, mais aussi d’Inde et surtout d’Amérique latine, sans doute parce qu’ils se sentent compris et qu’ils ont le sentiment qu’il y a des choses à faire. La vraie question est de se demander ce que dirait Jésus s’il revenait aujourd’hui. J’ai donc écrit "Jésus en blue-jeans", où il remet les paraboles dans un contexte contemporain.
Votre autre cheval de bataille c’est l’islam.
Je vis avec lui depuis ma naissance. Il y a deux grands dangers: c’est de le diaboliser ou de l’angéliser ! Ces deux approches existent en Europe occidentale. On m’a reproché de le diaboliser, alors que je n’ai fait que lancer un signal d’alarme face à l’envahissement du champ politique et social par le fondamentalisme et l’intégrisme. Et ce n’est pas qu’un discours de chrétien, il est aussi tenu par des penseurs musulmans ostracisés à cause de cela.
L’islamisme radical n’est pas le vrai islam.
Gare au "wishful thinking": l’islam qui était religieux du temps de son implantation à La Mecque est devenu politique et sociétal à Médine, et cet islam-là domine depuis 14 siècles. Le problème est que cette vision est partagée dans 57 pays de la planète et marginalise l’islam mystique des soufis et l’islam rationaliste des penseurs musulmans modernes qui s’inspirait d’Averroès. Une majorité de musulmans penchent pour celui-ci, mais elle est noyautée, intimidée par une minorité qui veut islamiser la planète.
Votre regard est pessimiste...
Oui, car si on ne change pas, on va vers le clash des civilisations annoncé par Huntington. Ce ne sera pas un combat entre la croix et le croissant, mais entre le croissant et le reste du monde. La réalité est que l’islam est dans une impasse: ou il se réforme et il se dénature, ou alors il revient à ses racines.
Mais on n’en sortira jamais...
Si, à condition de mener un dialogue clair, franc et courageux, qui met le doigt sur les problèmes plutôt que de les esquiver. Je suis pour un dialogue islamo-musulman: il faut qu’avant d’entrer en discussion avec l’islam, nous sachions où les musulmans veulent en venir.
Cette incompréhension prend parfois les formes d’un racisme larvé...
Certainement, car la stigmatisation prend diverses formes. En Egypte, je vis en harmonie avec les musulmans, mais ils sont les premières victimes de la situation. L’islamisme, c’est la pensée unique qu’on entend imposer par la force, par le terrorisme moral et physique.
Vous voilà politiquement incorrect...
Le politiquement correct va nous tuer. Si on a le droit de critiquer l’Eglise, pourquoi doit-on s’en abstenir pour l’islam ? Ne me faites pas dire ce que je ne pense pas: les immigrés musulmans sont déboussolés en Europe, étant passés d’une sociéte aux structures ancestrales à une société postmoderne. Ils se retrouvent dans des ghettos urbains. Notre tâche est d’accompagner leur processus d’intégration. Et il faut désamorcer la haine et le racisme. On me dit fanatique, mais nous devons nous battre pour les valeurs universelles dont les religions sont les vecteurs...